Les agents chimiques dangereux auxquels certains soignants sont exposés au cours de leurs activités professionnelles se divisent en deux catégories, explique Dr Hervé Laborde-Castérot, médecin du travail à la consultation de Pathologies professionnelles et de l’environnement à l’hôpital Fernand Widal (AP-HP, Paris). Les produits à effet cancérogène, mutagène et/ou reprotoxique (CMR), les plus dangereux, et les autres, moins néfastes mais plus fréquents. Parmi les CMR, les produits cytotoxiques, contenus dans certaines chimiothérapies, figurent parmi les plus toxiques. Les uns ont un effet cancérogène, d’autres un effet mutagène, tératogène ou reprotoxique.
Les soignants des services d’oncologie mais aussi parfois de rhumatologie et de dermatologie, sont les plus exposés à ce risque, ainsi que les infirmières libérales qui prennent en charge des patients en chimiothérapie à domicile.
Oncologie : des risques spécifiques
Ces produits, utilisés car ils « tuent » les cellules cancéreuses, explique Sophie Ndaw, responsable d’étude à l’Institut national de recherche sur la santé au travail (INRS), ne distinguent pas les cellules cancéreuses des autres. « Cela explique le risque lié à ces traitements, évoqué pour les patients, mais qui est contrebalancé par des bénéfices », ajoute la chercheuse. Pour les soignants exposés, le rapport bénéfices-risques ne penche que du côté du risque. « Certes ils sont exposés à de petites doses mais il n’y a pas d’effet de seuil pour ces produits, poursuit-elle. Et ils sont exposés sur une longue période, parfois toute une carrière, et, surtout, à plusieurs de ces substances, une trentaine environ », remarque encore Sophie Ndaw.
La contamination des soignants survient majoritairement par contact de la peau avec le produit. Et les risques d’exposition existent à tous les stades de la vie du médicament. Pour les soignants, il apparaît au moment où les poches de produits arrivent dans le service. « Il peut y avoir des contaminations résiduelles à l’extérieur de la poche », souligne la chercheuse. La simple manipulation des poches constitue donc un moment à risque. Lors de l’administration, la pose de la perfusion en est un autre, même si les infirmières ne doivent généralement plus purger les tubulures, souligne Sophie Ndaw. Le risque est majoré en revanche lors du retrait de la perfusion puisque le liquide peut couler ou se répandre en gouttelettes, ajoute-t-elle : « des traces de produit sont retrouvées sur le sol des chambres, les potences à perfusion… ». Aussi, tous les excrétats des patients (urines, fèces, sueur, vomissures…) contiennent ces produits : le contact avec ces substances, lors des soins ou du nettoyage de la chambre, expose encore les soignants au risque de contamination.
Un protocole strict et un nettoyage minutieux
La prévention de manière générale découle de plusieurs étapes, explique Hervé Laborde-Castérot : le repérage des produits, la connaissance de leur toxicité et des conditions d’exposition (inhalation, contact cutané ou ingestion). « En fonction de la source, ajoute-t-il,on met en place des mesures de prévention adaptées en priorisant toujours les plus collectives, comme la substitution. Si elle n’est pas possible, on cherche à diminuer l’exposition. » Avant de mettre en œuvre des mesures individuelles. Des protocoles doivent aussi prévoir la marche à suivre en cas de contamination accidentelle et importante.
La substitution des cytotoxiques n’est pas envisageable. Les mesures de prévention collectives, peu nombreuses, visent à réduire au maximum la contamination des surfaces, note Sophie Ndaw. En faisant en sorte que les poches de produit soient toujours posées au même endroit dans le poste de soin, sur un plateau ou une paillasse, que cet endroit soit systématiquement nettoyé après un contact et que tous les soignants sachent qu’il sert au « transit » des poches et à strictement rien d’autre. D’une manière générale, tout le service, de la souris d’ordinateur aux poignées de porte, doit faire l’objet d’un nettoyage soigneuxet les déchets de soin impliquant les poches sont évacués selon un circuit spécifique.
Le reste de la prévention, au lit du patient, est individuelle. Les gants, longs sur les avant bras et en nitrile, constituent le principal équipement de protection, lors de tous les soins et du nettoyage. L’INRS, qui a édité des affichettes et un plaquette à ce sujet, préconise aussi le port d’une surblouse à manches longues voire d’un masque et de lunettes de protection en cas de risque de projection. L’information de tous les membres de l’équipe sur les risques d’exposition, leurs sources et les moyens de s’en protéger est absolument nécessaire.
Les effets reprotoxiques de ces produits contre-indiquent l’exposition des femmes enceintes, allaitantes mais aussi de celles qui ont un projet de grossesse. Des situations à signaler au médecin du travail pour être réaffectée à d’autres tâches.
Meopa : des risques pour la reproduction
D’autres produits CMR posent problème. Le gaz Meopa, par exemple. « Son utilisation s’est généralisée de façon rapide, avec une dimension parfois ludique, note le Dr Laborde-Castérot. Les soignants n’avaient pas toujours conscience de s’exposer à un risque. » Certains laissaient la bonbonne ouverte plus longtemps que nécessaire, d’autres se posaient le masque sur le nez pour montrer aux enfants que c’était indolore… Des pratiques, normalement, d’un autre temps.
En effet, les risques pour la reproduction notamment, liés à l’inhalation de ce gaz, sont aujourd’hui bien documentés, ajoute le médecin du travail et l’information des soignants sur ce point a progressé. Les femmes et les hommes ayant un projet d’enfant, ainsi que les femmes enceintes ou allaitantes doivent se manifester auprès de la médecine du travail pour être réaffectés le temps nécessaire. Aussi, il est recommandé d’utiliser ces produits dans des pièces équipées d’un système d’évacuation du gaz dans l’air.
Les soignants travaillant au bloc opératoire ou dans certaines consultations, sont exposés à un autre produit CMR, cancérogène : le formaldéhyde. Il sert à conserver des prélèvements, dans des flacons, en vue d’un examen. Le contact avec le produit, peut survenir lors de la manipulation du flacon voire son renversement… Une des solutions consiste à réduire les manipulations nécessaires. L’autre réside dans la substitution du produit : elle est possible avec la mise sous vide, indique le médecin du travail, qui nécessite de modifier des habitudes de travail.
L’exposition à d’autres produits non CMR – et donc moins grave – est cependant plus fréquente, ajoute Hervé Laborde-Castérot. Par exemple les détergents ou les désinfectants utilisés sur les paillasses ou le matériel, « quasiment tous irritants et sensibilisants, indique-t-il. Ils peuvent provoquer des pathologies cutanées sur les mains mais aussi des pathologies respiratoires » comme des rhinites mais aussi, plus invalidant, de l’asthme…
Du côté des gants, le risque allergène lié au latex a fortement diminué du fait des modifications dans leur fabrication, selon le médecin, mais les fabricants de gants ajoutent des agents de vulcanisation dont la plupart sont allergisants et provoquent des eczémas.
Olivia Dujardin
Et les perturbateurs endocriniens ?
L’exposition des soignants aux perturbateurs endocriniens est peu documentée. Pour le DEHP (« les phtalates), classé toxique pour la reproduction et cancérogène, la réglementation devrait ou aurait du conduire les établissements à n’utiliser que des dispositifs médicaux qui n’en contiennent pas. « Mais on n’a pas d’indication que ce soit appliqué systématiquement », indique André Cicollela, chimiste, toxicologue et président du Réseau environnement santé. Selon lui, une source importante de perturbateurs endocriniens à l’hôpital se trouve dans les sols en PVC, dont les phtalates se volatilisent sous l’effet de la chaleur et sont inhalés par les professionnels (et les patients). « Mais il y a bien d’autres produits, un millier, ajoute-t-il, et très peu d’expertises précises » sur la connaissance des produits, leur mode d’action, les expositions… Un des enjeux de la deuxième phase de la stratégie nationale sur le sujet. Pour André Cicolella, « il faut arrêter de raisonner par milieu mais envisager le problème des perturbateurs endocriniens plus globalement » car il concerne tous les lieux de vie et de travail. Les instances des établissements peuvent se saisir du sujet et les établissements peuvent interpeller leurs fournisseurs sur la composition de leurs produits.
Cet article est paru dans le n°30 d’ActuSoins Magazine (septembre 2018).
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