« La relation soignant-soigné est fragile »par essence, note Pierre Novacovici, cadre de santé du service d’immuno-hématologie de l’hôpital Saint-Louis (Paris). Et difficile à préserver dans des établissements en tension. Incivilités, menaces, insultes, violences… Avec 17 596 faits déclarés à l’Observatoire national des violences en milieu de santé en 2016, l’agressivité des patients et de leur entourage, est omniprésente dans les établissements de santé. Des pistes permettent néanmoins de la prévenir.
Défaut de communication
« Il faut désamorcer la crise le plus en amont possible. Car lorsqu’une personne éprouve un stress important, on ne peut plus du tout dialoguer », constate Chloé (dont le prénom a été modifié), infirmière dans un service d’urgences francilien.
Principalement en cause dans ces tensions : le défaut de communication. « L’incompréhension des personnes par rapport à ce qui leur arrive, parce que les choses ne sont pas posées correctement à l’arrivée, souligne Myriam Blazejczyk, directrice du centre de formation continue Impactance. Ou bien en cas de distorsion du message : un soignant donne une information, puis un second en donne une autre, etc. »Cela tient par ailleurs aux limites des infirmiers. « Nous n’avons pas le droit de délivrer des informations médicales. Nous aussi sommes un peu démunis et cela crée un mur »,constate Romain, infirmier dans un hôpital des Côtes-d’Armor et auteur d’un mémoire consacré à ce sujet.
Le soin apporté au discours est pourtant « primordial. Surtout dans un service comme le nôtre, où le vécu des malades est violent, insiste Pierre Novacovici. Prendre le temps, reformuler… C’est pour cela que l’infirmière coordinatrice se charge de la consultation d’annonce du cancer. Cela draine déjà beaucoup d’agressivité. Car c’est un temps dédié pour exprimer sa souffrance, des problèmes sociaux… »
Autre outil, « l’hypnose conversationnelle »consiste notamment à user « de termes positifs. L’inconscient ne comprend pas la négation, explique Myriam Blazejczyk. Dans une phrase comme « N’ayez pas peur », il ne retient que le mot « peur. » »
Les malentendus affectant la relation s’avèrent multiples. « Il y a confrontation de deux temporalités. Celle de l’hôpital qui va très vite ; celle perçue par le patient, très lente », rappelle Nathalie Jung, formatrice à l’Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) du CHU de Strasbourg. La seconde attitude clef réside dans une compréhension fine du patient, révélée par son comportement verbal et non verbal. Cela porte sur la pathologie ; la situation psycho-sociale ; le contexte de soin : temps d’attente, ressenti douloureux…
Connaître la typologie des caractères peut être un apport précieux. Certains ont une logique d’action et d’objectifs, tels les chefs d’entreprise. D’autres sont plus dans le relationnel : « Il faut donner à ces derniers un maximum de choix. Sinon, ils nous reprochent ensuite de leur avoir conseillé n’importe quoi », précise Christian, infirmier dans un service de neurologie. D’autres encore sont en quête de preuves et arrivent avec des études stabilotées. « Il faut guider leur choix avec des chiffres, des pourcentages… ».
Un symptôme à soulager
Mais la frontière s’avère ténue entre protéger la relation de soin ou soi-même. « J’ai vu des contentions, physiques ou chimiques, peut-être mises en place un peu rapidement…,souligne Romain. Privée de ses mouvements, la personne devient encore plus agressive. » Comment trancher ? En distinguant l’agressivité de la violence. « Dans le second cas, c’est impossible de raisonner la personne. C’est un point de non-retour. »
A l’inverse, la première relève d’un mécanisme, gérable par le soignant, de défense : contre la peur, l’angoisse, le déni, la détresse… « De même qu’une personne qui se noie et agite les bras dans tous les sens. Au risque de frapper son secouriste », illustre Jean-Martin Wild, psychologue du travailà Schiltigheim (Bas-Rhin). Ainsi, Pierre Novacovici se rappelle « d’un monsieur très agressif car sa femme venait de descendre en réanimation. Il mettait en cause notre prise en charge. Finalement, j’ai trouvé quelqu’un qui craquait complètement. Il était tellement amoureux… Il m’a ému. Il ne faut jamais prendre l’agressivité pour soi. »C’est un symptôme à soulager.
En accordant une place à cette émotion. Romain conseille de « laisser tout d’abord le patient exposer son mal-être. »En conservant un calme absolu, « même si vous avez peur. Vous pouvez alors tout dire. La personne baissera le ton et entamera un dialogue constructif », poursuit Pierre Novacovici, qui a aménagé à cet effet un salon des familles dans son service pour un dialogue apaisé.
Prévenir l’épuisement
Un autre enjeu est de prévenir l’épuisement. Là encore, des ressources existent. Au niveau du collectif, Jean-Martin Wild conseille de « repérer dans l’équipe la personne qui a les meilleures compétences pour gérer ces situations. » Cela peut être un cadre. « L’équipe se sentira soutenue et la personne agressive entendue. Mon intervention ne risque donc pas de rompre le lien de confiance »,souligne Pierre Novacovici.
Sur le plan institutionnel enfin, les comités de retour d’expérience visent à analyser les causes d’une situation d’agressivité à distance de l’évènement, sur le modèle des revues de morbidité et de mortalité. Sans jamais culpabiliser les soignants impliqués.
Emilie Lay
Les urgences de Haguenau misent sur l’information
Pour prévenir l’agressivité, le service des urgences du centre hospitalier de Haguenau (Bas-Rhin) multiplie depuis 2014 les canaux de communication en direction des patients.
L’établissement a conçu une charte graphique, exposant la prise en charge globale des urgences. Affiches dans chaque box d’examen, plaquettes distribuées à tous les usagers, boucle vidéo dans les salles d’attente… Ces supports pédagogiques expliquent notamment le circuit du patient, les délais « incompressibles, inhérents aux examens complémentaires », précise le docteur Jérôme Schlegel, chef de service. Ainsi que les pathologies ou symptômes à la portée des médecins généralistes de ville.
A l’origine de cette action, des violences physiques, verbales et sur les biens – 40 en 2015 – en parallèle d’une hausse de 20 % des passages aux urgences en dix ans. Mais aussi une enquête de satisfaction des usagers qui a pointé le manque de communication aux urgences.
L’hôpital prévoit maintenant d’organiser une salle d’attente plus spacieuse, « pour apaiser la tension et le sentiment de confinement et de promiscuité », indique Mathieu Zimpfer, cadre de santé. Nous aimerions aussi qu’un salarié se charge spécifiquement du lien entre soignants et familles en salle d’attente, afin de devancer les demandes de ces dernières. Cela pourrait intervenir dans le cadre d’un reclassement de soignants, en incapacité d’exercer du fait d’une maladie ou d’un handicap. »Un projet en négociation avec la direction.
Jeux de rôle à l’Ifsi Rabelais
C’est une forme originale de formation à la gestion de l’agressivité. Depuis trois ans, l’Ifsi Rabelais (Paris) utilise la simulation en santé, en collaboration avec la troupe d’acteurs Kicékafessa.
Les étudiants expérimentent ainsi les situations d’attente stressante aux urgences avec un poupon hyperthermique, des situations de refus de soins, etc. Ces scénarios sont écrits par les formateurs, et retravaillés avec les comédiens.
« Un même scénario peut être joué dix fois, il se passera dix choses différentes, en fonction de la réaction de l’étudiant, apprécie Nadine Pézière, formatrice à l’initiative de ce partenariat. Quand des étudiants jouent le rôle du patient, ils ne veulent pas mettre en difficulté leur camarade. Ils désamorcent très vite le conflit. » Les comédiens professionnels sont donc un atout.
Chaque scène est suivie d’un débrief avec le groupe, au cours duquel le comédien reste dans son rôle. « Je dois être attentive à ce qu’aucun jugement de valeur ne soit porté sur l’étudiant, pour que le dialogue soit constructif. » Et Nadine Pézière apprend autant que ses étudiants. « Ils expriment l’attente d’un malade parfait, poli. Ils sont outrés que le patient ne soit pas obéissant. C’est extraordinaire. »
Développement des capacités de décryptage, entraînement à réagir de manière adéquate…. « Les étudiants trouvent cette agressivité », pourtant simulée, « difficile, violente. Au moins, ils le vivent à l’école une fois »avant d’être confrontés à cette réalité.
Chloé*, infirmière dans un service d’urgences francilien : « Une grosse pression »
« Aux urgences, l’agressivité est très quotidienne. Les premiers mois, je ne comprenais pas ces réactions : je ne pouvais imaginer qu’en tant qu’infirmière, je me ferais injurier ou cracher dessus.
Les patients ont une grande méconnaissance de l’hôpital. Ils ne comprennent pas qu’il y ait de l’attente pour passer un examen complémentaire ou qu’il faille patienter deux heures pour un résultat de prise de sang, alors que dans un laboratoire de ville, c’est 48 heures. J’ai vu des gens devenir déments parce qu’on ne leur donnait pas d’horaire pour leur scanner. Pourtant raisonnables en temps normal, certains paniquent et essayent de partir pour un autre hôpital.
Ajoutez à cela le stress et l’inquiétude. Et une salle d’attente qui accueille parfois simultanément une centaine de personnes – famille et patients –, sans machine à café, ni repas, ni télévision pour penser à autre chose pendant cinq heures. Toutes ces conditions favorisent l’agressivité.
Je mets un point d’honneur à dialoguer, rester calme. Mais avec un flux de 200 à 300 patients par jour, nous aussi sommes soumis à une grosse pression. Au positif, il y a une grande solidarité dans l’équipe, qui vient en renfort immédiat en cas de problème. Nous avons tous reçus une formation sur la gestion de l’agressivité et la self défense. Cela aide mais il faudrait la renouveler régulièrement. »
* Le prénom a été changé
Ces articles sont parus dans le numéro 28 d’ActuSoins Magazine
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