Interruption des visites dans les services pendant la crise : paroles de soignants #2

Le confinement a obligé les établissements recevant des patients ou hébergeant des résidents à suspendre toutes les visites de leurs proches, familles ou amis. Une situation douloureuse pour les uns, apaisante pour une minorité et source de questionnements pour les soignants. Ils ont généralement fait tout ce qui était possible pour atténuer les effets de cette solitude.

Interruption des visites dans les services pendant la crise : paroles de soignants #2« Certains patients se sont adaptés très facilement »

Sylvie*, infirmière en hospitalisation psychiatrique

« On s'attendait à ce que la suspension des visites (et des sorties) soit très difficile mais nous avons été assez surpris, finalement, car certains patients s'y sont adaptés très facilement.

Il faut dire que certains sont très isolés socialement et reçoivent peu de visites. Tout le monde était donc logé à la même enseigne.

Le confinement a aussi permis de canaliser certains patients pour qui les grands espaces et les grandes libertés peuvent être compliqués à gérer. Pour d'autres, nous avons réfléchi en équipe aux moyens de relâcher la pression. L'anniversaire d'une patiente est tombé pendant le confinement. Nous avons organisé une rencontre avec sa famille de part et d'autre d'une grande fenêtre, qu'on a entrouverte : elle était à l'intérieur et eux à l'extérieur, tous avec des masques et dans le respect des gestes barrière. Ils ont pu se parler.

Comme les familles n'avaient plus le droit d'entrer dans le service, nous avons également beaucoup géré les « livraisons » de leur part pour les patients, notamment les échanges de linge propre et sale. Et les transmissions d'informations. Ce qui a été le plus compliqué à gérer concerne le tabac, qui joue chez beaucoup un rôle de stabilisateur. Sans visite ni sortie, les patients ne pouvaient plus s'approvisionner...

Nous avons eu beaucoup de réflexions éthiques, et nous en avons toujours, notamment sur le droit de circulation des patients. En effet, ils savent très bien que le déconfinement a commencé mais le service, lui, est toujours fermé... »

Des exceptions pour les patients en syndrome de glissement

Fiona, infirmière en neurologie

« Certains patients du service ont assez mal vécu le confinement. Des jeunes ont manifesté de l'agacement et de la tristesse mais ils avaient des moyens de communication.

Ce n'était pas le cas de certains patients âgés qui se sont sentis abandonnés et pour qui utiliser Whatsapp, qu'on a installé sur beaucoup de téléphones, était compliqué.

On avait passait un peu plus de temps dans les chambres. Mais certains patients patients âgés ont présenté un syndrome de glissement qui pouvait mettre leur vie en danger.

Comme on n'était pas un service « Covid », on ne savait pas vraiment ce qu'on pouvait faire au sujet des visites. Alors on a décidé en équipe que si l'isolement avait une répercussion négative sur la santé des patients, on autoriserait une personne, une seule, à venir rendre visite au patient.

L'état d'un patient très âgé, dont la famille vivait loin de la région, s'est rapidement dégradé quand il a arrêté de manger, refusé de se lever, etc. Il demandait à voir son voisin, qu'il voyait chez lui tous les jours depuis des années et les conversations téléphoniques avec lui, plusieurs fois par jour, ne suffisaient plus.

En équipe, nous avons pris la décision d'appeler son fils qui a autorisé la visite du voisin. Nous l'avons contacté et il est arrivé deux heures plus tard. Et il est revenu ensuite tous les jours. On a bien vu la différence sur le moral du patient : il a littéralement repris goût à la vie ! »

La visio n'était pas du tout adaptée à certains résidents

Arnaud, infirmier en Ehpad

« Pendant le confinement, nous avons vu des personnes présenter des troubles du comportement qu'elles n'avaient jamais eu.

Comme cette dame de 95 ans, habituellement bien orientée. Tout à coup, elle s'est sentie persécutée et abandonnée. Elle demandait pourquoi personne ne venait plus la voir. Au téléphone avec ses proches elle avait des paroles très dures.

Ses enfants le vivaient très mal. Son cas n'est pas isolé : des résidents ont perdu le sens du temps et des lieux. Il faut dire qu'ils avaient aussi moins de contacts en général. Avec les autres résidents puisqu'ils devaient rester dans leurs chambres et y mangeaient. Et avec les soignants car a présence soignante dans les chambres était minimisée.

Pour maintenir les lien des résidents avec l'extérieur, on a fait tout ce qu'on a pu avec ce qu'on avait. Grâce aux tablettes reçues de l'ARS, les animatrices ont établi un planning de rendez-vous en visio.

C'était adapté à certains résidents mais pas du tout à d'autres, notamment ceux dont la vision et/ou l'audition sont altérés ou qui ne comprenaient pas comment cela fonctionnait.

Les visites ont été autorisées dans les situations de fin de vie, sur décision du médecin coordonateur. On a donc laissé venir quelques personnes, une par une ou deux par deux.

On contrôlait leur température et leur éventuels symptômes à l'entrée, elles devaient se laver les mains et mettre une surblouse et un masque FFP2. Elles étaient accompagnés jusqu'à la chambre du résident pour qu'elles ne touchent à rien.

Quand il y a eu des décès, cela a été difficile. Les familles voulaient voir la personne et ce n'était pas possible. »

La solitude "choquante" des patients en réa

Sylvie, libérale en renfort dans un service de réa

« J'ai été choquée par la solitude des patients. Ils étaient vraiment seuls.

Et même après le décès, personne ne pouvait venir les voir. C'était triste.

En libéral, je fais souvent des soins de fin de vie ou des soins palliatifs. On appelle la famille assez tôt et les patients sont généralement entourés par leurs proches. Ils parlent à la personne, même si elle est dans le coma.

Peut-être est-ce parce que je travaille en libéral de cette manière que cela m'a touchée. Dans le service de réa, personne n'avait le droit d'entrer, pas même le conjoint des personnes en fin de vie.

Les familles appelaient et nous leur donnions des nouvelles, plusieurs fois par jour si elles voulaient. C'était une période très compliquée et très intense, mais on aurait peut-être pu laisser venir une personne dire au revoir.

On aurait pu l'équiper... Mais le protocole était très strict. Et au final, les personnes qui sont décédées dans le service n'ont pas vu leurs proches à partir du moment où elles y sont arrivées. La seule voix que les patients entendaient au moment de leur mort était celle des soignants.

Ils ne partaient pas sereinement... »

Propos recueillis par Géraldine Langlois

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*Certains prénoms ont été changés.

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