Depuis 2008, un accord signé avec l’Assurance maladie incite à l’installation des infirmières libérales dans les déserts médicaux. Huit ans après, qu’en est-il ? Etat des lieux.
« Là où je suis, c’est vraiment la diagonale du vide, surtout en termes de médecins. En tournant dans un rayon de 20 km autour du village (où se situe le cabinet, ndlr), je fais jusqu’à 250 km par jour. Ça fait pas mal ! », estime Muriel*, infirmière libérale (Idel) installée dans la région Centre. A la quarantaine, celle qui tient le blog “La petite infirmière dans la prairie », relate avec émotions son quotidien rural : « les gens éparpillés dans des coins isolés », « les situations cocasses », « les gens très âgés chez qui on se rend par un petit chemin où tout a l’air abandonné », et leur joie de voir leur infirmière, parfois seule interlocutrice de leur journée. Muriel, qui commence ses journées à 6 h 30, et après une pause, termine à 20 h 30, parcourt du pays et voit de la misère, « pire qu’en ville », s’étonne-t-elle.
Pourtant, son village dans une zone rurale du Centre ne fait pas partie des zones « très sous-dotées » en infirmières telles que les a définies l’Assurance maladie. Car, quand on parle de déserts médicaux, il y a la théorie… et la pratique.
En 2008, un accord de régulation a été signé avec l’Assurance maladie qui est censé faciliter l’installation des infirmières dans les zones définies comme très sous-dotées. La profession infirmière, parmi toutes les professions de santé, reste en effet la plus inégalement répartie sur le territoire national. En moyenne, la clientèle d’une infirmière libérale française compte 290 patients, mais selon les départements, la démographie diffère radicalement. En Mayenne, elle en aura 753, dans les Bouches-du-Rhône, seulement 107. Autrement dit, c’est le grand écart.
Des aides financières en zone sous-dotée pour les infirmières libérales
« Quatre indicateurs ont été sélectionnés : deux indicateurs de besoins de soins – les honoraires moyens sans dépassement (HSD) par infirmier et la part des personnes âgées de plus de 75 ans)- et deux indicateurs d’offre de soins -la densité pour 100 000 habitants et le nombre moyen d’indemnités kilométriques (IK) par Idel”, explique-t-on du côté de l’Assurance maladie. Après de savants calculs, “cinq types de zones très sous-dotées, sous-dotées, intermédiaires, très dotées et sur-dotées » ont été définies. « Sur cette base chaque Agence régionale de santé (ARS) fixe par arrêté la liste des zones classées dans ces cinq catégories. Des mesures conventionnelles s’appliquent dans ces zones : incitatives dans les zones très sous dotées et régulatrices dans les zones sur-dotées », poursuit-on.
De façon incitative, tout en y incluant une touche de coercition, les pouvoirs publics ont donc tenté de changer la donne. Le système d’aide financière allouée aux infirmières s’installant en zone très sous-dotée se compose de deux aides : une participation aux équipements et aux frais de fonctionnement en lien direct avec l’exercice professionnel qui correspond à 3 000 euros par an sur trois ans et une prise en charge des cotisations d’allocations familiales.
En adhérant à ce contrat incitatif infirmier, l’infirmière libérale s’engage à exercer deux-tiers de son activité libérale conventionnelle dans la zone très sous-dotée, à avoir un taux de télétransmission minimum de 80 %, à réaliser les injections vaccinales contre la grippe dans le cadre des campagnes de l’Assurance maladie et à assurer le suivi de ses patients atteints de pathologies chroniques, notamment les patients insulino-dépendants.
Efficace ou contre-productif ?
Résultats : selon l’Assurance maladie, interrogée sur cette question, « en 2015, la part des infirmières libérales qui se sont installées en zone très sous dotée a augmenté de 1,2 point par rapport à 2011 (le taux d’installation est passé de 4,4 % en 2011 à 5,6 % en 2015). A contrario sur la même période, la part des installations en zone sur-dotée a diminué de 12,8 points (taux d’installation de 25 % en 2011 et de 12,2 % en 2015). Ainsi on constate que les inégalités de répartition sur le territoire se sont réduites entre 2009 et 2015 ».
Sur le papier, il s’agit donc d’une belle réussite. Mais l’expérience des infirmières vient nuancer la performance. Ainsi Anne-Marie Yvon, infirmière libérale installée depuis trente ans à Villetaneuse, une ville de Seine-Saint-Denis qualifiée de “très sous-dotée” est loin d’être convaincue : « j’aurais pu signer un contrat pour obtenir ces aides, mais je n’en ai pas besoin. Pourquoi m’engager pour trois ans alors que je suis installée depuis des décennies ? » Pour elle, ces aides seraient même contre-productives. « Une de mes collègues est partie sur Pierrefitte (autre commune de Seine Saint-Denis très sous-dotée, ndlr). A force de donner de nouveaux d’agréments, elle a vécu six mois d’enfer, car elle n’avait plus assez de travail ! », raconte-t-elle.
Nadia Bernier, 47 ans, est installée depuis 2008 dans une petite ville du Loiret, Amilly. Juste avant de s’installer à Amilly, « j’ai fait une étude de marché comme une grande, j’ai constaté qu’il y avait dix cabinets à Montargis (ville voisine de taille similaire, ndlr), et qu’à Amilly, il n’y avait que deux cabinets vieillissants et beaucoup de maisons en construction, donc de nouveaux habitants en perspective », se souvient-elle. « Après neuf mois, je ne pouvais plus travailler toute seule », raconte-t-elle. La première année, elle a tenu sur ses économies et dépensé 40 000 euros pour le matériel (comme les lecteurs de carte vitale, les logiciels nécessaires, une comptable,…), les charges, le carburant, la carte pro…
“Puis un troisième cabinet s’est installé, puis un quatrième, mais on arrive tous à travailler et aucun ne ferme”. Du travail, Nadia en a à revendre. Elle a certes choisi le libéral, après de mauvaises expériences à l’hôpital, pour le côté « humain avec les patients », et aussi par ce que « des gens soignés chez eux, cela coûte moins cher à la société ». Pourtant, aujourd’hui, elle est prête à arrêter. “Abnégation, sacrifices, travail très exigeant “, autant de mots qui montrent que Nadia Bernier est excédée de ses conditions d’exercice actuelles.
Prête à décrocher sa plaque ?
Elle se sent pressurisée. « En plus de la sécurité sociale, on doit payer une mutuelle, cotiser à une assurance perte de revenus (en cas d’accident, de maladie invalidante) et à l’assurance contre les risques de contamination par le sang (en cas de piqûre), régler l’assurance du cabinet alors que chez nous, il n’y a personne dans notre cabinet, nous sommes toujours en déplacement”, détaille-t-elle.
Si cette infirmière libérale travaille beaucoup, elle gagne effectivement “trois euros par heure, sur lesquels je dois encore payer des impôts”. Car travailler en libéral, c’est un sacerdoce. “Je ne suis pas une commerçante. Je ne peux pas ne pas me déplacer. Je ne peux pas refuser les soins à une personne diabétique !” (cf. l’une des obligations du contrat incitatif).
Après avoir peiné à trouver une nouvelle associée, elle a enfin rencontré Micheline Erichot. “J’ai du quitter Paris car mon mari a trouvé un travail dans le Loiret. Après une mauvaise expérience dans un autre cabinet d’Amilly, j’ai eu la chance de rencontrer ma collègue”, explique cette dernière.
“Quand j’ai fait mes papiers pour entrer en libéral, la CPAM m’a fait signer une convention et un contrat, raconte-t-elle. L’aide financière que je touche, c’est un petit plus, reconnaît-elle, même si je ne l’attendais pas. Mais je n’ai touché que 1 700 euros (sur les 3 000 qu’elle devait toucher, ndlr)”, déplore-t-elle.
“En obtenant de l’argent plus d’un an après son installation, il ne faut pas compter dessus pour acheter du matériel, et en plus, on est imposé là-dessus”, souligne-t-elle. Au final, cela lui paiera ses cotisations Urssaf, qui se montent précisément à… 1 700 euros.
Un problème plus profond ?
Mais les déserts médicaux ne concernent pas que les infirmières. Anne-Marie Yvon déplore, dans sa commune, “le départ des médecins d’ici deux à trois ans. Il ne restera qu’un seul médecin et il ne trouve personne pour le remplacer”. Sans compter le manque cruel de kinésithérapeutes, qui inquiète fortement l’infirmière.
Hervé Maurey est sénateur de l’Eure, et auteur d’un rapport sur les déserts médicaux réalisé en 2013. “Depuis, objectivement, la situation ne s’est pas améliorée. Les médecins continuent de prendre leur retraite sans être remplacés, explique-t-il. Les responsables politiques manquent de courage pour proposer des mesures fortes. Mais de plus en plus d’interlocuteurs se rendent compte que l’incitatif seul ne fonctionne pas, donc il faut de la régulation.” Et d’évoquer la possibilité de conventionnement pour les médecins, “comme c’est le cas pour d’autres professions de santé”, l’ajout de modules de formations sur la gestion d’un cabinet ou la communication avec les patients lors des études de médecine pour mieux familiariser les étudiants avec la médecine de ville…
Il faudrait aussi, estime-t-il, “déléguer certains actes que les infirmières, tout comme les pharmaciens ou ophtalmologistes dans leur domaine, pourraient réaliser”, à l’instar du “renouvellement d’ordonnance”. Une mesure que soutient Elisabeth Maylié, déléguée de l’Onsil (Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux) pour la région Midi Pyrénées : “on aimerait bien pouvoir prescrire, en tant que spécialiste des soins infirmiers, tout en restant dans notre rôle”.
Nadia Bernier précise aussi qu’il faut créer un climat attractif à une installation, avec des infrastructures comme des écoles, des universités etc. “On ne peut pas faire venir des médecins sans rien pour y vivre”, lâche-t-elle. L’Assurance maladie nuance : ” Certaines zones peuvent en effet cumuler des difficultés d’accès aux médecins et aux auxiliaires médicaux dont les infirmières. Mais il existe également des zones sous dotées en médecins qui ne manquent pas d’infirmières et l’inverse existe. Les déterminants d’installation dans une zone sont liés à de multiples facteurs comme les équipements, les possibilités pour le conjoint de trouver un travail,… et sont complexes à analyser.” Pour Elisabeth Maylié, de l’Onsil, “il faudrait que le maillage s’applique aux autres professionnels de santé”. Une façon de dire que les infirmières sont l’un des rouages-mais pas le seul- d’un système de santé bien huilé.
Delphine Bauer
*le prénom a été changé.
Cet article est paru dans le numéro 22 d’ActuSoins (Sept/Oct/Nov 2016).
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Densité* d’infirmiers libéraux par département au 1er janvier 2014
Les départements des régions Ile-de-France et Pays de la Loire observent une sous dotation d’infirmiers exerçant en libéral. Parmi les départements les plus pourvus, on retrouve l’Hérault, le Tarn, les Bouches du Rhône et le Var, qui comptent plus de 300 Idel (respectivement 312, 314, 331, 338,) pour 100 000 habitants. Les départements des Hautes-Alpes, de Martinique, de Lozère, d’Aveyron ou de Haute-Vienne sont également particulièrement bien couverts. Une forte différence avec les Yvelines, le Val de Marne ou la Sarthe dont les effectifs restent faibles (60, 62 et 75 infirmiers libéraux pour 100 000 habitants).
*Densité : nombre de professionnels en activité pour 100 000 habitants.
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