Vos blogs : Dans le couloir – pensées d’un aide-soignant

Vos blogs : Dans le couloir – pensées d’un aide-soignant

Les soignants sont de plus en plus nombreux à transmettre leur vécu et leur expérience à travers des blogs, des livres ou même des scénarios. ActuSoins à toujours eu à coeur de mettre en lumière et de partager ces écrits. Aujourd’hui, nous vous présentons un billet, proposé par Alexis, aide-soignant. Alexis tient une page FaceBook intitulée Dans le couloir- Pensées d’un aide-soignant. Dans ses récits, il ouvre les portes des chambres des hôpitaux et raconte les histoires qu’il n’a pas voulu oublier. 

Vos blogs : Dans le couloir - pensées d'un aide-soignantChambre 150

Au milieu du couloir, l’atmosphère est fébrile comme dans les minutes qui précédent une entrée sur scène. Chacun à leur manière, les soignants se préparent à fouler le linoléum des chambres. Les acteurs d’un jour ajoutent les derniers accessoires indispensables à leur chariot de soins. Planté au milieu de la coursive, ce chariot est un décor mobile qui tient un rôle central.
 
Afin que chacun puisse respecter le tempo et exécuter à la perfection le pas de deux quotidien, quelques barres chocolatées ainsi que des boissons énergisantes assurent le réconfort du pancréas et du foie qui n’accordent plus leurs violons à l’approche de l’entracte. Vu la longueur de certaines représentations, mieux vaut ne pas chercher à soigner sa ligne mais plutôt sa mine car le public, attentif tout autant qu’exigeant, des patients, ne saurait tolérer un faux pas dans l’exécution de la chorégraphie hospitalière.
 
Dans les coulisses, en amont des trois coups donnés sur chaque porte de chambre, l’ambiance frénétique est rythmée par la bande sonore éraillée des téléphones du service mais aussi, parfois, par les envolées lyriques du cadre de santé reconverti en un implacable Lully, maître de ballet.
 
Comme dans tout spectacle, une attention particulière est accordée à l’esthétique. Ainsi, les acteurs sont invités à soigner leur apparence et leur costume de scène se doit d’être immaculé. Quant à la liberté artistique, elle est accordée dans l’art de la customisation, domaine dans lequel certains excellent, au grand dam de l’infirmier hygiéniste qui occupe la fonction de chef costumier inflexible : on ne badine pas avec la blouse !
 
En première partie de matinée, tels des ouvreurs distribuant des en-cas sucrés au public, des aides-soignants en costume de scène offrent un petit-déjeuner qui réveille les muscles de la troupe et chauffe une salle comble de patients jusqu’alors engourdis de sommeil.
 
Le binôme du jour, un duo infirmier/aide-soignant fraîchement formé, se répète mentalement le programme de la matinée car point de didascalies précises sur les transmissions écrites, il va falloir faire preuve d’improvisation à l’heure de brûler les planches.
 
Derrière chaque porte de chambre, le couple exécute un incroyable jeu d’acteurs dans un grand numéro de cœur à corps quotidien. En effet, comme me l’a dit un jour Monsieur R. : « Suffit pas d’une main pour soigner, il faut aussi, et surtout, du cœur ! » Tantôt complaisant, tantôt exigeant, le public, dans sa variété, demande une adaptation scénaristique de chaque instant.
 
Alors qu’hier Madame U. en redemandait et applaudissait à tout rompre, aujourd’hui, elle refuse d’accompagner la danse et nous balance un bas de contention en pleine figure, ce qui ne manque pas de rappeler le lancer de tomates de spectateurs mécontents sur les comédiens médiocres … Après un entracte forcé, nous retrouvons notre diva apaisée et finalement prête à jouer la scène de la douche en une seule prise. A quelques coups de clap près, nous frôlions le drame façon Psychose, mais, au contraire, elle se lance dans une sublime interprétation de la Féerie des Eaux.
 
Aujourd’hui, la distribution s’enrichit d’un nouveau comédien. L’étudiant, interprété par G., est un personnage intermittent. Sur le papier, G. est étudiant infirmier en troisième année et il sait manifester une assurance à tout épreuve. Il maîtrise son texte, le connaît par cœur, mais son aisance scénique est encore un peu hésitante. Nous décidons donc d’accentuer les répétitions pour que sa première soit impeccable.
 
Toutefois, malgré nos indications, G. décide, un peu cabotin, de ne pas suivre la mise en scène pourtant écrite au cordeau.
 
Notre actrice principale, Madame J., a été opérée récemment d’une néphrectomie totale, c’est dire si les acrobaties sont encore limitées … Mais à cœur vaillant rien d’impossible et G. se lance dans un premier lever sans filet ! Les premiers pas se font à tâtons mais Madame J. tient fermement son cavalier, le duo est loin du fox-trot et la chorégraphie s’apparente plutôt au tango corse. C’est donc joue contre joue qu’ils se dirigent vers la salle de bains.
 
Mais parfois, sur le chemin de la gloire, la célébrité fait tourner des têtes. C’est ainsi que, pour Madame J. qui se retrouve en représentation sans y avoir été préparée, c’est la position verticale qui fait briller des étoiles dans son regard ; elle vacille et tombe brusquement sur notre jeune premier qui s’écroule lui aussi.
 
Heureusement pour nos deux apprentis cascadeurs, plus de peur que mal. Après un baisser de rideaux précipité, le scripte infirmier note la performance sur la fiche de suivi et nous n’envisageons pas de deuxième prise.
 
Cependant, un prix spécial du jury est accordé à notre patiente/artiste qui a rapidement assimilé une des bases de l’écriture théâtrale : pour qu’une pièce connaisse le succès, il faut qu’elle ait une bonne chute !
 
Le patient, acteur de sa prise en soins, ça ne fait maintenant plus aucun doute !
 

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