Malaise infirmier : génération désenchantée

Malaise infirmier : génération désenchantée

Pression constante, manque de matériel, burn-out, et même suicides... Comment en est-on arrivé là ? Cette question, l’ensemble de la profession se la pose. La crise du Covid a encore renforcé les craintes. Les annonces du Ségur seront-elles suffisantes pour apaiser la colère ?  Cet article est initialement paru dans le n°38 d'ActuSoins Magazine (septembre 2020). 
Lors d'une manifestation des soignants à Marseille, en Juin 2020
Lors d’une manifestation des soignants à Marseille, en Juin 2020. © Malika Surbled / ActuSoins.

La crise du Covid aura révélé ce que l’on savait déjà depuis des années: la profession infirmière est malade.

Et si la rémission est possible, le processus de guérison sera long. Certes, un pic de suicides avait été atteint en 2016 en France, mais, en témoigne l’effroyable année 2020, la situation est loin de s’être améliorée.

Pour Olivier Youinou, de Sud Santé AP-HP, les chiffres des morts liés aux conditions de travail seraient largement sous-évalués, car difficilement comptabilisables tandis que le nombre de soignants contaminés n’est toujours pas officiellement partagé. (information de septembre 2020, Ndlr)

« La situation continue de se dégrader : le nombre de postes ne fait que diminuer, les moyens également. Sans compter les fermetures de lits : en juin encore, juste après la crise, 14 lits de réa ont été fermés au CHU de Strasbourg, tout un symbole tant le Grand Est a été touché par le coronavirus! », s’indigne Thierry Amouroux, porte-parole du SNPI.

Et ce, malgré les mesures du Ségur de la santé qui promettait l’arrêt des fermetures de lits, l’une des revendications portées par les nombreuses manifestations infirmières des derniers mois, parallèlement à la revalorisation salariale et davantage de moyens matériels.

Le grand tournant de ce système aujourd’hui exsangue, rappelle Jean-Philippe Pierron, philosophe spécialiste de l’éthique, s’est produit ces dix dernières années. Tout d’abord, il est lié aux enjeux de la professionnalisation du métier : « Les infirmières ont eu le besoin de se penser comme des professionnelles et de s’éloigner du mythe de la dimension vocationnelle. Il leur a fallu aussi montrer que leur métier était légitime car il était mesurable. L’effet pervers est que, justement, les compétences émotionnelles et relationnelles qui rendent possibles le soin sont tout sauf mesurables ».

Dans le même temps, « le monde de la santé s’est mis à recourir à des méthodes industrielles. On produit du soin comme on produit de la matière première ». En 2009, avec la mise en place de la T2A, c’est-à-dire de la tarification à l’acte, le soin devient « désormais standardisable, normé, tarifé », précise le philosophe.

En plein dans le mille d’une logique ultralibérale. « L’hôpital, ce n’est pas France Telecom avec un management qui casse volontairement les gens. Mais les gens sont broyés par le système », déplore Thierry Amouroux.

La déshumanisation des soins sur sa lancée

Parmi les difficultés rencontrées au quotidien, le manque de fourniture. « Le petit matériel manque, comme des appareils, des lampes, des tensiomètres, des ECG. La logique est d’acheter au moins coûtant, donc le matériel s’avère rapidement défectueux et est envoyé en réparation. Chaque semaine, vous vous retrouvez à devoir gérer le manque de compresses, de seringues, à courir dans le service d’à côté pour voir s’ils en ont encore. Cela revient à une gestion à flux tendu. C’est l’enfer quotidien des soignants », raconte Thierry Amouroux.

D’autant plus dur pendant la crise du Covid, qui a agi comme un révélateur sur le manque des équipements de protection. Mais en 2019, déjà, la révolte grondait. Il y a un tout juste an, le plan urgences d’Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, était adopté en réaction des mouvements de grève d’une ampleur inédite dans près de la moitié des urgences de France. Mais à part les primes qui ont bien été attribuées, « impossible de savoir ce que sont devenus ces 754 millions d’euros, perdus dans les méandres de l’hôpital », glisse-t-il encore.

De l’épreuve de la perte de sens…

Mobilisation à Paris, le 14 juillet 2020, au lendemain des annonces du Ségur, jugées insuffisantes par les manifestants
Mobilisation à Paris, le 14 juillet 2020, au lendemain des annonces du Ségur, jugées insuffisantes par les manifestants. © Malika Surbled / ActuSoins

« Faire un soin en une minute de temps, cela n’a pas de sens. Groupes homogènes de malades, logique industrielle, actes tarifés… Nous ne travaillons pas dans une fabrique de boulons », déplore-t-il.

A ce stade de la réflexion, la perte de sens guette. Ce qui engendre une souffrance chez les soignants, déjà bien présente avant le Covid. « Une fois, en arrivant dans la chambre d’une patiente, je l’ai trouvée en train de se couper les cheveux. Elle était assez jeune, avait un cancer et elle savait qu’ils allaient tomber. Elle pleurait à chaudes larmes. Et là, je n’ai eu que deux minutes pour la consoler ».

Deux minutes face à sa détresse. Camille, alors infirmière dans une clinique en banlieue parisienne, se sent impuissante. Elle n’a pas le temps de l’empathie. Cet événement agit sur elle comme un déclencheur. Le mal-être était sous-jacent, il devient une évidence. Passe encore la boule au ventre avant d’aller au travail, mais se sentir maltraitante, c’en était trop pour elle. « Un matin, je n’ai pas pu passer la porte de chez moi. Je me suis retrouvée recroquevillée derrière mon canapé. Il fallait que j’arrête. » Elle a depuis raccroché la blouse.

…à la démission

Malaise infirmier : génération désenchantée
© Cyrienne Clerc

La perte de sens, un véritable fil rouge dans tous les récits des soignants. Elise*, 25 ans, l’a également ressenti de plein fouet. Aujourd’hui, elle travaille dans un laboratoire d’analyse médicale.

Quatre ans après l’obtention de son diplôme, elle était trop abîmée. Déjà lors de sa formation en IFSI, elle avait été marquée par un passage en Ehpad qui se révèle un calvaire, avec ses 60 résidents et son manque de temps pour les laver qui la pousse à pratiquer une « maltraitance involontaire », comme elle l’évoque pudiquement.

Puis elle débute dans un établissement de l’est de la France au sein d’un service de médecine interne. Au bout de trois ans, elle s’épuise : changement d’équipe, collègues parties, arrêts maladie non remplacés et poids grandissant de l’informatisation.

« J’étais stressée, énervée pour rien, fatiguée, j’ai eu des problèmes de dos », se souvient-elle. Très souvent, elle n’a pas le temps de déjeuner ou même d’aller aux toilettes.

Peu à peu, le spectre de la déshumanisation de l’hôpital apparaît comme une évidence. Puis elle décide, pour un peu de changement et aussi car elle était référente hygiène, de devenir assistante cadre.

C’est là qu’un déclic se produit, au-delà du recours intempestif aux « “feedback”, tableaux Excel et réunions inutiles qui m’éloignaient de la réalité du terrain ».

Un jour, elle doit participer à la réalisation d’un « testing ». Malgré ses réticences, elle est poussée par la direction à « subtiliser » de la morphine afin d’évaluer comment les équipes réagissent. Ayant le sentiment d’avoir trahi ses collègues, elle décide de démissionner.

Dans une longue lettre – que nous avons pu consulter – adressée au directeur de l’établissement, elle revient sur les raisons de son départ. « Les résultats de ce “test”, je vais vous les donner : des soignants énervés, stressés, qui ont verbalisé un “ras le bol”, qui se braquent et ne veulent plus s’investir (…) des soignants qui se sont senti trahis, piégés, (…) des arrêts maladies pour burn out, des pleurs, et des cadres épuisés émotionnellement…», écrit-elle.

Arrivée au stade où elle n’arrivait pas à se lever le matin, pleurait tout le temps, n’avait plus envie de rien, ressentait des douleurs musculaires, elle devait arrêter. Quel dommage. « On me disait pourtant que j’étais une bonne infirmière »…

Elle retente une dernière fois dans une clinique francilienne. Mais, « entre les médecins qui prescrivent inutilement, les locaux vétustes, l’impossibilité de trouver une seringue ou un pansement, une dame qui avait 22 de tension et qui a failli faire un AVC car elle n’a pas reçu le bon traitement, j’avais l’impression de faire de la médecine de brousse ».

Elise démissionne au bout d’un mois. Aujourd’hui, avec l’afflux de patients non-Covid qui reviennent à l’hôpital ou en perspective d’une seconde vague potentielle, la profession n’est pas près de connaître un peu de répit. « Les soignants n’arrivent pas à rattraper le retard accumulé et de nombreux patients se retrouvent dans des situations dramatiques », s’inquiète Thierry Amouroux. Ne laissant pas indemnes les soignants.

«Ce sentiment de mal avoir fait qui ne nous quitte jamais»

Manifestation infirmière
© Cyrienne Clerc

Car évoluer avec ce désagréable sentiment de ne pas avoir bien fait les choses, « ça ne vous lâche pas. On passe d’un patient à l’autre. On rentre chez soi en se demandant si on n’a rien oublié. Cet engagement vient mordre sur nos temps de la vie, les repos, les loisirs », lâche Olivier Youinou.
 
Les choix inhumains viennent encore alourdir la charge de travail : comment être serein quand, pendant la crise sanitaire, il a fallu procéder au tri des patients en réanimation.
 
« Ça laisse un trauma pour tous les soignants », affirme Thierry Amouroux.
 
Chez les infirmières, le phénomène du burn-out est sans doute mal évalué, car il n’est toujours pas reconnu comme maladie professionnelle. Les chiffres d’une enquête menée par l’association Soins aux Professionnels de Santé réalisée en avril-mai 2020 ont pourtant montré que 85% des soignants ne se sont pas sentis soutenus sur le plan psychologique depuis le début de la crise.
 
Les difficultés connues dès le début de leur carrière, liées au côtoiement de la maladie et de la mort, auxquelles viennent s’ajouter des contraintes organisationnelles – les horaires, les nuits, les week-ends…- et le fort turn over tuent les motivations. « Quand en plus il se produit des dysfonctionnements, les gens craquent », analyse Olivier Youinou.
 

Accélération des départs

« Depuis le Covid, nous voyons une accélération des départs, confirme Thierry Amouroux, surtout de la part des jeunes. Entre les manifestations des derniers mois, la crise, le manque de matériel qui continue et la limitation de la reconnaissance du Covid en maladie professionnelle accordée seulement aux soignants décédés ou sous assistance respiratoire, ils n’ont vraiment plus rien à attendre ».

Diane*, 38 ans, infirmière en psychiatrie dans un établissement parisien, expérimente régulièrement des situations où des patients sortent avant même d’être stabilisés.

Quand elle a commencé, elle avait le temps de faire un jeu de société avec un patient, ce qui était un moment idéal pour « observer ses difficultés, évaluer le relationnel avec l’autre, voir s’il soutenait le regard ». Aujourd’hui, par manque de personnel – sept infirmières contre douze, il y a quelques années – et des médecins pressurisés, les malades restent moins longtemps.

Résultat : ils reviennent quelques jours plus tard, alors que cela « peut être dangereux pour eux comme nous », comme cette fois où un malade agressif avait réussi à pénétrer derrière le comptoir d’accueil.

A elle aussi, il arrive souvent de repasser un coup de fil, une fois rentrée chez elle, juste pour s’assurer qu’elle n’a rien oublié. Comme de nombreuses autres infirmières, elle expérimente cette perméabilité permanente entre la sphère professionnelle et la personnelle.

Un manque de reconnaissance

© Cyrienne Clerc

Le tout, sans reconnaissance institutionnelle. Parce que les soignants se plaignent aussi du mépris des directions. « Auparavant, les directeurs venaient de la promotion sociale, connaissaient le fonctionnement de l’hôpital. Mais nous sommes désormais face à des jeunes loups, qui passent d’une usine de yaourt au secteur automobile, déplore Thierry Amouroux. Ils gèrent des tableaux de bord. Il règne une vraie méconnaissance, un vrai décalage. »

C’est ce qu’a traversé Diane, alors que son établissement était en grève depuis six mois pour dénoncer les conditions de travail dégradées par le regroupement hospitalier. « On a senti cet énorme mépris de la direction et des DRH, alors qu’on expliquait combien on était en souffrance. La DRH nous a littéralement ri au nez ! Mais sans nous, l’hôpital ne tourne pas. On est dédiées à notre travail. On est le “post-it” des médecins. On doit penser à tout, même aux traitements alors que nous ne prescrivons pas. Notre charge mentale est énorme », raconte-t-elle, attristée.

Quelques mois après la crise du Covid, sa voix est toute faible au téléphone. Tout ce qu’elle décrivait a été décuplé. Elle a dû changer en un claquement de doigt toute sa façon de travailler et a culpabilisé de ne pouvoir « voir » les patients qui en avaient tant besoin.

« Je suis à bout. L’hôpital public est en train de me tuer. Alors je vais prendre le temps pour chercher les bonnes formations sur le coaching, les thérapies alternatives… J’adore mon métier mais tout ce qu’il y a autour me le fait détester».

Des salaires toujours au plancher

Responsabilités, pénibilité et horaires, un trio pas si gagnant. Pour Elise*, « commencer avec 1500 ou 1600 euros nets après trois ans d’études et finir à 2000 euros en fin de carrière, ne permet simplement pas de vivre toute seule ».

Le point, gelé depuis dix ans (depuis la parution de cet article, des annonces ont été faites, ndlr), fait stagner les salaires tandis que le coût de vie ne cesse d’augmenter.

Les infirmières donnent tout et sans compter. En témoigne le 1,2million de jours de compte épargne-temps (CET) non pris par les soignants. « Vous imaginez le nombre d’emplois que cela représente ? », interroge Thierry Amouroux. Olivier Youinou a la réponse: « Pour rendre ces jours au personnel, Martin Hirsch (DG de l’AP-HP) devrait fermer la Pitié-Salpétrière pendant un an. »

Alors quand elles partent enfin en retraite, après tant d’années auprès des malades, certaines infirmières présentent un taux d’invalidité de 20%, allant même jusqu’à 30% chez les aide-soignantes.

Et leur espérance de vie est inférieure de sept ans à celle d’une femme française (moyenne de 85 ans), selon Thierry Amouroux, qui ajoute : « Ces chiffres sont édifiants ». Sans compter la pénibilité mal prise en compte… « Personne ne peut encore, à 63 ou 65 ans, soulever, manipuler et redresser des patients de 90kg. C’est comme être pilote de ligne à 70 ans, ça devient dangereux. »

Les ratios : une solution ?

© Eloïse Bajou

Au mois de janvier 2020, la Commission Nationale des Directeurs d’Ehpad (CNDEPAH) a publié une étude qui réaffirme que « le temps de présence auprès des résidents est très limité, avec seulement 4,67 équivalent temps plein pour 30 lits, assène Emmanuel Sys, le directeur du CNDEPAH. C’est-à-dire moins de trois le matin et deux l’après-midi. Fatigue, ras-le-bol, frustration, ce rapport permet d’objectiver et de rendre audible le ressenti des soignants».

Quant à l’aspect qualitatif des soins, « les soins de prévention bucco-dentaires de base, de prévention des chutes ou de la mémoire sont trop limités. Résultat: la prise en charge est trop superficielle ».

Devant tous ces défis, Emmanuel Sys n’a qu’une conclusion. « Alors que la taille des unités se resserre, la prise en charge de plus en plus individualisée, le côté “cocooning” qui est attendu par les familles, les ratios doivent le permettre ».

D’après ses chiffres, il faudrait 12,7% pour 100 lits, ce qui correspond à un coût de 1,4milliard d’euros. Dans le cas contraire, cela condamnera définitivement le modèle des Ehpad.

La question des ratios, qui aujourd’hui ne s’applique qu’à des secteurs très spécifiques (réanimation, salle de réveil…), intéresse aussi Olivier Youinou. Mais la situation se complique à mesure que s’intensifie l’hyperspécialisation. « Avant, que l’on soit dans un service d’orthopédie, à Mondor (Créteil), à la Pitié-Salpétrière (Paris) ou à Avicennes (Bobigny), on avait approximativement les mêmes patients pour les mêmes pathologies. Aujourd’hui, l’AP-HP a voulu son hyperspécialisation. Chaque établissement se concentre donc sur une certaine orthopédie. A l’HEGP, on s’occupe du rachis du dos, à Mondor, on fait du membre, à d’autres endroits, de la carcinologie osseuse. Conséquences : chirurgicalement, la prise en charge n’est pas la même, l’anesthésie et les suites d’hospitalisation non plus. C’est donc très dur de mettre en place un ratio universaliste, précisément à cause des hyperspécialisations. Mais pour autant ce serait une solution à ce qu’ils appellent le service minimum », reconnaît-il.

De la lumière au bout du tunnel ?

© Malika Surbled

Enrique Casalino, chef du département des urgences de Bichat, est devenu le visage d’une possible transformation des urgences.

Plus d’un an après le début des grèves massives dans les services d’urgence, il estime que des moyens supplémentaires sont nécessaires, mais que l’enjeu consiste surtout à « trouver une personne qui mette en place tout un projet managérial ambitieux ».

Avec l’accord de la direction de l’époque, les infirmières ont été autorisées à procéder au « triage » des patients selon leur gravité, à prescrire les antalgiques et à réaliser des radios.

Résultats: « elles retrouvent du sens à ce qu’elles font et sont valorisées », estime-t-il, ce qui a permis davantage d’autonomisation, une vraie dynamique d’équipe, de l’engagement, et par conséquent, une plus grande attractivité. « Elles sont beaucoup plus motivées ».

Un beau paradoxe en est né: « Bichat a longtemps été l’un des hôpitaux parisiens les plus sous-dotés en personnel, avec, pourtant, les meilleurs résultats », et les personnels semblent beaucoup moins en souffrance.

Le sentiment de faire partie d’une équipe est porteur de sens chez les soignants. Olivier Youinou regrette la disparition des conseils de service en 2007 (réforme de gouvernance), véritable moment collectif d’échanges, mais considérés comme du « temps perdu »pour la direction.

Diane* ne dit pas autre chose. La réorganisation de son service, suite à regroupement de plusieurs d’établissements psychiatriques, lui a fait perdre 45 minutes d’échange commun. « C’est tellement important, cet échange de soignants à soignants. On en arrive à revenir en arrière sur des pratiques qui ne devraient pas exister, comme l’isolement ou la contention », regrette-t-elle.

Ce qui la fait tenir ? Les temps informels avec ses collègues, « véritable soupape de décompression sans laquelle nous ne tiendrions pas. »

Mylène*, 24 ans, infirmière dans un CMCO de banlieue parisienne, estime que la crise, paradoxalement, « a renforcé la cohésion »au sein de son équipe. Une donnée loin d’être anodine pour tenir sur le long terme. « Je sais qu’à un moment, je partirai de mon service “poubelle”, comme ils disent pour qualifier les services polyvalents, pour me tourner vers les soins palliatifs : j’aurai enfin le temps nécessaire auprès de mes patients ».

Cette perspective la fait tenir. Alors si les soignants bénéficient encore d’un énorme capital sympathie parmi la population et que certains sont encore déterminés à combattre, il s’agira d’inverser le rapport de force avec les directions et le gouvernement. Thierry Amouroux le rappelle: « ce manque de reconnaissance généralisé est effroyable. Parce que l’hôpital ne tient que grâce à la bonne volonté des soignants. »

Aujourd’hui, le monde d’après à l’hôpital ressemble terriblement au monde d’avant : « ce que nous voulons, c’est un changement de cap, pas un changement de rythme, réitère Olivier Youinou. Malgré cette crise, on reste sur des fermetures de lit, des effectifs restreints, bref la logique ultralibérale est toujours d’actualité ».

Coïncidence ? « Les quatre pays européens avec le plus de morts ont tous des politiques de réductions budgétaires sur les hôpitaux publics, rappelle Thierry Amouroux. En Allemagne, ils avaient cinq fois plus de lits de réa et ont eu quatre fois moins de morts ».

Delphine Bauer

Cet article est initialement paru dans le n°37 d’ActuSoins Magazine (Juin 2020). 

Il est à présent en accès libre. 

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* Les prénoms ont été changés pour préserver l’anonymat.

A lire :

J-P. Pierron, « Travail du soin, soin du travail » (ed. Arslan)

Huho Huon, Collectif Inter-Urgences, «Urgences: hôpital en danger», Albin Michel. 

POINT DE VUE

Jean-Philippe Pierron, philosophe spécialiste de l’éthique :  « Le numérique doit être au service du patient, pas à son détriment »

« Le temps pris pour coder empiète sur le temps de la relation. On ne peut pas prendre les infos en même temps que rencontrer la personne.

L’écran fait écran à la relation avec le patient. L’irruption du numérique dans la chambre du patient a bouleversé la notion de relation.

Mais si l’on peut envisager une réorganisation et de la façon de penser le travail, le numérique doit être au service du patient, pas à son détriment.Il existe des enjeux de pouvoir énormes qui questionnent les méthodes appliquées au système de soin. Car la santé n’a pas de prix, mais elle a un coût.

Quel type de rationalité adopte-t-on ? Avec quels indicateurs ? Qu’est-ce qu’on accomplit ? Quels sont les acteurs du soin ?

Si l’on ne consulte pas les patients ni les soignants, on tombe dans le conflit politique sur la méthode de pilotage par la tyrannie du codage.

Le numérique peut devenir un dispositif de surveillance et de contrôle qui impose ses valeurs aux valeurs du soin.

Alors qu’il impose la “fiabilité”, les soignants usent de confiance. Alors qu’il permet la “traçabilité”, les soignants optent pour la mémoire, autre chose qu’une simple trace. Alors qu’il va vite, les soignants doivent aller doucement. Les équipes soignantes doivent se réapproprier l’outil pour que le codage soit au service du soin. »

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Une réaction

  1. Oui, et avec Jean Castex (ancien DHOS et co-fondateur de la T2A) aux commandes, je nous souhaite bien du courage….mais peu d’espoir d’amélioration du système de santé. Sinon oui les augmentations de salaires font toujours plaisir . Allez Jean! rajoute 1000 balles et je vote pour toi!!!

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