La longue carrière de Dominique Sanlaville, infirmier en psychiatrie, lui a permis d’observer comment la prise en charge des patients en psychiatrie a évolué ces dernières années. Dans ses livres, il déplore la façon dont la psychiatrie a oublié l’humain derrière le « fou ».
Dominique Sanlaville a publié cet été son troisième livre, « Psychiatrie, hôpital, prison, rue… Malades mentaux : la double peine », un ouvrage dans lequel il évoque la façon dont l’évolution de la prise en charge des personnes souffrant de maladies psychiques a conduit… à ne pas offrir de soins une partie d’entre elles, qui s’en trouvent fortement pénalisées.
A la retraite depuis 2016, il a ressenti le besoin de témoigner des changements auxquels il a assisté durant ses 40 ans de carrière.
Dans les années 1970, il a fait partie des étudiants qui ont suivi la formation d’infirmier de secteur psychiatrique, supprimée en 1992, à une période où ils étaient payés et « tout de suite en contact avec les patients ».
Il s’était d’abord tourné vers des études de psychologie mais s’est réorienté vers le soin en psychiatrie à une époque qu’il a trouvée passionnante, celle de l’antipsychiatrie et de l’organisation de la prise en charge autour du « secteur » et surtout de la personne malade, dans la société.
L’âge d’or du secteur
Diplômé en 1977, « je suis arrivé dans un hôpital tout neuf (près de Saint-Etienne, NDLR), sans barreaux au fenêtres », raconte-t-il. Il y a aimé « le contact avec les patients et avec les soignants, les internes, poursuit-il. Il y avait des projets de recherche, une émulation. On arrivait à faire vivre des gens dehors alors qu’ils étaient très fous et ça marchait. On travaillait beaucoup à l’extérieur de l’hôpital, le territoire était maillé, on allait voir les gens chez eux… On n’avait pas peur, malgré le danger parfois, parce qu’on travaillait de manière collective. »
Il a ensuite suivi de nombreuses formations et travaillé dans tous les services de psychiatrie sauf auprès des enfants : CMP, prison, hôpital de jour, long séjour, gérontopsychiatrie, addictologie… Au fond, « je n’ai jamais changé mais j’ai suivi et subi les restructurations » des services, souligne-t-il.
Pendant les dix dernières années de sa carrière, depuis le début des années 2000, Dominique Sanlaville a constaté que « la psychiatrie s’est complètement déshumanisée » en même temps qu’elle se « médicalisait ».
Un sujet qu’il évoque dans son second livre, « Retrouver le sens du soin en psychiatrie » (2018). Les fermetures de lits n’ont pas été accompagnées par le développement de la prise en charge à l’extérieur et sont concomitantes avec une évolution de la conception de la pathologie psychiatrique : « la folie a été vue différemment », résume l’ancien infirmier.
Les troubles et maladies psychiques ne sont plus considérées selon lui comme une souffrance qui s’inscrit « dans une famille, une vie, une société » mais comme une série de symptômes sans sens.
Pourtant, « les malades nous apprennent beaucoup, souligne-t-il par ailleurs, sur la connaissance de l’humain. On apprend beaucoup sur soi aussi en formation (et à leur contact, NDLR). Mais on ne se permet plus d’apprendre. On met des gants, on utilise des ordinateurs et on met avec le malade une distance » qui n’a, à son avis, rien de thérapeutique. « Le malade finit par faire peur », ajoute-t-il. Au point que les vigiles, « pas du tout formés aux soins », ont fait leur apparition dans les hôpitaux.
Peur du malade
Dans les services, il a observé un usage beaucoup plus fréquent et croissant de la contention et une tendance à prendre répondre en priorité aux troubles somatiques avec des traitements médicamenteux et une propension à raccourcir les séjours des patients, encouragée par la tarification à l’activité en vigueur dans les hôpitaux. « Il faut du rendement, du chiffre, déplore Dominique Sanlaville avec un peu d’amertume.Les gens n’ont plus d’importance. »
Lui cherche à diffuser une autre vision des soins psychiatriques. Auprès des étudiants en IFSI où il est parfois intervenu mais surtout dans ses livres, qui s’adressent à eux aussi car il aimerait les sensibiliser à une approche pas seulement somatique de la psychiatrie.
Après avoir présenté dans son premier ouvrage, « Tranches de vie en psychiatrie, Réflexions d’un infirmier » (2016), une galerie de portraits de patients souffrant de pathologies différentes, il a consacré le suivant, « Retrouver le sens du soin en psychiatrie » à évoquer l’évolution de la psychiatrie dans laquelle la relation humaine à reculé face aux traitements médicamenteux, aux neurosciences et à l’imagerie médicale.
Dans le dernier, publié cet été, il évoque les personnes qui souffrent de pathologies psychiatriques et ne sont pas prises en charges comme une part importante des personnes qui vivent dans la rue ou certains détenus… « On nous a fait croire qu’on allait créer des structures hors de l’hôpital mais elles ne sont pas venues, regrette Dominique Sanlaville. Il n’y a aucune prise en charge à l’extérieur et les malades se retrouvent dehors. C’est terrible ! C’est dangereux pour eux et beaucoup finissent en prison. Ils sont malades et sont punis pour cela, c’est la double peine… » Alors il écrit pour remettre de l’humain dans la prise en charge et redonner du sens aux symptômes car pour l’ex-infirmier, « ils traduisent une souffrance qu’il faut écouter ».
Géraldine Langlois
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