EHPAD : Paroles de soignants #1

Manque de matériel pour les soignants, rétention d'information de la part de certaines directions, pression pour des admissions, et, plus positivement initiatives de soignants pour pallier le sentiment de solitude des résidents...

EHPAD : Paroles de soignants

© Shutterstock

Pour cette série "Paroles de soignants", ActuSoins a recueilli des témoignages d'infirmiers exerçant en Ehpad, très concernés aussi par l'épidémie de Covid-19. 

 « C’est Dieu qui choisit si on doit vivre ou non ». 

Carole* est infirmière.  Face à l’ampleur de la crise sanitaire, elle a décidé d'interrompre son congé parental.  C'était un ressenti : aider ses collègues et soigner faisaient plus que jamais sens pour elle. Il fallait qu’elle mette à profit ses compétences pour soulager le système, à son niveau. Mais très vite, c’est la désillusion.

« Après avoir décidé de reprendre le travail par le biais de l’intérim, j’ai été envoyée pour une nuit, dans un Ehpad parisien.

Je m’y rends. Il y a, là-bas, 500 résidents. D'emblée, on m’annonce que je serai seule à faire le travail que d'habitude, quatre infirmières se partagent. Il y a avec moi quelques aides-soignantes. L’une d’elles me dit immédiatement que "plus personne" ne veut se rendre dans cet endroit. On y passe une nuit, et on ne revient pas, m’affirme-t-elle.

Après m'être changée pour prendre mon service, je ne rencontre pas mes collègues du poste de jour. Je ne sais même pas si quelqu’un était présent avant moi. Je n’ai ni transmission, ni fiche de poste, ni code pour accéder aux dossiers informatisés.

On me dit que la cadre de santé est en arrêt maladie et que je ne pourrai donc pas la joindre. Je suis redirigée vers une responsable administrative, qui me propose, en soupirant, d’ignorer les traitements et de gérer uniquement les urgences. Pressée, elle me suggère aussi de continuer la conversation avec les aides-soignantes du service. A sa désinvolture, je comprends que je l'ai dérangée. 

Je suis mal à l’aise avec cette situation. Il se passe quelque chose que j’ignore et que l'on me cache sciemment, j’en suis certaine. Je me rends compte alors que beaucoup de chambres sont vides. Les aides-soignantes me parlent de « transferts », ne voulant pas en dire davantage. Finalement, l’une d’elle me lâche, à demi-mots et très discrètement, qu’il y a eu beaucoup de décès liés au Covid, que le personnel a été très touché aussi. Je comprends enfin la raison de cette impression de vide et de ces non-dits, si flagrants.

En passant dans les couloirs, j’entends l’agonie. Les personnes âgées crient, appellent, se meurent. Rien n’est fait pour soulager leurs souffrances. Je contacte de nouveau la seule personne responsable qui m’avait répondu préalablement au téléphone. J’exige des informations et des transmissions, écrites ou orales, sur mes patients. Je veux aussi savoir qui sont les résidents atteints ou suspectés d’être porteurs du Covid. "Tous", me répond-elle, avec le même ton désinvolte.

Personne ne m’avait prévenue. Je récupère avec difficulté un masque. Un seul. Un masque chirurgical supposé me protéger toute la nuit, alors-même que je pense que seul un masque FFP2 pourrait m'être utile en cas de soins invasifs. Je n’ai toujours aucune consigne, aucun traitement à administrer, aucun soin à prodiguer. 

Je crois vivre un cauchemar. La situation est déplorable. Les aides-soignantes ne sont pas protégées non plus. "C’est Dieu qui choisit si on doit vivre ou non", me lance-t-on lorsque "j'ose" remettre en question ces habitudes»

Carole, le cœur lourd, a finalement interrompu sa mission. Elle ne voulait mettre ni sa vie en danger, ni son diplôme. Elle a signalé la situation à tous les niveaux.

« Fin février, j’ai commandé 80 flacons de SHA. Tous ont été ré-acheminés vers les bureaux de vote. Depuis, nous n’avons rien reçu. »

Cécile* est infirmière dans un Ehpad de la fonction publique territoriale situé en Pays-de-la Loire. Si, pour l’instant, aucun de ses résidents n’a, a priori,  été touché par le Covid, elle s’inquiète de l’impossibilité d’agir sur les besoins nouveaux en matériel : régulièrement, de nouvelles personnes âgées, venues des CHU ou des SSR, sont admises dans sa structure.

« Rien ne permet de savoir si les personnes dont nous nous occupons sont porteuses du virus, car aucun dépistage n’est permis. Chez les personnes âgées, les symptômes peuvent pourtant prendre différentes formes. On pourrait facilement passer à côté d’un cas et mettre tout le monde en danger », indique Cécile.

« Tous nos résidents sont confinés. Mais il y a des arrivées régulières. Et nous n’avons presque rien pour non protéger. Nous disposons  exactement de douze surblouses pour une période indéfinie, alors que nous sommes 21 professionnels à travailler chaque jour. S’il n’y avait qu’un seul cas de Covid -19 dans la structure, nous aurions besoin de 40 surblouses par jour au minimum, soit plus de 1200 par mois. On est loin du compte !

C’est sans parler de l’hygiène de mains. Fin février, j’ai commandé 80 flacons de solution hydro-alcoolique. Tous ont été ré-acheminés vers les bureaux de vote pour les élections municipales. Nous n’en avons reçu aucun et nous avons dû acheter du gel lavant dans un supermarché. Nos mains sont dans un état déplorable.

Autre problème :  nous détenons quelques masques chirurgicaux grâce aux dons seulement : un médecin nous a donné 200 masques, une entreprise locale nous en a promis aussi. Mais rien n’est arrivé par la filière classique institutionnelle ! Nous allons être à court », ajoute Cécile.

Côté FFP2 ? « On nous a clairement dit qu’on ne pouvait pas en commander car il y en avait déjà en stock dans les sous-sols. J’y suis allée : tous sont périmés depuis 10/15 ans. Ils sont moisis. Pourtant le discours reste le même. ‘’Vous n’en avez pas besoin’’, nous dit-on.

Je m’inquiète aussi de la pénurie possible de thérapeutiques. Les commandes aux officines sont limitées à une consommation « usuelle ». Les productions aussi.  Il va y avoir des ruptures de stocks, c’est évident. »

Cécile appelle à une meilleure considération de la situation. « Il ne faut pas oublier les EHPAD et le médico-social ! Les soignants sont tous exposés, quel que soit leur lieu d’exercice ».

« Il faut penser à la solitude de nos vieux »

Laura* est infirmière en Touraine . Alors que tous les résidents de son Ehpad sont confinés, elle constate une majoration du sentiment de solitude et de détresse morale chez les personnes âgées. Allant jusqu’aux crises d’angoisse. En tant que soignante, elle regrette de ne plus pouvoir accompagner la fin de vie et la mort dans de bonnes conditions.

« "Je préfererais mourir en contractant le virus et pouvoir voir ma famille, plutôt que de ne plus avoir de visites. De toute façon, il ne me reste plus longtemps à vivre", m’a lancé il y a quelques jours l’un de nos résidents.

Ici, on fait tout pour que les personnes âgées se sentent bien. Depuis le confinement, nous avons d’ailleurs mis en place des animations dans les couloirs. Nous les invitons à y participer de leurs chambres. On organise ainsi des lotos et d’autres jeux variés et tout le monde crie pour s’entendre. C’est assez drôle et il y a de l’ambiance. Nous proposons aussi aux familles de contacter leurs parents par Skype, et ça fonctionne.

Malgré cela, les résidents se sentent bien plus seuls qu’avant. Ils souffrent de l’absence de visites. Certains comprennent et patientent. D’autres, centenaires, nous disent qu’on en fait trop. Que nous ne connaissons pas la guerre, la " vraie".

Par ailleurs, les anciens ont des habitudes : se faire la bise, nous tenir la main… Ils ont besoin d’être touchés pour se sentir exister. Ce n’est plus possible à présent.

L'une de nos résidentes a perdu son mari, puis son fils, il y a quelques mois. Quelle tristesse ! Avant le confinement, elle commençait à aller mieux car on avait trouvé quelques rituels qui lui convenaient. Nous commencions d’ailleurs à la sevrer progressivement de sa consommation d’anxiolitiques. Aujourd’hui, avec le confinement, on a dû augmenter les doses. C’est terrible.

Nous nous retrouvons impuissants face à ces détresses. Le plus dur pour nous, soignants : ne plus accompagner jusqu’au bout de la prise en charge. Au moindre cas suspect de covid, nous n’assurons pas la toilette mortuaire. Les familles, avant et après le décès, ne peuvent pas toucher aux corps non plus. Ni contact, ni embrassades… Comment dire au revoir correctement dans ces cas-là ? »

M.S

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*les prénoms ont été modifiés. 

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Réactions

1 réponse pour “EHPAD : Paroles de soignants #1”

  1. Lionel-13 dit :

    Bonjour
    .
    Merci pour cette compilation de témoignages très touchants…!
    🙁
    Faire au mieux pour s’occuper de nos aînés revêt parfois des côtés troublants…!
    https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/coronavirus-l-euthanasie-est-elle-facilitee-dans-les-ehpad-7800366685
    🙁
    Les autorités ont trouvées des manières polies pour qualifier une pénurie de tension…
    Au moins apprendrons nous de ces subtilités de langages, pour comprendre la réalité du terrain.

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