Comment vivre (et soigner) sans PLFSS ?

Comment vivre (et soigner) sans PLFSS ?

Censuré le 5 décembre, le gouvernement Barnier a entraîné dans sa chute le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), sur lequel l’article 49.3 de la Constitution a été utilisé. D’où une question urgente : le système de soins peut-il tourner sans PLFSS ?
© Victor Velter / ShutterStock

De nouveau, la France se retrouve sans gouvernement. De nouveau, ceux qui se verraient bien occuper un poste ministériel guettent avec impatience la sonnerie de leur téléphone portable, espérant faire partie du prochain casting. Cette effervescence, notre pays commence à s’y habituer depuis que les majorités absolues à l’Assemblée le boudent.

Ce qui est nouveau, en revanche, c’est l’atmosphère d’urgence dans laquelle le monde politique est soudain plongé. Les constitutionnalistes sont en effet formels : le 31 décembre est la date butoir avant laquelle le pays est tenu de se doter d’un PLFSS, loi fixant d’une année sur l’autre, entre autres choses, la façon dont les deniers de l’Assurance maladie doivent être dépensés. Or le gouvernement Barnier ayant engagé sa responsabilité sur le PLFSS, le vote négatif qu’il vient de subir rend ce texte caduc. Pour savoir ce qu’il va désormais advenir du financement des soins, ActuSoins s’est tourné vers trois parlementaires spécialistes du secteur de la santé.

« C’est compliqué », avertit pour commencer Stéphanie Rist, députée (Renaissance) du Loiret bien connue des infirmiers notamment pour sa loi permettant l’accès direct aux Infirmiers en pratique avancée (IPA). Mais la complexité de la situation ne veut pas dire que la France est au bord du gouffre, et qu’elle est menacée d’un « shutdown » à l’américaine : contrairement à ce qui se passe outre-Atlantique quand Démocrates et Républicains ne parviennent pas à se mettre d’accord sur le budget, les fonctionnaires, les établissements publics, etc., continueront à être payés. « Considérez que tout ce qui fonctionnait jusqu’à présent continue à fonctionner », rassure ainsi Philippe Vigier, député (Modem) d’Eure-et-Loir particulièrement engagé sur les questions d’accès aux soins. « La carte vitale ne va pas s’arrêter, les soignants vont être payés, le système va tourner », prédit Bernard Jomier, sénateur (apparenté Parti socialiste) de Paris, qui s’est notamment impliqué ces dernières semaines sur une proposition de loi fixant des ratios de patients par soignant dans les hôpitaux.

Plusieurs scénarios sur la table

La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, à même estimé le 5 décembre sur France Inter que le PLFSS pouvait poursuivre sa navette parlementaire, dans le cadre d’une nouvelle lecture au palais Bourbon « avec une capacité d’amender ». Si ce scénario semble relativement improbable, d’autres sont sur la table. « On ne peut pas écarter l’hypothèse où un gouvernement est très vite nommé, est en capacité de reprendre les travaux parlementaires et de terminer l’adoption du PLFSS », imagine Bernard Jomier, sénateur (apparenté Parti socialiste) de Paris. Reste que pour ce généraliste, ce n’est pas l’option qui a le plus de chances d’advenir. Et sans texte budgétaire avant la fin de l’année, il faudra, pour continuer à débourser les montants nécessaires au financement des soins que les parlementaires votent en urgence une loi spéciale, explique Stéphanie Rist.

« Il y a une mesure obligatoire pour cela, c’est l’autorisation d’endettement de l’Acoss [Agence centrale des organismes de sécurité sociale, ndlr] », décrypte la députée, qui est aussi rhumatologue. En clair, l’un des articles du PLFSS autorise l’Acoss, qui fonctionne comme une banque des organismes de Sécurité sociale, à s’endetter pour financer les prestations. Or les comptes sociaux étant dans l’état déficitaire qu’on connaît, il est impossible pour l’Assurance maladie de poursuivre ses activités sans endettement. Point rassurant : cette loi spéciale a toutes les chances d’être adoptée selon Bernard Jomier, qui rappelle que les partis qui ont voté la censure ont assuré qu’ils ne s’opposeraient pas à un texte d’urgence sur l’Acoss.

Sans premier ministre, rien ne bouge

Si la loi spéciale est adoptée, on entre alors dans une période « d’exécution au douzième », c’est-à-dire mois par mois, de l’ancien budget, explique le sénateur parisien. Une situation qui selon lui « n’est pas problématique » si ça durée reste de l’ordre du trimestre. La grande inconnue, bien sûr, restant celle de la nomination d’un gouvernement. Tout le monde, y compris la présidente de l’Assemblée nationale dans l’interview à France Inter citée précédemment, demande au chef de l’État d’agir vite : les atermoiements qui ont précédé la nomination de Michel Barnier sont dans toutes les têtes. « Tant qu’il n’y a pas de premier ministre, rien ne bouge », confirme Philippe Vigier. Et ce pharmacien et biologiste d’ajouter qu’il est indispensable, pour envisager la suite, « d’avoir une équipe, de savoir qui sera nommé à la santé, etc. »

Car pour l’instant, la loi spéciale et l’exécution au douzième ne permettent que la prolongation de l’existant. Pour mettre en œuvre les différentes réformes que l’équipe de Michel Barnier avait prévues, il faudra un projet de loi rectificatif, que seule une nouvelle équipe gouvernementale, appuyée par un nombre suffisant de députés, sera en mesure de faire passer. Nul ne sait donc si les mesures les plus controversées du PLFSS (hausse du ticket modérateur, déremboursement de médicaments, plafonnement de l’intérim pour les infirmiers…) reviendront à l’ordre du jour. Et il en va de même pour les mesures qui faisaient davantage consensus (augmentation relative des financements en direction des Ehpads ou des soins palliatifs, par exemple).

« Les laboratoires pharmaceutiques, l’industrie du sucre, etc., tous sont ravis de voir que ce PLFSS ne sera pas adopté », souligne Bernard Jomier qui souligne que les déremboursements de médicaments ou la hausse des taxes sur les boissons sucrées qui figurant dans le texte n’avaient rien pour plaire à ces secteurs économiques. Reste à savoir si leur soulagement sera de courte durée… ou s’il s’agit pour eux d’une victoire aussi durable qu’inespérée.

Adrien Renaud

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