Simulateur du vieillissement : une formation en faveur de la bientraitance

Simulateur du vieillissement : une formation en faveur de la bientraitance

Expérimenter la simulation du vieillissement offre une occasion particulière aux soignants de se rendre compte par eux-mêmes, physiquement, de ce que les patients âgés vivent et ressentent du fait de leur âge. Les sensations fortes et les émotions qu'elle suscite ouvrent souvent la voie à des pratiques plus bienveillantes et respectueuses des capacités des patients et résidents. Article paru dans le numéro 28 d'ActuSoins magazine (mars 2018).
Une soignante teste un verticalisateur
Une soignante teste un verticalisateur. © DR

Se mouvoir comme une personne de 80 ans, entendre comme elle entend, voir comme elle voit… les formations basées sur la simulation du vieillissement se multiplient dans les Ehpad et certains services hospitaliers. Le scénario : les formateurs font revêtir aux participants une sorte de grosse « armure » lestée, le simulateur. Celui qu’utilise Isabelle Coche, formatrice et directrice d’un organisme de formation du Pas-de-Calais, Chrysalise, pèse plus de quinze kilos. « Il comprend un gros gilet lesté, des coudières et des genouillères pour reproduire la raideur articulaire, une minerve, des poids pour lester les pieds et des chaussures aux semelles très molles pour produire un déséquilibre », explique-t-elle.

Simulateur du vieillissement : Epuisant…

Chaque participant la revêt à son tour, entre quinze minutes et quarante minutes. Céline, infirmière dans un Ehpad du Nord, se rappelle que ses collègues et elle ont d’abord beaucoup ri : « nous avions l’impression de jouer à Robocop ! ». Mais la première perception du poids perdure. « C’est très lourd, confirme Elodie, également infirmière dans une maison de retraiteNous avions la sensation que notre corps pèsait le double de d’habitude… »

Le formateur et les collègues du professionnel qui a revêtu le simulateur du vieillissement lui demandent de se mouvoir et d’effectuer des gestes, apparemment simples. Marcher mais aussi s’assoir sur un fauteuil ou les toilettes et se relever, s’allonger sur un lit et en sortir, se redresser, se lever depuis le sol ou encore à lever la jambe pour un pansement…

Simulateur du vieillissement GERT

« Une galère, résume Adeline, infirmière et collègue d’Elodie. L’effort à fournir pour bouger avec ce poids devient rapidement douloureux. » A la fin du parcours, Elodie avait « fait 500 mètres mais [avait] l’impression d’avoir fait des kilomètres et [était] épuisée ». Et encore, la simulation ne fait pas ressentir aux soignants les douleurs causées par les pathologies…

Adeline n’a pas apprécié de se retrouver dans le lit avec la barrière relevée, comme « en prison »… et Elodie de passer par le lève-malade : « cela tire entre les cuisses, cela peut pincer la peau », a-t-elle réalisé. Cette manipulation, réalisée trop vite ou trop haut, donne aussi parfois le vertige.

Simulateur du vieillissement : … et déroutant

Simulation du vieillissement : une formation en faveur de la bientraitance
© DR

La simulation inclut généralement des altérations sensorielles de la vision et de l’audition. Les participants mettent ainsi un casque sur leurs oreilles (en plus, parfois, de bouchons d’oreilles) et des lunettes qui reproduisent les effets de la DMLA, du glaucome, de la cataracte ou de la rétinite diabétique. Une expérience également très déroutante. « Les choses étaient soit plus loin soit plus près que ce que je pensais et mon équilibre était impacté », raconte Adeline, qui simulait le glaucome. Un effort important de concentration, fatiguant, est nécessaire.

Ce qui a le plus déconcerté Elodie, c’est la difficulté à entendre et, par conséquent, à interagir avec les autres. « J’étais dans un autre monde, je me sentais à part, isolée, évoque-t-elle. J’entendais un brouhaha quand les autres parlaient. Je devais tout leur faire répéter plusieurs fois… Cela m’a tellement énervée qu’à la fin je ne cherchais plus à comprendre, je suis restée dans mon monde. »

La simulation fait aussi parfois intervenir des gants qui reproduisent les tremblements d’intensité variable dus à la maladie de Parkinson. Ouvrir un sachet de biscuit, boire dans un gobelet en plastique fin, chercher des pièces dans un porte-monnaie ou signer un document relèvent du défi ! « J’ais du boire de l’eau, manger une compote, écrire, se rappelle Elodie. C’était très compliqué. Il faut beaucoup se concentrer ! Je comprend pourquoi certains résidents mettent longtemps à manger ! » Pourquoi aussi il s’agacent ou renoncent… « Nous avons un peu ri les uns des autres mais nous nous sommes aperçus que nous nous retrouvions sans défense », souligne Céline.

Simulateur du vieillissement : « Vis ma vie »

C’est tout l’enjeu de cette simulation : comprendre par l’expérience ce que vivent et ressentent les personnes âgées, pour adapter sa pratique. « Cela faisait longtemps que je voulais me mettre dans la peau d’un résident, témoigne Elodie. A l’Ifsi, nous apprenons ce qu’est la maladie, comment faire tel ou tel geste, mais pas ce que c’est de devenir vieux. » Pour Céline, « tant qu’on ne l’a pas ressenti dans son corps, on ne s’imagine pas ce que c’est ».

Cette prise de conscience bouleverse d’ailleurs certains soignants, constate Isabelle Coche. Elle y voit l’effet d’une projection sur l’avenir, « de la tristesse » pour les personnes soignées mais aussi le « regret de ne pas y avoir pensé avant ». Lors de ces formations, elle rebondit sur ces émotions pour évoquer l’amélioration des pratiques professionnelles.

« Je comprends mieux les plaintes des résidents lors des efforts, souligne Adeline, et je leur demande moins de choses. Pour un pansement de talon, par exemple, je ne leur demande plus de lever la jambe, je m’abaisse, quitte à m’assoir sur le sol. » Les soignants ont en effet constaté que l’absence de pathologie douloureuse ne signifie pas que les personnes âgées sont capables de réaliser les mêmes gestes qu’eux…

« Se mettre dans leur peau permet de se rendre compte que le professionnel doit évaluer cette capacité »,insiste la formatrice. Laisser faire le maximum de choses aux personnes au motif du maintien de leur autonomie peut parfois les mettre en difficulté… 

« Je réalise que nous sommes souvent exigeants, observe Laurent Denans, infirmier formateur pour une agence normande du service d’aide à domicile Adhap.Quand une personne âgée ne fait pas certaines choses, ce n’est pas parce qu’elle ne veut pas mais parce qu’elle ne peut réellement pas. » Céline renchérit : « À une époque où nous vivons à 200 à l’heure, nous ne nous rendons pas compte que ces personnes n’ont pas la capacité physique de se mettre à notre allure, ne peuvent pas suivre notre cadence, physiquement. »

S’organiser

Souvent, les soignants décident (ou voudraient), suite à la formation, de prendre plus leur temps avec les résidents. Mais le temps manque… « Nous pouvons aussi nous organiser autrement », souligne Isabelle Coche. Un résident qui a besoin de s’appuyer sur quelque chose pour marcher peut se tenir au fauteuil roulant d’un autre résident que pousse, plus tranquillement, le soignant. « C’est valorisant, nous emmenons deux personnes en un trajet et nous pouvons discuter, ajoute-t-elle. Nous pouvons aussi proposer de faire l’aller à pied et le retour en fauteuil. »

Céline essaie aussi de mieux prendre en compte « l’isolement sensoriel des résidents. C’est assez angoissant, reconnaît-elle. J’essaie de me placer bien en face d’eux pour leur parler. Quand ils ne savent pas que nous arrivons dans leur chambre, on peut comprendre une certaine agressivité. » Selon elle, cette formation rappelle avec acuité que « nous travaillons avec des personnes fragiles et sensibles ». 

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Olivia Dujardin

Actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article est paru dans le numéro 28 d’ActuSoins Magazine (mars 2018)

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