Infirmiers anesthésistes : la pratique avancée se perd dans la navette parlementaire

Infirmiers anesthésistes : la pratique avancée se perd dans la navette parlementaire

Les députés ont refusé que les infirmiers anesthésistes soient considérés comme des auxiliaires médicaux de pratique avancée, le 18 mars lors de l'examen de la loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification (dite « loi Rist »). A l'heure ou les Iade doivent se mobiliser contre la nouvelle vague de Covid, ce vote est très mal vécu par les représentants de la profession.
Infirmiers anesthésistes : la pratique avancée se perd dans la navette parlementaire
© iStock

La suppression par les députés, le 18 mars, de l’article 1er bis AA qui aurait inscrit les Iade dans le champ de l’exercice en pratique avancée, et que les Sénateurs avaient, introduit dans le texte et adoptés, a provoqué un tollé parmi les infirmiers anesthésistes.

« On nous a volé notre amendement », a réagi le Collectif Iade des Pays-de-Loire sur Twitter. Des Iade se sont insurgés contre cet « enterrement de première classe » du texte qui cristallisait leurs espoirs.

Certains Iade ont clairement exprimé leur colère envers Oliver Véran et les députés LREM qui ont voté la suppression de l’amendement : « savent-ils que lorsqu’ils ont une anesthésie, ce n’est pas des médecins anesthésistes réanimateurs qui veillent sur eux mais de simples “subordonnés” ? ».

Un infirmier anesthésiste s’indigne : « Cracher sur les IADE comme ça, c’est cracher sur toute la profession infirmière ». Un autre estime que « la profession Iade ne peut accepter un tel mépris, pas après tout ce que nous avons fait dans les réas de fortune ».

Un étudiant Iade, écoeuré, souligne que ce vote intervient « quelques jours avant de renvoyer ces même IADE dans les réanimations covid ». Il constitue selon un autre infirmier une « étincelle » qui « catalyse la colère, l’incompréhension et le ressentiment alors même que les IADE sont appelés à faire preuve encore une fois de transversalité en retournant en réa ».

Selon un autre twitto Iade, « la coupe est pleine de déception et de fatigue ».

Amendement « volé »

Le Syndicat national des infirmiers anesthésistes (Snia), le Comité d’entente des écoles Iade, le Conseil national professionnel des infirmiers anesthésistes, les collectifs régionaux Iade, l’Ufmict-CGT, la Société française des infirmiers anesthésistes (Sofia), et l’Association nationale des infirmiers anesthésistes (ANEIA), ont aussi manifesté leur déception dans un communiqué commun.

Le vote des sénateurs, en première lecture, en février, avait suscité leur espoir. Le Sénat avait en effet adopté en première lecture en février une version de la proposition de loi à laquelle avait été ajouté l’article qui visait à intégrer les infirmiers anesthésistes dans l’exercice en pratique avancée.

Mais la veille du nouvel examen du texte par l’Assemblée, le 18 mars, le gouvernement a déposé un nouvel amendement visant à supprimer l’article en question. Le jour du vote, les députés sont très peu nombreux dans l’hémicycle. « Brigitte Bourguignon (ministre déléguée chargée de l’Autonomie, NDLR), voyant que cela allait poser problème, a demandé une suspension de séance pendant laquelle on est allé chercher des députés LREM qui étaient restés dans leur bureaux », raconte Christophe Paysant, président du Snia.

L’amendement visant à supprimer l’article 1er bis AA a ainsi été adopté par 39 voix contre 37. Un « coup fourré », a commenté le groupe Iade de France sur Twitter.

Ce vote et les conditions dans lesquelles il s’est déroulé laissent « un goût amer à des professionnels épuisés par des mois de lutte contre la covid 19 et attise un sentiment de révolte », ont souligné les organisations professionnelles dans leur communiqué.

Selon elles, les conditions d’exercice des Iade correspondent à la définition internationale de la pratique avancée. En termes de formation et de missions, « on coche l’ensemble des standards internationaux, souligne Christophe Paysant, mais nous ne sommes pas reconnus comme tels en France », où on a préféré, ajoute-t-il, « créer une pratique avancée à la française ».

Pratique avancée « à la française »

Selon Jean-Pierre Anthony, président du CNPIA, « en France, on a une vision réductrice de la pratique avancée, on est en retard de 20 ans ».

Il souligne ainsi la dimension transversale des missions des Iade dans « l’accompagnement du patient, de son entrée au bloc à sa sortie, et même en post opératoire dans certains services » en algologie, et en préhospitalier.

Les défenseurs des Iade insistent aussi sur leur étroite collaboration avec les médecins anesthésistes et leur activité en autonomie médicale encadrée en anesthésie.

Dans ce domaine, précise le président du CNPIA, les Iade travaillent en effet non pas en suivant un protocole ou une prescription mais à partir de la stratégie d’anesthésie déterminée par le médecin anesthésiste et qu’ils peuvent adapter selon les patients.

Au bloc, ils n’agissent pas en présence permanente d’un médecin anesthésiste, ajoute Jean-Pierre Anthony. La seule différence, selon lui, réside dans le fait que les Iade ne bénéficient pas de temps dédié à la recherche, contrairement aux IPA.

A travers l’article retiré, insistent tous ses défenseurs, il ne s’agit pas de faire en sorte que les Iade deviennent des infirmiers de pratique avancée (IPA), tels que les définit les articles R. 4301 et suivants du code de la Santé publique.

Ils n’en remettent d’ailleurs pas du tout en cause le statut, ni les missions ni l’évolution positive que les IPA représentent pour la profession infirmière.

Ils veulent être reconnus comme des « auxiliaires médicaux en pratique avancée » (AMPA), souligne Christophe Paysant, avec le même programme de formation qu’aujourd’hui et les mêmes critères d’accès (après deux ans d’exercice du métier pour les IADE donc).

Selon lui, le code de la Santé publique est ainsi structuré qu’en dessous des articles sur les IPA pourraient figurer ceux sur d’autres AMPA, dont les infirmiers anesthésistes.

Cette reconnaissance, symbolique, sonnerait comme celle du rôle des Iade dans toutes leurs missions, au sein du système de santé. D’ailleurs, insiste Lucie Munsch, référente du collectif Iade Alsace, les infirmiers dits « anesthésistes » souhaitent être reconnus pour l’ensemble de leurs champs d’activité et non pas seulement l’anesthésie.

« Lobby médical »

Le rejet de l’article 1er bis AA n’a pas été motivé par des considérations financières : selon les règles parlementaires, il a pu être ajouté à la proposition de loi au Sénat parce qu’il n’entraînait pas de coût supplémentaire.

Selon Jean-Pierre Anthony, Olivier Véran « a une vision technocratique de ce que sont les IPA et les Iade », qui ne travaillent pas uniquement, contrairement à ce qu’il a indiqué, dans le domaine de l’anesthésie.

« On ne comprend pas à quoi est dû cet entêtement à ne pas reconnaître les Iade dans la pratique avancée », ajoute-t-il.

Pour Christophe Paysant, l’amendement a été retiré parce que « nos exigences de formation et de compétences posent difficulté aux concepteurs de la haute administration car ils ont créé une pratique avancée qui doit rester marginale ».

Elle ne le serait plus si 13000 Iade y accédaient. Aussi, ajoute le président du Snia, « la haute administration est sous influence» d’un « lobby médical » qui s’est déjà insurgé contre la création de « professions médicales intermédiaires » proposée au départ par la députée Stéphanie Rist.

De fait, le Syndicat national des anesthésistes réanimateurs de France (Snarf) et le Syndicat des anesthésistes libéraux (AAL) se sont félicités du vote des députés.

Après celui des sénateurs, ils avaient demandé dans un communiqué commun du 25 février le retrait de l’article en question. « Les IADE ne sont jamais en pratique avancée », y affirmaient-ils, en insistant par exemple sur les limites de leur autonomie, comme le fait qu’ils exercent « sous la responsabilité de l’anesthésiste ».

Selon eux, les Iade, « précieux collaborateurs », ont un « rôle indispensable » mais leur reconnaissance en pratique avancée constituerait un « retour en arrière » et un risque pour la sécurité des patients car elle « démédicaliserait » la prise en charge des patients.

Ecran de fumée ?

Moins véhément, le Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes réanimateurs élargi (Snphare) indiquait pour sa part début mars qu’il soutenait la demande de « reconnaissance statutaire et salariale » des Iade mais que « le cadre de la pratique avancée ne répond pas à cette nécessaire reconnaissance ».

Ces dispositifs sont, selon ce syndicat, « un écran de fumée » destiné à pallier l’absence d’anticipation de l’évolution de la démographie médicale. De leur côté, les représentants des Iade ont reçu le soutien, dans leur démarche, de la Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR), de la Fédération internationale des infirmiers anesthésistes (IFNA), du Collège infirmier français, d’élus et d’anesthésistes réanimateurs…

La proposition de loi doit repasser devant le Sénat le 1er avril. Les organisations nationales d’Iade, comme les collectifs régionaux, sont mobilisées pour sensibiliser députés et sénateurs à leur cause, notamment via les directions d’hôpitaux. Elles demandent aussi à rencontrer Olivier Véran, pour « désamorcer l’exaspération grandissante » et la « colère noire » des infirmiers anesthésistes.

Géraldine Langlois

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