En addictologie, des consultations infirmières en autonomie

En addictologie, des consultations infirmières en autonomie

Depuis 2020, un protocole de coopération permet aux infirmiers hospitaliers de mener, en autonomie, des consultations d’alcoologie pour la prise en charge de patients souhaitant s’engager dans des soins en addictologie. L’hôpital Fernand-Widal (Paris) en est à l’origine.

actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article a été publié dans n°45 d’ActuSoins Magazine (juin-juillet-août 2022).

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Chloé Poupaud, infirmière en pratique avancée (IPA) en santé mentale et psychiatrie et sa collègue Camille Lefebvre-Durel, également IPA
Chloé Poupaud, infirmière en pratique avancée (IPA) en santé mentale et psychiatrie (à gauche), et sa collègue Camille Lefebvre-Durel, également IPA. Toutes deux mènent des consultations alcool post-urgence (Capu). © DR

Ce protocole de coopération intitulé Première consultation d’alcoologie par une infirmière pour des patients adressés par un service des urgences, validé par l’arrêté du 11 juin 2020, permet la délégation d’un certain nombre d’actes du médecin délégant à l’infirmier délégué pour des patients présentant des troubles liés à l’alcool.

Intervenir en prévention

Cette consultation sans rendez-vous a été pensée, écrite et expérimentée par l’équipe d’addictologie de l’Hôpital Fernand-Widal, établissement situé à proximité de la gare du Nord à Paris.

« L’équipe a ressenti le besoin de mettre en place un protocole spécifique après avoir constaté que la prise en charge proposée est souvent trop tardive », indique Marianne Hochet, responsable Ressources et développement au sein du Réseau des établissements de santé pour la prévention des addictions (RESPADD) et en charge du suivi de la recherche action Capu (Consultation alcool post-urgence). Or, de longs délais favorisent l’apparition de troubles supplémentaires.

« Cette expérimentation est née en 2012/2013, d’un retour terrain et d’une consultation montée par un médecin, le Dr Romain Sicot, psychiatre, raconte Chloé Poupaud, infirmière en pratique avancée (IPA) en santé mentale et psychiatrie, qui prend en charge des patients dans le cadre d’une Capu.  Lorsqu’il a pris la responsabilité de l’équipe de liaison et de soins en addictologie (ELSA) des hôpitaux Saint-Louis et Lariboisière, celle-ci n’avait pas la possibilité d’intervenir directement aux urgences pour des questions d’effectifs. »

En parallèle, les urgences faisaient régulièrement remonter des difficultés de prise en charge des patients ayant un trouble de l’usage d’alcool. Il a donc mis en place une consultation sans rendez-vous, où pouvaient être orientés les patients depuis les urgences.

« Lorsque je suis arrivée au sein de l’ELSA, on m’a demandé de réaliser cette consultation en binôme avec lui et, progressivement, nous nous sommes rendu compte qu’une infirmière expérimentée en addictologie détenait les compétences pour mener seule la consultation », ajoute-t-elle.

De fait, lorsque les protocoles de coopération ont été mis en place, l’équipe a décidé de formaliser la consultation pour valoriser les compétences infirmières. A l’hôpital Fernand-Widal, trois infirmières (IDE) dont deux IPA mènent les Capu, encadrées par environ sept médecins. En 2020, elles ont reçu 206 patients et, en 2021, 247, soit quatre à cinq par semaine.

Le protocole

Ce protocole consiste à proposer une consultation sans rendez-vous à un patient présentant des troubles liés à l’usage de l’alcool et ayant d’abord été pris en charge aux urgences pour un motif lié à l’alcool ou à toute autre cause. Les soignants urgentistes peuvent l’informer de l’existence de la CAPU où il peut se rendre immédiatement ou un autre jour.

« Tous les patients pris en charge aux urgences des hôpitaux Lariboisière ou Saint-Louis peuvent être orientés à la Capu sauf les mineurs et les femmes enceintes, précise Camille Lefebvre-Durel, également IPA et menant une Capu.Les polyconsommateurs peuvent l’être aussi à condition que leur demande relève spécifiquement de l’alcool ».

Lors de la consultation, « nous abordons les antécédents médicaux généraux, les problèmes d’addiction et nous évaluons en particulier la sévérité de l’addiction à l’alcool, ajoute-t-elle. Nous discutons ensuite avec le patient du parcours de soins que nous pouvons lui proposer. »

La délégation d’actes repose ainsi sur la possibilité pour les infirmiers de repérer des patients nécessitant une hospitalisation pour sevrage rapide ou une prise en charge différée, d’interpréter les résultats des échelles cliniques validées (Cushman, AUDIT, DSM 5), de prescrire des examens (biologiques, ECG, éthylotest), d’interpréter des résultats des examens biologiques et d’orienter le patient vers le mode de prise en charge adapté.

Le logiciel de la consultation est construit sur la base d’items à remplir. En cas, par exemple, de situation aiguë non stable ou de critères de gravité trop élevés, les IDE doivent contacter le médecin.

Le protocole de coopération tel que validé par la HAS, ne prévoit qu’une seule consultation mais, à Fernand-Widal, les infirmières peuvent revoir le patient jusqu’à trois fois, pour construire le parcours de soins ou pour maintenir un suivi lorsqu’une prise en charge est prévue mais que les délais sont un peu longs notamment en Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA).

Un parcours accepté

Lors de la consultation, l’infirmier peut proposer au patient une hospitalisation rapide, une hospitalisation programmée ou encore le réorienter vers les urgences si nécessaire. « Les prises en charge sont généralement bien suivies par les patients, souligne Chloé Poupaud. Nous rencontrons seulement deux types de difficultés : lorsqu’ils souhaitent être hospitalisés alors qu’ils ne présentent pas de critère biologique d’urgence ou lorsqu’ils refusent l’hospitalisation que nous estimons nécessaire. »

Et de poursuivre : « Nous avons constaté que les patients passant par la Capu vont davantage s’inscrire dans un parcours de sevrage car nous l’avons construit avec eux. C’est moins le cas pour les patients hospitalisés directement depuis les urgences. »

Les infirmières observent en revanche que la Capu captent moins les jeunes, en dehors de ceux déjà inscrits dans une addiction à l’alcool. « Peut-être est-ce lié à la banalisation des consommations, suggèrent les IDE. Ils ne se sentent alors pas forcément concernés par l’addiction. »

Étendre le protocole

Ce protocole a vocation à être repris au sein de l’ensemble des établissements de santé. Convaincu par son dispositif, l’équipe de Fernand-Widal s’est tournée vers le RESPADD afin d’être secondée pour aider à son déploiement.

« Nous avons accepté leur demande, convaincus de l’intérêt du protocole et de l’importance de son déploiement, fait savoir Marianne Hochet. Nous avons donc déposé un projet au Fonds de lutte contre les addictions en 2019 afin d’être financés sur trois ans. Avec les fonds, nous développons le projet dans quinze établissements hospitaliers pilotes volontaires, en tant que facilitateurs. »

Ce projet requiert des exigences en termes de capacité d’accueil de la structure, de lien entre le service d’addictologie et les urgences, ou encore de formation. 

Pour intervenir dans le cadre du protocole, les infirmiers doivent suivre une formation théorique et pratique. « Nous avons proposé deux sessions de formation théorique en présentiel que nous avons co-animées avec l’équipe de Fernand-Widal, indique Marianne Hochet. Nous informons les équipes sur la conduite du projet, les étapes de mises en œuvre du protocole, les outils créés par le RESPADD pour les accompagner, puis nous faisons régulièrement des retours terrain. »

Le RESPADD met notamment à disposition des affiches reprenant les étapes de la consultation selon le protocole. « Nous avons aussi un dépliant en trois volets, présentant le projet, et nous avons créé une fiche ″mémo″ format A5 qui entre dans une poche de blouse avec tous les critères essentiels pour l’inclusion d’un patient », ajoute Marianne Hochet.

Quant à la formation pratique, elle est interne à chaque établissement et dispensée par le médecin délégant. L’infirmier doit ensuite l’assister en tant qu’observateur pendant sept demi-journées de consultations, puis en binôme pendant sept autres demi-journées, pour enfin mener seul, mais sous la supervision du médecin, des consultations pendant encore sept autres demi-journées. Ces 21 sessions tiennent lieu de formation pratique.

Après les trois ans de financement du RESPADD, l’équipe va recueillir les avis des établissements sur le protocole de coopération afin de définir ce qui peut aider et faciliter la mise en place d’une Capu. « Nous demandons également des retours de patients, d’infirmiers et de médecins, explique Marianne Hochet. Nous cherchons à savoir s’il y a un engagement des urgences, une montée en compétence des infirmiers et du temps médical gagné, car c’est l’une des finalités des protocoles de coopération. Ces informations nous permettront de publier un guide de transférabilité pour une diffusion plus large de cette consultation dans les établissements. »

Laure Martin

1 Un score de surveillance du sevrage en alcool.

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