Dans son rapport de 2016, « Isolement et contention dans les établissements de santé mentale », le Contrôleur général des lieux de privations des libertés (CGLPL) a révélé que ses visites « lui ont fait découvrir une utilisation de l’isolement et de la contention d’une ampleur telle qu’elle semble être devenue indispensable aux professionnels ». « Ces contraintes physiques constituent, à tout le moins, une atteinte maximale à la liberté de circulation », « la manière dont elles sont mises en œuvre est souvent humiliante, indigne, parfois dangereuse »et ces pratiques s’apparentent, dans certains cas, « à des traitements inhumains et dégradants », affirme ainsi ce rapport.
« Le recours à la contention et à l’isolement font partie de l’histoire de la psychiatrie depuis le geste inaugural de Jean-Baptiste Pussin et Philippe Pinel en 1793, libérant les aliénés de leurs chaînes »,pour les remplacer par un gilet de force, rapporte Jean-Paul Lanquetin, infirmier de secteur psychiatrique (ISP), fondateur du Groupe de recherche en soins infirmiers et membre du Centre ressources métiers et compétences (CRMC) en psychiatrie.
Une pression sécuritaire
Pour ce dernier, « ces recours sont toujours mobilisés lors de crises d’agitation ou de mises en danger du patient. Toutefois, il existe des écarts très importants et une variabilité de ces usages entre établissements, voire entre services d’une même institution. La principale variable touche à la capacité d’une équipe, dans la richesse d’un répertoire de ressources préventif et alternatif, à contenir ou non, tout ou partie de ces débordements. »
Avec la loi de janvier 2016, le législateur demande une limitation du recours à ces mesures « car il y a eu un constat partagé de l’ensemble des acteurs et observateurs, mais non objectivé en termes de chiffrage, d’une augmentation constante et banalisée du recours à l’isolement et à la contention en psychiatrie depuis une quinzaine d’années », poursuit Jean-Paul Lanquetin. Plusieurs raisons peuvent expliquer ces augmentations : « d’abord, pendant une décennie, il y a eu une pression sécuritaire sur la psychiatrie », indique-t-il, notamment à la suite de faits divers dramatiques comme en 2008 lorsqu’un patient en psychiatrie a tué un passant. Un mouvement contestataire s’est depuis mis en place à l’initiative de 39 psychiatres – le collectif des 39 – qui se sont élevés contre une intensification de la contention et de l’isolement.
Ultime recours
Le recours à la contention et à l’isolement doit faire l’objet d’une prescription, sauf en cas d’urgence. Dans ce dernier cas, les infirmiers doivent faire valider leur décision dans les trente minutes par un médecin. « Personnellement, je n’ai jamais vu d’abus de la part d’infirmiers outrepassant leur rôle et dont les décisions de contention et d’isolement n’ont pas été validées par les médecins, souligne Suzie Q, infirmière en psychiatrie depuis 2012. Au contraire, les équipes soignantes y sont réfractaires et y ont recours lorsque qu’elles n’ont plus le choix. »
« Il arrive plusieurs fois par semaine que les patients s’agitent. Quelqu’un qui est hospitalisé contre son gré va être dans une posture d’opposition aux soins, ce qui peut générer certaines tensions. Lorsque cela se manifeste par de la violence, des techniques d’apaisement sont mises en place. Ce n’est qu’en ultime recours que les soignants vont utiliser l’isolement », précise-t-elle.Quant au recours aux contentions de la part des soignants, il serait en revanche plus rare, « uniquement lorsque le patient est violent envers lui-même ou les autres, et généralement, le temps que le traitement agisse », explique Suzie Q.
Nathalie Pawlowski, infirmière en psychiatrie, titulaire du diplôme d’infirmier de secteur psychiatrie depuis 1984 et représentante de la Coordination nationale infirmière (CNI), n’a également jamais constaté d’abus. « Dans toute ma carrière, je n’ai eu à pratiquer la contention qu’une seule fois, aux urgences sur demande du psychiatre. Lorsque cela s’est produit, j’ai surveillé le patient toutes les dix minutes. C’était une privation de liberté physique pour moi, je me suis imaginée à sa place et je lui ai donc beaucoup parlé car je ne vivais pas la situation sereinement », raconte-t-elle.
Cependant, la représentante de la CNI sait que, dans certains établissements hospitaliers, le recours à la contention et à l’isolement peut être plus fréquent. D’ailleurs, dans son rapport, le CGLPL cite l’exemple du centre psychothérapique de l’Ain visité en janvier 2016. Les contrôleurs ont constaté que les conditions de prise en charge des patients « portaient des atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes hospitalisées »et ont observé des pratiques de contrôle des faits et gestes des patients « d’une rigueur exceptionnelle ».Les contrôleurs ont observé des pratiques de recours à l’isolement et à la contention « dans des proportions qu’ils n’ont observé dans aucun autre établissement visité par le CGLPL ». Depuis, la structure dispose d’un nouveau directeur.
Manque de formation ?
Une autre raison qui pourrait expliquer le recours plus fréquent à la contention : le manque de formation des infirmiers en psychiatrie. « Nous avions une formation disciplinaire avec un diplôme d’infirmier en psychiatrie dédié, rapporte Jean-Paul Lanquetin, titulaire de ce diplôme. Mais avec le souci des infirmiers polyvalents et de leur employabilité, il a été supprimé en 1992. Avec une perte de 94 % des contenus de formation spécifiques à notre discipline, les infirmiers sont donc moins formés, et perdent cette culture ″d’aller vers″les patients. Ils peuvent se sentir en insécurité et la crainte peut conduire à prendre des mesures de contraintes. »
« Il faudrait un Master 1 et 2 qualifiant et diplômant, suggère-t-il. Ce n’est pas à l’ordre du jour mais aujourd’hui, tous les corps constitués y sont favorables : les fédérations hospitalières, la Conférence des présidents de Commission médicale d’établissement, les patients et les familles. »Une proposition soutenue par Nathalie Pawlowski qui explique que « la formation actuelle, c’est peau de chagrin par rapport à ce que nous avons connu. Les étudiants nous disent d’ailleurs avoir peur de la prise en charge en psychiatrie car ils ne sont pas formés. »
Il n’y a pas forcement de recette à l’exercice en psychiatrie, c’est un savoir-être et un contact humain. « Mais ce positionnement n’est plus enseigné dans les Ifsi »,rapporte-t-elle. Par ailleurs, poursuit Nathalie Pawlowski, un Master en psychiatrie permettrait aussi de combler les difficultés à trouver du personnel car « il y a un « turnover »important puisque certains étudiants découvrent la psychiatrie et se rendent compte que ce n’est pas fait pour eux ».
Pour Suzie Q, la question de la formation ne s’avère pas être un vrai débat car la spécificité psychiatrique a justement disparu depuis 1992, « il n’y a donc plus beaucoup de professionnels titulaires de ce diplôme en exercice. Selon moi, ce n’est pas le contenu de la formation qui fait l’infirmier mais c’est l’infirmier lui-même et son envie d’approfondir ses connaissances. L’infirmier de secteur psychiatrique ultra-compétent est un mythe tout comme l’est celui de l’IDE uniquement centré sur des soins techniques. Les mauvais ISP existent tout comme les IDE à la sensibilité psychiatrique existent. »
Bonnes pratiques…
En mars 2017, la Haute autorité de santé (HAS) a publié des recommandations de bonnes pratiques à destination des soignants en psychiatrie générale concernant l’isolement et la contention mécanique en se basant notamment sur le contenu de la loi. Elle rappelle que ces pratiques ne sont indiquées « qu’en dernier recours, pour une durée limitée, uniquement pour répondre à une violence imminente ou immédiate et non pour punir, infliger des souffrances ou de l’humiliation, ni résoudre un problème administratif ou répondre à la rareté des intervenants ».
Les équipes soignantes doivent procéder à un examen médical du patient et lui donner des explications claires au moment de la mise en place de la mesure. Il doit ensuite bénéficier d’au moins deux visites médicales par 24 heures, et d’une surveillance régulière de son état psychique et de ses paramètres physiologiques. La vérification des points d’attache, de l’état cutané et des besoins physiologiques relève du rôle propre infirmier. Lorsque la contention et l’isolement sont levés, l’équipe doit alors proposer au patient de revenir sur cet épisode. Chaque mesure d’isolement ou de contention doit également être consignée dans le registre administratif de l’établissement, en respectant l’anonymat du patient et en indiquant le nom du psychiatre ainsi que ceux des membres de l’équipe.
Cette obligation de la loi est une bonne initiative pour Suzie Q, d’autant plus que, tous les ans, les établissements doivent présenter un plan de prévention pour limiter la contention. Cependant, si « les recommandations permettent l’atteinte d’un idéal, pour beaucoup de mesures, il faut des équipes soignantes adaptées. Des flous demeurent sur la mise en place des moyens. »
…et alternatives
« Les bonnes pratiques sont nécessaires, mais il faut nous donner les moyens et le personnel pour les faire »,renchérit Nathalie Pawlowski. D’après elle, les alternatives existent comme le fait de permettre à un soignant de s’isoler avec un patient. Suzie Q approuve le repère à bas seuil. « Lorsqu’un infirmier constate une activation chez le patient, il peut adopter des techniques de désescalade et de désamorçage,explique-t-elle. Plus nous disposons de ressources alternatives, plus nous pouvons passer les moments difficiles sans avoir recours à la chambre d’isolement. Marcher, courir, boire un verre d’eau pour éviter que la crise ne prenne de l’ampleur peuvent être des solutions. »
« Sur le terrain, nous ressentons les effets de l’arrêt du diplôme car il manque aux étudiants des données pour ces prises en charge alternatives comme des séances de relaxations »,rapporte Nathalie Pawlowski. De plus, après une mise en isolement, la relation de confiance avec le patient peut être mise à mal. Il s’avère donc indispensable de lui donner des explications. C’est justement en raison de cette perte de confiance que Suzie Q plaide pour les méthodes de désescalade de la violence. Et pourquoi pas des chambres d’apaisement dans les services comme le suggère la HAS ? « Ce traitement est selon moi efficace mais encore faut-il que nous ayons les moyens pour le mettre en place »,conclut Nathalie Pawlowski.
Laure Martin
Références
Cet article est paru dans le numéro 26 ActuSoins magazine
(Sept/Oct/Nov 2017).
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