Les soignants se disent aujourd’hui déçus, voire en colère. Alors que l’élection présidentielle approche et que la santé est cette fois au cœur des préoccupations et des polémiques, quelles sont leurs attentes ? Quel bilan tirent-t-ils du dernier quinquennat ? Quelles sont leurs priorités ?
Les temps sont durs pour les infirmiers. Quels que soient leur mode d’exercice – salarié ou libéral -, et leur domaine de compétence – spécialisés ou non -, les soignants sont déçus par le traitement qui leur est réservé. Pire, ils souffrent. En 2016, la profession a connu une vague de suicides d’infirmiers sans précédent, qui a profondément ému la communauté soignante.
Alors, les médias généralistes se sont emparés – ponctuellement – du sujet. Un plan contre les risques psycho-sociaux à l’hôpital a aussi été déployé par Marisol Touraine, la ministre des affaires sociales et de la santé.
En 2017, pourtant, les soignants ne sont pas satisfaits. Et pour cause : les conditions d’exercice ne changent pas. Manque cruel de moyens humains et matériels à l’hôpital, concurrence des structures de soins jugée parfois déloyale pour les libéraux : les infirmiers courent, ne se reposent pas et abandonnent parfois. « Aujourd’hui, beaucoup de professionnels sont en burn-out, notamment parce qu’ils manquent de temps pour faire correctement leur travail et que la productivité exigée provoque une rupture totale avec leurs valeurs professionnelles », explique Karim Mameri, secrétaire général de l’Ordre National des Infirmiers.
Mépris, ignorance ou mauvaise communication ?
Qui est responsable ? Les organisations représentatives principales de la profession diront que Marisol Touraine, en fonction pendant l’intégralité du mandat de François Hollande, n’a jamais été à l’écoute des infirmiers. Quand certains, comme Sébastien Colson, président de l’ANPDE (Association Nationale des Infirmières Puéricultrices et des Etudiants) parlent de « mépris », d’autres comme Nathalie Depoire, présidente de la CNI (Coordination Nationale Infirmière) évoquent « l’oubli » et « l’ignorance », ou, comme le souligne Martine Sommelette, présidente du CEFIEC (Comité d’Entente des Formations Infirmières et cadre) « l’entretien des clivages ».
Ce qui pêche donc, c’est principalement un problème de communication entre les tutelles et les professionnels qui pensent être ignorés. Ces derniers ont le sentiment que toutes les décisions ont été prises sans eux alors qu’ils sont les premiers concernés par le terrain. Les premiers à savoir ce qu’il s’y passe vraiment.
Même lors de la grande conférence de la santé en février 2016, la concertation aurait pu être optimisée. Il s’agissait pourtant de revoir les formations, de parler réingénierie, masterisation, universitarisation. De valoriser les compétences aussi. Tout ce que les professionnels réclament depuis de nombreuses années en fait.
Alors, à trois reprises entre novembre 2016 et mars 2017, un mouvement unitaire infirmier regroupant les membres de quinze à dix-sept organisations professionnelles s’est mobilisé pour crier son désarroi. En novembre, ils étaient plus de 10 000 soignants à manifester dans toute la France. En janvier et en mars, ils étaient certes beaucoup moins nombreux au départ du cortège unitaire infirmier, le rassemblement de mars ayant été noyé dans une grande mobilisation intersyndicale pluri-professionnelle rassemblant plus de 35 000 personnes. Ils ont cependant obtenu quelques promesses et avancées, avec un « calendrier malheureusement pas suffisamment établi », selon Brigitte Ludwig, présidente de l’UNAIBODE.
Un bilan en demi-teinte
« S’il fallait dresser un bilan des cinq dernières années, il serait difficile de trouver de bonnes mesures », déplore Nathalie Depoire. « Marisol Touraine n’a pas été une ministre de la Santé, mais une ministre des affaires », ajoute la syndicaliste, qui dénonce une « politique d’économies, faite au détriment des soignants, et donc des patients ».
« Le bilan est assez contrasté », nuance Brigitte Ludwig. Contrasté, car même si le mandat a été ponctué d’attentes et de déceptions, plusieurs mesures « positives » ont été prises pour les soignants. Citons ainsi l’accès à la valorisation des acquis de l’expérience (VAE) et les actes exclusifs pour les IBODE en 2014 et 2015, la création de la filière d’IPA (Infirmier de Pratique avancée) dans le cadre de la loi de modernisation de notre système de santé en 2016 et le décret modifiant l’exercice professionnel pour les IADE. Les étudiants en soins infirmiers ont finalement obtenu, après dix ans de revendication, l’alignement du montant de leur bourse d’études sur celles de l’enseignement supérieur.
De nombreux dossiers ouverts mais non bouclés
Reste maintenant à régler les questions liées aux conditions de travail – une mission sur la qualité de vie au travail est en cours (1) -, aux effectifs dans les hôpitaux, à la revalorisation des salaires, à la reprise des travaux de réingénierie des formations menant aux diplômes d’infirmière puéricultrice, de cadre de santé et d’infirmière de bloc opératoire…
Les engagements du ministère vis-à-vis des infirmiers ont mis du temps à venir. Il faut maintenant qu’ils soient consolidés et tenus. « Nous insistons sur la nécessité d’un échéancier pour espérer que le prochain gouvernement – quel qu’il soit -, suive les promesses de l’actuel », souligne Brigitte Ludwig.
Il faut aussi que d’autres mesures fortes et concrètes soient prises « Une des premières demandes que nous adresserons au prochain gouvernement, sera de revenir sur l’ordonnance du 20 janvier 2017, qui autorise l’exercice partiel de la profession », explique Nathalie Depoire, de la CNI. Cette ordonnance, mal accueillie par la plupart des organisations infirmières, est une transposition d’une directive européenne du 20 novembre 2013. Elle a pour objectif de permettre la libre circulation des professionnels en Europe et légitimise ainsi des métiers intermédiaires, qui n’existent pas en France.
Prochain gouvernement : Des attentes fortes
La liste des attentes est longue : davantage de moyens, davantage d’effectifs, d’écoute et de concertation, revalorisation des compétences, compagnonnage pour les nouveaux arrivants, prévention, renforcement des normes de qualité et de sécurité des soins, définition d’un nombre maximum de patients par infirmier, création d’une « véritable filière universitaire »…
Pour connaître les attentes exactes du terrain, l’Ordre National des Infirmiers a créé en février une plateforme participative pour interroger les infirmiers (2). Objectif : soumettre des propositions concrètes aux candidats. Leur exposer les problématiques actuelles aussi, afin que la question infirmière entre dans le débat présidentiel.
En marge de cette démarche, le collectif unitaire infirmier regroupant les organisations initiatrices des trois grandes mobilisations a soumis ses propositions aux candidats (voir encadré). Après avoir rencontré Philippe Vigier, président du groupe UDI à l’Assemblée Nationale ainsi que Catherine Lemorton, présidente de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale et membre de l’équipe de campagne de Benoît Hamon, ils espèrent être entendus.
Parce que les infirmiers et les infirmières représentent plus de 600 000 bulletins de vote potentiels en France. Et que la qualité des soins et de la prise en charge des patients passe évidemment par eux…
Malika Surbled
(1) Depuis la rédaction de cet article, le deuxième volet (qui concerne les libéraux) de la stratégie nationale pour l’amélioration de la qualité de vie au travail a été présenté par Marisol Touraine. Le premier volet (pour les hospitaliers) avait été présenté en décembre 2016.
(2) Depuis la rédaction de cet article, les propositions de l’Ordre National des Infirmiers ont été relayées aux candidats.
Cet article est paru dans le cadre du dossier sur l’élection présidentielle, paru dans le n°24 d’ActuSoins (mars / avril /mai 2017). Il est complété par d’autres articles relatifs aux propositions des candidats pour les infirmiers (à suivre sur ActuSoins)
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Droits des malades et accès aux soins : les avancées du dernier quinquennat
Alors que le plan de trois milliards d’économie déployé par Marisol Touraine, pour « sauver la sécu » a été critiqué de toutes parts, ses mesures annexes ont eu le mérite de placer le droit des patients au cœur des préoccupations. Sélection.
Loi de modernisation de notre système de santé (promulguée le 26 janvier 2016)
- Droit à l’oubli : Elle permet à un ancien malade du cancer, après 10 ans de rémission, de ne pas déclarer sa maladie aux assureurs ou aux banques.
- Accès à l’IVG plus effectif : le parcours des femmes a été facilité et l’accessibilité à l’IVG renforcée. Le délai minimal de réflexion de 7 jours a été supprimé.
- Les « Class Action » en Santé : il s’agit de permettre aux victimes de dommages dus à leur traitement, de mieux se défendre. Le dispositif ouvre la possibilité de déposer des recours collectifs devant la justice par l’intermédiaire d’associations agréées.
Loi de financement de la sécurité sociale 2016
- Protection Universelle Maladie (Puma) : Cette mesure garantit à toute personne qui travaille ou réside en France un droit à la prise en charge des frais de santé.
Loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie (promulguée le 2 février 2016)
- Droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès des malades en phase terminale.
- Directives anticipées : Toute personne majeure peut, si elle le souhaite, faire une déclaration écrite, appelée « directives anticipées », afin de préciser ses souhaits quant à sa fin de vie, prévoyant ainsi l’hypothèse où elle ne serait pas, à ce moment-là, en capacité d’exprimer sa volonté. L’équipe médicale ne peut pas s’y opposer (sauf dans certaines situations).
À ce jour, plusieurs articles des différentes lois citées doivent encore être précisés par décret.
Seize organisations infirmières ont lancé un appel aux candidats à l’élection présidentielle
Un collectif unitaire infirmier, regroupant seize organisations syndicales et associatives, a formulé dix propositions d’actions prioritaires concrètes.
- Urgence à mettre en place un moratoire sur les plans d’économies, source de souffrance au travail
- Mettre en adéquation les effectifs à la charge de travail réelle.
- Faire bénéficier les professionnels de santé d’un suivi médical attentif
- Faire des soins de ville libéraux la filière naturelle du retour à domicile après une hospitalisation
- Impliquer les infirmières libérales dans l’organisation de la permanence des soins ambulatoires
- Faire de la sécurité des infirmières une priorité
- Prise en compte de la singularité d’exercice, par la reconnaissance d’une spécialité (santé mentale, santé au travail, éducation nationale + reconnaître l’ensemble des spécialisations actuelles au niveau Master)
- Reconnaissance salariale à hauteur des compétences et des responsabilités
- Reconnaissance de la pénibilité par un départ anticipé en retraite (public, privé, libéral).
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