« Côtoyer les plus grands bonheurs comme les peines les plus profondes », tel est le quotidien de Louise Théberge, infirmière en clinique de fertilité. Mais, dans la Belle Province, la récente réforme de la Santé et des Services sociaux a lourdement affecté le secteur de la procréation médicalement assistée. Et pour Louise, il y a « un avant et un après ».
En banlieue de Montréal, à travers les grandes baies vitrées du hall spacieux de Fertilys se répand une lumière apaisante. Dès l’accueil, l’accent est mis sur le réconfort, question d’atténuer un peu de la détresse des patients en mal d’enfant. Dans la petite pièce où elle nous reçoit, Louise offre de nous asseoir côte à côte plutôt que de part et d’autre du bureau, comme elle le fait avec ses patients. Proximité et lien de confiance : deux notions clés du quotidien de l’infirmière en fertilité.
« Le miracle de la vie » : voilà qui « fascine » Louise depuis toujours. Un sourire en coin accompagne sa réponse lorsqu’on lui demande ce qui l’a conduite vers ce secteur. « Dit ainsi, ça peut sembler naïf, mais c’est vraiment de là que viennent mon désir de travailler en périnatalité et l’envie très naturelle d’aider. » Fille et nièce d’infirmières, elle a baigné dans le milieu et savait dès quinze ans qu’elle leur emboiterait le pas.
Au Québec, deux formations principales mènent au métier d’infirmier, règlementé par un ordre professionnel. Un diplôme d’études collégial (DEC), obtenu en trois ans, ouvre la voie aux soins généraux, alors que le baccalauréat en sciences infirmières (deux ans de collège puis trois d’université) octroie à ses détenteurs la possibilité de déterminer des plans thérapeutiques et d’exercer des fonctions de coordination et de gestion. Les titulaires d’un DEC peuvent prétendre à un salaire annuel oscillant entre 41 600 $ et 66 400 $ (29 100 à 46 500 euros), et les bacheliers entre 42 400 $ et 80 900 $ (30 000 à 56 500 euros).
Un engagement auprès des couples infertiles
Après ses études universitaires, Louise Théberge opte immédiatement pour le secteur de la natalité : « j’ai touché à tout : suivi de grossesse, gynécologie, accouchement, allaitement, post-partum, néonatalité… J’ai aussi été formatrice et gestionnaire de service. » Après plusieurs années de pause consacrées à ses enfants, lorsque Louise revient sur le marché du travail elle sait qu’elle veut rester dans ce secteur, mais sans exercer des fonctions de coordination ou de formation : « je voulais retrouver le lien de proximité avec les patients. »
Elle commence par une année de mise à niveau de ses compétences, imposée par l’Ordre des Infirmières et Infirmiers du Québec, puis épluche les offres d’emploi en fertilité. Attirée par l’approche humaniste du docteur Pierre Miron, pionnier de la procréation médicalement assistée au Québec et fondateur de Fertilys, Louise arrête son choix sur sa clinique. Même si les conditions en terme de salaire, de plan de retraite et d’assurances sont moins avantageuses en clinique privée qu’en hôpital public, où elle avait jusqu’alors exercé. « Pour les valeurs qu’il défend et pour son engagement auprès des couples infertiles, c’est précisément là que je voulais travailler », affirme-t-elle.
A la charge des patients
Au Québec, on estime qu’un couple sur six souffre de ce que l’OMS reconnaît comme une maladie. Depuis décembre 2015 et la suppression de sa prise en charge par le gouvernement, le poids financier d’un traitement de fécondation in vitro (FIV) incombe aux patients. Un montant qui avoisine rapidement les 10 000 $ (7 000 euros), quand il ne les dépasse pas.
Louise Théberge a commencé à travailler chez Fertilys six mois avant l’entrée en vigueur de cette réforme décriée. « Je suis arrivée en pleine tempête, au coeur du débat, mais surtout de l’angoisse des patients, doublée d’un sentiment d’urgence. Il y a clairement un avant et un après-réforme. Le fait de voter une loi n’a pas enlevé le désir d’enfants chez les couples ! Mais ils sont maintenant poussés à choisir des traitements qui ne sont par forcément les meilleurs pour eux », s’insurge Louise.
Si l’insémination artificielle – encore couverte par l’État – s’avère appropriée pour certains patients, « la FIV reste le traitement le plus efficace pour beaucoup de couples. Or, faute de moyens, ils se tournent vers l’insémination. Le taux de succès étant très faible, ça les expose à des montagnes russes d’émotions. Ils nourrissent des espoirs et vivent de grandes déceptions. »
Proximité et soutien
Le taux de succès par FIV atteint 30 à 35 %. Au quotidien, comment soutenir les patients abattus par l’échec ? Résolument optimiste, Louise Théberge renverse la question : « une réussite est tellement gratifiante que ça atténue les drames. On ne se sent pas envahis par le désespoir. » Et tempère en rappelant que de manière cumulative, c’est-à-dire après plusieurs traitements de FIV, 60 à 70 % des patients deviennent parents. Pour autant, l’accompagnement dans le deuil fait aussi partie de la réalité professionnelle de l’infirmière.
Avec sa petite équipe d’une quinzaine de personnes, le docteur Pierre Miron a voulu miser sur un service « à échelle humaine », dit-il. Très engagé dans le secteur depuis plus de trente ans, il déplore la marchandisation des soins médicaux en fertilité. « J’ai des patients, pas des clients ! La santé ne se monnaye pas. Mais avec cette réforme, les patients deviennent des clients. Et c’est d’autant plus aberrant que l’infertilité est un phénomène croissant. On estimait à 5 % la proportion de couples infertiles dans les années 1980. On parle aujourd’hui de 17 %. »
Au-delà des chiffres et des enjeux de société, pour Louise Théberge, le choix de ce secteur prend tout son sens dans la proximité avec les patients et le soutien qu’elle leur apporte à travers ses différentes fonctions. Dispenser de l’information générale, assister le médecin lors des actes médicaux, procéder aux prélèvements sanguins… Autant de tâches qui rythment un quotidien jamais routinier, toujours empreint d’une sensibilité stimulante. « Travailler en fertilité, résume-t-elle, c’est apprendre à composer avec les deux côtés de la médaille, côtoyer les plus grands bonheurs comme les peines les plus profondes. »
Sophie Mangado et Renaud Manuguerra
Cet article est initialement paru dans le n°23 (dec 2016) d’ ActuSoins Magazine.
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Très intéressant. Je suis assez effarée, par ailleurs, du taux d’infertilité de 17 % ! Qu’en est-il en France ?
Laure Chardin article interessant pour les études ide au Québec