Les urgences sous tension

Les urgences sous tension

Entre l'afflux croissant de patients et la difficulté de trouver des lits d'aval pour hospitaliser ceux qui le nécessitent, les infirmiers, épuisés, se serrent les coudes et espèrent voir évoluer leur rôle mais, dans certains services, les effectifs commencent à manquer sérieusement. 

actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article a initialement été publié dans le n°42 d’ActuSoins Magazine (septembre 2021). 

Dans le contexte actuel de crise majeure des urgences, ActuSoins.com le diffuse à présent en accès libre. 

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Au CH d'Arras, l'équipe prend en charge un patient qui présente une fracture de la jambe
Au CH d’Arras, l’équipe prend en charge un patient qui présente une fracture de la jambe. © Stéphane Dubromel / Hans Lucas

Mathilde, infirmière (IDE) depuis trois ans au centre hospitalier d’Arras, est arrivée dans le service à 7 heures, pour un poste de 12 heures. Aujourd’hui, elle est affectée à la zone de déchoquage, celle où sont orientés les patients les plus graves. Un patient, percuté par une moto tandis qu’il marchait dans la rue, occupait déjà un des trois lits.

« J’ai fait les transmissions avec ma collègue de nuit à son sujet : il faut le surveiller et il va faire un scanner. Nous avons aussi fait le point sur les médicaments ou le matériel à commander », détaille Mathilde qui a également vérifié les appareils. La relève médicale est, elle aussi, arrivée et l’infirmière a transmis aux médecins les informations sur l’état du patient.

Peu après, un second patient est amené par le Samu du Pas-de-Calais. Séparé du premier patient par un rideau, il gémit de douleur : il a la jambe cassée. L’équipe du Smur l’a déjà « techniqué ». Mathilde s’affaire avant l’anesthésie. « Mettez double dose, demande-t-il. Je suis d’une nature anxieuse. » L’infirmière le rassure : « tout va bien se passer, monsieur ».

En salle de déchocage, au CH d'Arras, Mathilde, Infirmière, pose une perfusion à un patient ayant des difficultés respiratoires
En salle de déchocage, au CH d’Arras, Mathilde, IDE, pose une perfusion à un patient ayant des difficultés respiratoires. © Stéphane Dubromel / Hans Lucas

Au déchoquage

Quelques minutes plus tard, elle se dirige vers une des deux zones « boxées », où sont pris en charge les patients dans un état moins grave. Sa collègue peine à trouver une veine chez une patiente désorientée, entrée depuis déjà 24 heures. Ensemble, elles cherchent sur le poignet, aux chevilles… pendant de longues minutes.

Entre les deux couloirs du secteur « boxé », les soignants se croisent et font le point sur les patients dans le poste de soin où sonnent les alarmes des scopes. Dans le bureau contigu, les médecins complètent les dossiers, rédigent des prescriptions ou téléphonent pour trouver des lits d’aval.

Sur la cloison, une affichette invite les patients au calme et au respect : « ils prennent soin de vous, prenez soin d’eux ». Un rappel parfois nécessaire même si l’atmosphère du service, où les accompagnants n’ont plus le droit de rentrer depuis deux ans, avant la crise de la Covid, est calme.

Un troisième patient arrive au déchoquage pour des difficultés respiratoires. Les gestes de Mathilde sont précis, calmes mais rapides. Elle doit poser une nouvelle voie veineuse. « Je pique, monsieur », prévient-elle. Elle essaie aussi de le distraire par quelques questions. Pendant ce temps, un étudiant en soins infirmiers (ESI) de deuxième année prend la température du patient, apporte le matériel et aide à la prise de sang. Mathilde vérifie ensuite le dossier : « ça, c’est fait ; ça, c’est fait… ».

La manipulatrice radio arrive avec son appareil mobile et réalise une radiographie des poumons. Dans ce service, ce sont parfois les infirmiers qui demandent la réalisation de certains examens radiologiques sans attendre de prescription médicale, dans certaines situations d’urgence, face à un patient en détresse respiratoire ou pour vérifier qu’une sonde est bien en place, par exemple. Des discussions ont été entamées pour que cette délégation soit encadrée par un protocole ad hoc.

Mathilde et un étudiant en soins infirmiers regardent de près les constantes du patient admis pour dyspnée
Mathilde et un étudiant en soins infirmiers regardent de près les constantes du patient admis pour dyspnée. © Stéphane Dubromel / Hans Lucas.

Au poste d’IOA

D’autres délégations de ce type sont pratiquées au sein du service comme la prescription de certains bilans sanguins ou encore la délivrance d’antalgiques de palier 1 sous perfusion, dès que le patient a été vu par l’infirmière organisatrice de l’accueil (IOA).

Aujourd’hui, Caroline occupe ce poste qui, comme le déchoquage, nécessite une formation préalable. Le monsieur qu’elle accueille vers 11 heures a mal aux dents. « Sur une échelle de 0 à 10, à combien évaluez-vous votre douleur ? », lui demande-t-elle ? « 200 », lui répond-il, énervé.

Le patient suivant, amené par les pompiers, est blessé à la tête. Caroline priorise et oriente les patients dès leur arrivée : consultations externes pour les cas les moins graves, secteur boxé pour les urgences non vitales, déchoquage pour les cas les plus graves, ou encore secteur Covid. Répartis sur ces unités, sept infirmiers travaillent le jour, cinq la nuit. Certains font partie du pool de remplacement. L’unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD), réaffectée pour accueillir les patients Covid, est vide aujourd’hui.

Au fil des heures, le service se remplit. La majorité des patients sont âgés : « 92, 76, 75, 83, 69, 77, 84, 82, 90 », lit Mathilde sur son écran. Quasiment tous les patients seraient concernés par le parcours spécial pour les personnes âgées prévu dans le pacte de refondation des urgences… mais celui-ci n’est pas (encore) mis en place. Seule une équipe mobile de gériatrie est chargée de faciliter la sortie des patients isolés et de prévenir la répétition des motifs d’hospitalisation.

Compétences multiples

Pendant un moment de répit, Mathilde teste les connaissances de l’ESI au sujet des situations rencontrées et des soins réalisés dans la matinée. Puis les pompiers amènent un quatrième patient au déchoquage. « Bonjour, je suis l’infirmière », se présente Mathilde tout en posant les électrodes pour l’ECG. Température, tension, prise de sang…  elle enchaîne les soins. Il est 13 h 30. L’infirmière déjeunera… plus tard… ou pas du tout.

Les jours de grande affluence, « on court partout » et le risque de tension augmente du côté des patients : « ils ne comprennent pas toujours l’ordre des priorités, observe l’infirmière. Certains jours on les comprend et d’autres pas. » Notamment quand le ton monte et l’agressivité s’exprime.

Mais Mathilde, qui se forme pour devenir infirmière sapeur-pompier volontaire, apprécie son métier et ce service : « l’adrénaline » qui monte lorsqu’un nouveau patient arrive mais aussi le raisonnement clinique sans cesse sollicité. « Nous nous entraidons énormément, encore plus qu’avant depuis la Covid, analyse-t-elle. Et nous avons une collaboration étroite avec les médecins. »

Elle n’est pas la seule à apprécier ces aspects de la pratique aux urgences. Florian*, infirmier dans le SAU et le Smur d’un hôpital de Normandie, aspirait à un poste sans routine. « On voit de tout, apprécie-t-il. De la traumatologie, des défaillances organiques, des problèmes psychiatriques… c’est super intéressant ! ».

Cependant, « on est bon en tout mais expert en rien », observe cet infirmier. Ce qui explique certainement que de nombreux IDE apprécient les protocoles de coopération qui permettent d’étendre leur champ de compétence.

Mathilde, assistée d'un étudiant en soins infirmiers, effectue les premiers prélèvements sanguins sur un patient
Mathilde, assistée d’un étudiant en soins infirmiers, effectue les premiers prélèvements sanguins sur un patient. © Stéphane Dubromel / Hans Lucas.

Manque de lits et d’effectifs

Parfois, cependant, un certain agacement pointe chez lui face aux patients qui « arrivent à 4 heures du matin en disant “cela fait trois mois que j’ai mal là” ». Et une lassitude aussi face à l’agressivité de certains… ou au manque de lits d’aval. « Voir une personne de 95 ans sur un brancard pendant des heures, sans avoir le temps de rester auprès d’eux, c’est terrible, déshumanisant, regrette Noémie Banes, présidente du Collectif inter urgences. Cela nous fend le cœur. »

L’imprévu quotidien cache aussi un « stress permanent, souligne la présidence du CIU. Ces services brassent des situations difficiles, de l’accouchement à la fin de vie, de la pédiatrie aux gros accidents, en passant par l’agressivité. Il faut être prêt à tout et capable de l’encaisser… Il faut aussi faire face au flux de patients même quand il n’y a plus de place, qu’on doit avoir l’œil et être partout à la fois. »

La charge mentale et physique (Pierre*, IDE dans un SAU de l’ouest, parcourt 11 à 15 kilomètres sur un poste de 12 heures) est lourde. Et la prime « urgences » de 100€ mensuels ne la compense pas, estime Noémie Banes. Le CIU revendique ainsi une revalorisation salariale et des moyens pour soigner dignement les patients. Certains IDE ont d’ailleurs le sentiment que les pouvoirs publics n’ont pas respecté leurs engagements de soulager l’hôpital des restrictions qui lui ont été imposées depuis vingt ans, souligne Pierre.

Heureusement, de l’aveu de tous ces IDE, les équipes sont souvent soudées et se serrent les coudes, au-delà des frontières professionnelles, car IDE et médecins se côtoient beaucoup plus que dans les autres services.

« Il y a toujours des médecins présents aux urgences, apprécie Florian. Cela produit une collaboration, un rapport de confiance et une proximité différente. On se connaît mieux. Ici, les IDE tutoient les médecins, pas ailleurs ». Tous ont traversé ensemble la crise de la Covid. Pour le meilleur – les professionnels sont encore plus soudés – mais aussi pour le pire – « les gens sont usés », ajoute l’infirmier.

Epidémie de départs ?

A l'accueil des urgences du CH d'Arras
A l’accueil des urgences du CH d’Arras. © Stéphane Dubromel / Hans Lucas

Pour l’heure, les tensions sur les effectifs s’accroissent. « Il n’y a jamais eu autant de départs », notamment parmi les urgentistes, constatait mi-septembre Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France. Faute de médecins, les SAU ou SMUR d’au moins 22 hôpitaux ont fermé cet été pour une nuit ou plusieurs jours. Plus que les années précédentes, estime la présidente du CIU. Les IDE manquent aussi, plus ou moins selon les territoires et les établissements, ajoute-t-elle.

Selon Antoine*, qui travaille dans un petit CH des Hauts-de-France, « les problèmes de recrutement ne se posent pas tant en termes de candidatures, que de fidélisation ». En tout cas, Coralie*, IDE aux urgences d’un gros CH du sud, n’a « jamais vu autant de postes vacants » dans son service.

Augmentation de la charge de travail, manque de considération, perte du sens du travail et sentiment de plus prendre en soin les patients correctement sont invoqués… Surtout, ajoute cette infirmière, « alors que les collègues qui quittaient les urgences allaient auparavant dans un autre service ou en libéral, aujourd’hui ils changent de métier ».

 

Géraldine Langlois

Article paru en septembre 2021 dans ActuSoins Magazine

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*certains prénoms ont été modifiés

Paul*, Infirmier dans le service d’urgences d’un CH de l’ouest

« Il nous manque du temps »

Quand il arrive le matin et que dix-sept personnes ont passé la nuit dans l’UHCD qui ne contient que huit lits, Paul se sent parfois découragé. « Il nous manque du temps, insiste-t-il. Soit on augmente le personnel, soit on éduque la population. Qu’est-ce qui est le plus facile ? ». Ce qui le fait tenir ? « S’il n’y avait pas une cohésion d’équipe, beaucoup de services auraient du mal à fonctionner ».

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Une réaction

  1. il faut réorganiser la garde des médecins généralistes pour diminuer le nombre de passages aux urgences il ne sert à rien d’augmenter encore et encore les moyens des urgences c’est un puit sans fond

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