Communication thérapeutique, hypnose, création d’un jeu vidéo inédit… Autant d’initiatives créées ou portées par des infirmières anesthésistes de l’hôpital Femme-Enfant du CHU de Rennes. Reportage au cœur d’un service où fourmillent les idées pour lutter contre l’anxiété des patients.
Ylan, deux ans, patiente en salle de permutation avant d’entrer au bloc opératoire. Le bruit de la scie qui découpe le plâtre de sa petite voisine le laisse imperturbable. Et pour cause : il attrape des étoiles sur son jeu vidéo. Premier jeu en France conçu pour l’hôpital, Le Héros c’est toi, est né ici, à l’Hôpital-Sud, l’hôpital Femme-Enfant du CHU de Rennes, en 2014.
Ses créateurs sont les soignants d’Ylan : des infirmières et médecins anesthésistes réunis au sein de l’association Les P’tits Doudous.
Grâce au jeu, Ylan plonge de manière ludique dans ce monde parfois impressionnant qu’est l’hôpital. Dans les couloirs, il repère les images de girafes et d’avions avec Cédric, son brancardier. En permutation, un clic et la photo rassurante de papa et maman fait disparaître les coups de cafard. Au final ? Presque aucuns pleurs.
« Ce n’est pas qu’une succession de petits jeux pour faire passer le temps, il y a un lien entre le virtuel et le réel », explique David Blouin, infirmier-anesthésiste et membre des P’tits Doudous. Le but est de diminuer l’anxiété des enfants. « Le premier jeu a lieu lors de la prise de tension : l’enfant va gonfler un ballon pendant que le brassard gonfle. Cette agression va être transformée en un acte positif car l’enfant, en gonflant ce ballon, gagne des points », illustre l’infirmier.
Les antalgiques au placard
Fruit d’une aventure exceptionnelle (voir encadré), Le Héros c’est toi a transformé, les pratiques en anesthésie en diminuant considérablement la prémédication des enfants avec des antalgiques. « Avant, elle était systématique. Les enfants passaient des heures à dormir et avaient une amnésie complète de ce qui s’était passé. Aujourd’hui, on prescrit la tablette », explique Charlotte Donal, médecin anesthésiste membre des P’tits Doudous. « Comme l’enfant n’est plus prémédiqué, on essaye de faire les choses différemment », raconte David Blouin. « Avant, on l’allongeait pour l’endormir. Maintenant il est assis, il tient son masque et il respire seul. Nous sommes à côté, nous surveillons tout, mais c’est lui qui fait ».
« On est aussi convaincu que la tablette diminue les scores d’anxiété et les troubles du comportement post-opératoires. Il va falloir le montrer avec des données objectives », ajoute-t-elle. C’est l’objectif de l’enquête préliminaire Premi-Obs en cours, première étape d’une enquête plus large.
S’approprier le jeu
L’arrivée d’un jeu tel que Le héros c’est toi dans un service n’est pas simple, même quand il est à l’initiative de soignants. Utilisé de la chambre jusqu’à la salle de réveil, il influe sur le travail du personnel. Celui des aides-soignantes, notamment. Penchée aux côtés de Norah, huit ans, l’aide-soignante Sophie Ogier l’encourage à attraper les poissons sur l’écran. Une manière de distraire la fillette, effrayée par le retrait de son plâtre.
« La tablette désamorce le stress », confirme cette auxiliaire de puériculture. « Mais c’est parfois difficile de communiquer avec les enfants car ils sont derrière un écran. J’avais un peu de mal au début à interférer dans leur partie. Il a fallu s’adapter pour couper le jeu et reprendre le contact », témoigne-t-elle. Pour Charlotte Donal, médecin anesthésiste, la tablette s’est au contraire révélée « un point d’appel pour entrer dans le monde de l’enfant, ça nous crée un point commun ».
De l’infirmière à l’anesthésiste, tous formés
Si une association comme les P’tits Doudous a vu le jour dans ce service d’anesthésie, c’est grâce au dynamisme de ses soignants, mais pas seulement. Le lieu possède en effet une dynamique qui favorise les initiatives. Il a ainsi été précurseur en matière d’hypnose grâce aux formations dispensées par Marie-Madeleine Lucas, longtemps médecin anesthésiste dans ce service et pionnière dans le domaine. Aujourd’hui, près de la moitié du personnel anesthésiste est formé à l’hypnose. Il en va de même pour la communication thérapeutique. Infirmière anesthésiste, Valérie Perron anime depuis plusieurs années deux ateliers par an avec une collègue IADE et un médecin anesthésiste. « Que ce soit le personnel du bloc, de salle de réveil ou d’ambulatoire, tout le circuit du patient se retrouve formé », explique-t-elle.
Bannissement des mots négatifs pour parler aux malades, attention aux postures de communication, souci de rendre le patient acteur… Autant de bonnes pratiques devenues des réflexes dans cette partie de l’hôpital. « Ça a tout changé », estime Sophie Ogier, aide-soignante formée à la communication thérapeutique. « À chaque moment, on réfléchit aux mots employés, on se met à la place du patient. En tant que soignant, on ne ressent pas la peur qu’ils peuvent avoir. Cette formation nous en fait prendre conscience », s’enthousiasme-t-elle.
Dans le calme de la salle de réveil, Valérie Perron navigue d’un lit à l’autre avec douceur. Elle est arrivée en 2012 au CHU de Rennes. En quinze ans de carrière, « c’est la première fois que je mets ce type de chose en place », explique l’infirmière. Pourquoi ici et pas ailleurs ? « Il y a le soutien de la cadre : elle envoie beaucoup de gens en formation, elle nous libère du temps, des locaux… Et la caution médicale est aussi essentielle (les formations se font en binôme médecin-IADE, ndlr) ».
« Ce n’est pas le pays des Bisounours »
Jonglant entre son téléphone et ses piles de dossiers, Nelly Le Duff, cadre du service anesthésie, a plusieurs explications au foisonnement d’initiatives dans son service. La taille modérée de l’Hôpital-Sud, à l’écart du reste du vaste CHU rennais, favorise sa dimension humaine.
« Au niveau de notre bloc, on est presque tous sur le même pallier. Les équipes se voient, cela donne une cohésion. En anesthésie, l’équipe est stable et investie. Il y a aussi la dimension pédiatrique : le regard qu’on a sur l’enfant malade est spécifique ». Ce n’est donc pas un hasard que toutes ces actions soient orientées vers la douleur et l’anxiété des petits patients.
Mais l’ancienne infirmière, cadre expérimentée au caractère bien trempé, souligne aussi l’importance du management. « On ne peut pas mettre en place des projets tout seul dans son coin. Il faut l’adhésion de l’équipe sur tout le parcours du patient, sinon ça capote », estime Nelly Le Duff. « L’encadrement est essentiel pour mettre en place les initiatives des personnels. Le rôle du cadre est de mettre en musique les expertises et, parfois, de dire non. On n’est pas au pays des Bisounours », martèle la cadre. Le nerfs de la guerre ? « La gestion des ressources humaines car on n’a pas de personnel en plus ».
Dégager du temps pour assurer réunions, formations ou déplacement relève souvent de la quadrature du cercle. « Mais manager des projets de ce type tire les personnels vers le haut », souligne la cadre.
L’aventure extraordinaire des P’tits Doudous
Tout est parti d’un e-mail. Celui envoyé un soir par Nolwenn Febvre, infirmière anesthésiste, au fabricant de peluches Moulin Roty. Sa demande ? Un don de doudous pour les enfants du CHU. « Je n’en pouvais plus de les entendre pleurer. Je me suis dit qu’on pouvait peut-être agir pour éviter ça », explique-t-elle. À sa grande surprise, l’entreprise lui envoie un carton de peluches. Le succès est immédiat auprès des enfants hospitalisés.
Mais une fois le carton épuisé, que faire ? Avec ses collègues, Nolwenn Febvre se creuse les méninges. En discutant au bloc, l’idée de recycler le cuivre des fils de bistouri émerge. « On a fait passer le message aux collègues et là un truc de fou s’est passé : tout le monde s’est mis à recycler », se rappelle l’infirmière. L’association Les P’tits Doudous naît en 2011 : l’aventure est lancée. Aujourd’hui, le recyclage de certains métaux issus du bloc opératoire permet de financer des doudous pour les 4 500 enfants opérés chaque année dans l’hôpital.
Jamais à court d’idées, Nolwenn Febvre veut aller plus loin pour soulager les enfants. Pourquoi ne pas transformer leur parcours de soins en jeu ? Avec ses collègues de l’association, elle active ses réseaux d’amis. Un designer bordelais entre en jeu, des ingénieurs de l’entreprise rennaise Niji s’investissent. Le premier prix de la fondation B. Braun apporte le coup de pouce financier. Le Héros, c’est toi voit le jour en 2014. Grâce aux 78 000 euros récoltés l’an dernier sur la plateforme participative Ulule, il est aujourd’hui distribué dans une quinzaine d’hôpitaux où des associations P’tits doudous ont vu le jour.
Cet article est initialement paru dans le n°22 (sept 2016) d’ ActuSoins Magazine.
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