Réforme des retraites : « Soit on se mobilise, soit on meurt »

Rentrée sociale chargée pour le gouvernement. Ce lundi 16 septembre, les professions libérales défilaient dans la rue pour dénoncer la réforme des retraites qui leur sera défavorable et défendre leur régime autonome. Avocats, personnel de l’air, mais aussi professions paramédicales défilaient ensemble à Paris. Bien sûr, les infirmières libérales étaient présentes, déterminées à défendre leur avenir.

Réforme des retraites : « Soit on se mobilise, soit on meurt »

© Page facebook Unidel

En ce début d’après-midi, le chaud soleil de septembre ne fait qu’augmenter encore un peu plus la température des revendications, chez les esprits échaudés des infirmiers libéraux présents place de l’Opéra, à Paris. Parmi l’océan de robes noires - celles des avocats-, un petit noyau de blouses blanches détonnent sous le ballon syndical de Convergence Infirmière.

Ghislaine Sicre, sa présidente, s’affaire avec les panneaux et répond aux interviews des journalistes. « Me faire taire, c’est compliqué ! » s’amuse-t-elle avant de rejoindre son char.

Autour d’elle, d’autres infirmiers membres de Convergence Infirmière se préparent avant le départ du cortège, à l’instar de Hafsa Nemmoul, 41 ans, infirmière libérale depuis 2007. « On nous demande des cotisations de plus en plus importantes [pour passer de 14 à 28 %, ndlr], qui vont restreindre notre pouvoir d’achat. Ma grande crainte, c’est de voir la profession disparaître. Avec ces nouvelles conditions, les jeunes ne voudront plus venir travailler », glisse-t-elle, son brassard syndical sur le dos.

A ses côtés, Thierry Péchey, 55 ans, responsable régional du syndicat, partage ses craintes. Cet infirmier libéral exerçant depuis trente ans dans l’agglomération de Nancy a effectué ses petits calculs. Avec cette réforme, il paiera plus 7000 euros annuels en plus. Une augmentation considérable qui le mettra « en grande difficultés financières ». Ghislaine Sicre parle même de la moitié des cabinets libéraux dans l’obligation de fermer leurs portes. Jean-Sébastien, 44 ans, venu de Marseille, ressent de l’injustice. « L’État veut faire main basse sur notre réserve d’argent [de la Carpimko, ndlr]. C’est la goutte de trop, parmi d’autres points qui me posent problème comme les problématiques de concurrence déloyale ou la réingénierie du diplôme d’aide-soignant ». 

De futures reconversions en masse ?

«Si la réforme est adoptée, je penserai à une reconversion professionnelle. Quand on rentre dans ce métier, on se dit qu’on est vraiment fait pour cette profession, mais je ne vais pas travailler pour rien. Il me faudra peut-être envisager une alternative », lâche Hafsa Nemmoul, à regret.

Cette réflexion, elle n’est pas la seule à se la faire. Isabelle, 46 ans, venue de Roanne avec son remplaçant Sébastien, 43 ans, est même allée plus loin dans la démarche. « J’envisage d’ouvrir un bar à vin. Une façon d’apporter du bien-être aux gens, mais sous une autre forme. » Dans le cortège, Corinne est elle aussi catégorique. Membre de l’Unidel, elle est venue défiler avec sa collègue Lisa. « Pour moi, c’est clair. Si dans trois ans la réforme passe, j’arrête tout ! Je travaillerai pour payer mes charges ! » Avec en moyenne 350 euros de pouvoir d’achat mensuel en moins, les fins de mois promettent en effet d’être compliquées pour les infirmières libérales.

Une participation limitée

« Venir pour moi était une évidence, précise Hafsa Nemmoul, venue spécialement pour la journée de province. Dans mon cabinet, nous sommes deux. Ma collègue travaille aujourd’hui, nous partageons les mêmes convictions. Elle m’envoie des messages et participe virtuellement ! » Pas le choix, en effet, compte-tenu de l’obligation de continuité des soins, nombre d’infirmiers libéraux n’ont pas pu se rendre disponibles. « Contrairement aux avocats, nous ne pouvons pas fermer notre cabinet», compare Thierry Pechey, pas effrayé pour un sous par la perspective d’une longue journée de revendications et d’un retour ce soir à Nancy.

Mais Sébastien, non syndiqué pour le moment, est déçu de la faible mobilisation de sa profession. « Sur Facebook, le groupe ‘’Manifestation 16 septembre’’ comptait 9000 membres de toutes professions libérales, et parmi eux, nous avions dénombré 260 infirmières libérales décidées à venir », raconte-t-il.  Autour de lui, pourtant, peu de blouses blanches. « C’est méga triste », confie-t-il.

Autre souci, pour Isabelle : « beaucoup d’infirmières avec qui j’ai échangé n’étaient même pas au courant de la réforme et de ses conséquences », déplore-t-elle. Cécile, 48 ans, a expérimenté l’incrédulité de sa remplaçante. « Elle est tellement persuadée que le doublement des cotisations ne pourra pas passer, qu’elle n’a pas jugé nécessaire de venir. Je ne comprends pas comment elle peut ne pas y croire ! », s’étonne-t-elle.

« C’est dur de mobiliser. On a tous la tête dans le guidon », analyse Jean-Sébastien de son côté. C’est pourtant une nécessité. « Soit on se mobilise, soit on meurt », assène-t-il, avant de se remettre à défiler, portant un slogan avec un autre membre de Convergence Infirmière, Judicaël Feigueux, 46 ans, également trésorier adjoint national du syndicat. « Sur 120 000 infirmières libérales, partant du principe que beaucoup travaillent en binôme, on peut compter sur 60 000 manifestants potentiels. Effectivement, on en est loin aujourd’hui », assène-t-il, pourtant déterminé et enthousiaste à l’idée d’un combat mené collectivement avec d’autres professions.

Une profession divisée

« Je suis assez déçu que certains syndicats représentatifs [la FNI a fait savoir qu’il ne participerait pas au mouvement du 16 septembre, ndlr] n’aient pas soutenu l’événement, reconnaît-il. La division fait mal à la profession. Je comprends pourtant la volonté de continuer à négocier ».

De son côté, il souhaiterait simplement « qu’on nous laisse gérer nos caisses, puisqu’on ne coûte rien à l’État ». L’image de « nantis » des infirmières libérales, il aimerait la casser. « Nous n’avons toujours pas les mêmes droits : nous continuons d’avoir 90 jours de carence en cas de maladie, nous n’avons pas d’assurance-chômage, pas de couverture en cas d’accident du travail », déplore-t-il. La coupe est pleine. « Aujourd’hui n’est qu’une première journée de mobilisation », précise-t-il. Son souhait ? Gagner tout doucement en visibilité… et en mobilisation. « Ce gouvernement a tendance à faire durer les mouvements sociaux et à laisser les gens s’épuiser, mais nous resterons mobilisés sur le terrain tout le temps où la réforme sera discutée, afin de faire changer la réforme telle qu’elle est proposée. »

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Delphine Bauer

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