Urgences : où va la grève ?

Après six mois de grève et trois salves d’annonces ministérielles, la pression ne retombe pas dans les services d’urgences. À tel point qu’on se demande désormais ce qui pourrait pousser le mouvement coordonné par le collectif Inter-urgences à s’arrêter.

Urgences : où va la grève ?

La grève qui s’est déclarée dans les services d’urgences au mois de mars dernier ressemble à une pièce de théâtre dans laquelle chaque acte se terminerait de la même façon.

Acte I : en juin, la ministre propose aux grévistes une prime de 100 euros mensuels nets. La grève continue.

Acte II : changement de décor, la ministre est début septembre en déplacement au CHU de Poitiers et propose notamment d’avoir recours aux Infirmiers de pratique avancée (IPA) et aux protocoles de coopération. La grève continue.

Acte III : la ministre annonce le 9 septembre un plan en douze mesures qui, tel un deus ex machina, doit aboutir à un heureux dénouement et déboucher sur une « refondation » des urgences. La grève continue.

Pire : au fur et à mesure que les mois passent, les chiffres annoncés par les grévistes augmentent. Le compteur du collectif Inter-urgences, qui affichait 65 services mobilisés au mois de mai et 203 au mois de juillet, en recensait 264 le 29 septembre dernier. Le mouvement est donc massif : il touche plus de la moitié des 482 services d’urgence que comptent les établissements publics sur l’ensemble du territoire.

On pourrait croire qu’au sein des établissements, la grève est le fait de quelques syndicalistes minoritaires mais ultra-motivés. C’est loin d’être le cas, du moins si l’on en croit baromètre « Carnet de santé » réalisé par Odoxa pour la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH), dont les résultats ont été dévoilés dimanche. En effet, d’après cette enquête auprès de 1082 professionnels hospitaliers (dont 530 infirmiers), 93 % des soignants soutiennent le mouvement, et 86 % estiment que le plan Buzyn est insatisfaisant.

Incompréhension mutuelle

Il faut dire que les grévistes et le ministère de la Santé ne semblent pas parler le même langage. Les principales revendications du collectif Inter-urgences portent sur l’augmentation des moyens : plus de lits d’aval, plus de lits dans les services pour arrêter les « hospitalisations-brancard », plus de personnel dans les services, moins de recours aux contrats précaires, augmentation de salaire de 300 euros… Ce à quoi Agnès Buzyn répond par des mesures relevant de l’organisation des soins : amélioration de la gestion des lits,  meilleur accueil des personnes âgées, refonte de la régulation, accélération des transferts de tâche, création du métier d’IPA urgentiste…

C’est pourquoi le « pacte de refondation des urgences » présenté le 9 septembre, pourtant doté de 754 millions d’euros sur trois ans, a tant de mal à convaincre. « On raisonne à enveloppe fermée, ces 754 millions seront pris ailleurs, et ça retombera toujours sur le dos de l’hôpital », déplore Hugo Huon, président du collectif Inter-urgences. « Des réorganisations à moyen constant, on en a déjà fait, et on sait où ça nous mène. »

Souffrance dans les services

Reste que tout le monde ne partage pas la critique radicale du collectif Inter-urgences. Pour Bruno Lamy par exemple, infirmier et secrétaire général adjoint de la fédération « Santé-sociaux » de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), la réponse gouvernementale au mouvement social des urgences « ne doit pas être rejetée en bloc », certaines mesures pouvant porter leurs fruits « à moyen ou long terme ».

Mais cela n’empêche pas le responsable syndical de comprendre les raisons du mouvement de grève. « La souffrance dans les services d’urgences est une réalité », analyse-t-il.« Mais elle doit être mesurée localement ». C’est pourquoi la CFDT, loin de se tenir totalement à l’écart de la mobilisation, s’associe ponctuellement à des mouvements locaux, parfois antérieurs à la mobilisation actuelle, sur des questions diverses. « Il peut s’agir de la question de la sécurité, de l’administratif, du matériel, des bâtiments, du manque d’un infirmier d’orientation… », énumère Bruno Lamy.

Reste qu’en dépit des divergences sur la stratégie à adopter, la CFDT rejoint le collectif Inter-urgences sur un point : le nerf de la guerre est financier. « Il est temps de faire un grand mouvement de l’ensemble du secteur sanitaire et médico-social, associant public et privé, sur l’axe montant qui semble être l’axe financier », explique Bruno Lamy. « Stop, ça suffit, il faut que le gouvernement accepte de faire des investissements plus importants sur notre secteur ». La CFDT annonce d’ailleurs une journée d’action le 8 octobre sur le sujet.

Le couperet de l’Ondam

Que l’on soit gréviste, ou non, il semble donc bien qu’il existe un consensus sur la nécessité d’allouer davantage de moyens à l’hôpital. « Ce qu’il faut, c’est augmenter l’Ondam (Objectif national de dépenses de l’Assurance maladie, voir les explications ici, ndlr) », déclarait il y a quelques jours à ActuSoins le Dr Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf). « On va voir avec le PLFSS (Projet de loi de financement de la Sécurité sociale, ndlr) en cours de préparation si le gouvernement a compris le message. »

Or depuis, Patrick Pelloux a obtenu une partie de la réponse : en dévoilant le PLFSS pour l’année 2020 ce lundi, la ministre de la Santé Agnès Buzyn et le ministre de l’Action et des Comptes publics Gérald Darmanin ont annoncé que l’Ondam ne progresserait que de 2,3 % l’année prochaine (contre 2,5% cette année), et que cela se traduirait par un effort d’économie de 4,2 milliards d’euros.

Et dans ce tableau déjà sombre, il semblerait que les établissements de santé soient les moins bien lotis : l’Ondam hospitalier ne progressera en effet en 2020 que de 2,1 %, contre 2,4 % pour les soins de ville et 2,8 % pour le médico-social. La stratégie ministérielle reste donc de raisonner « à enveloppe fermée », pour reprendre les termes d’Hugo Huon. Dans ces conditions, les grévistes n’ont aucune raison de s’arrêter : on ne sait pas où va la grève, mais elle y va.

Adrien Renaud

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