Fumées chirurgicales : une action en justice pour protéger les infirmiers de bloc

Fumées chirurgicales : une action en justice pour protéger les infirmiers de bloc

Les fumées chirurgicales inquiètent les soignants. Le Collectif inter blocs (CIB), association professionnelle des Ibode et infirmiers de bloc opératoire, a lancé une action collective en justice pour pousser les établissements à installer des systèmes d’évacuation.
infirmiers de bloc
© Max Acronym / ShutterStock

« Pour moi c’est un scandale sanitaire à venir, au même titre que celui de l’amiante qui a été nié à ses débuts ». Pour maître Haïba Ouaissi, la situation est claire.

Mais qu’est-ce qui inquiète tant cet avocat, dont le cabinet Cassius représente les intérêts des soignants et du Collectif inter blocs ? Les fumées chirurgicales. Ces substances émises au bloc opératoire lors d’une intervention chirurgicale, suite à la combustion des tissus par les outils électrochirurgicaux (bistouris électriques, lasers, instruments de cautérisation), entraîneraient des pathologies plus ou moins graves chez les personnels intervenant au bloc, infirmiers de bloc et Ibode en première ligne. « Je ne vois pas comment ces fumées pourraient ne pas être dangereuses », lâche Grégory Chakir, porte-parole du collectif, qui a lancé en décembre dernier une action en justice pour une reconnaissance de ces risques et une meilleure protection des établissements hospitaliers.

Des fumées dangereuses

Selon une étude anglaise, une journée passée au bloc serait l’équivalent de 27 à 30 cigarettes par jour. Une image choc ? Peut-être un peu pour Annabelle Guilleux, experte en prévention des risques chimiques à l’INRS, mais qui ne remet en rien en question la dangerosité des fumées chirurgicales : « En coupant les tissus ou en les cautérisant, ces instruments provoquent une combustion des tissus localement. Ces fumées constituent donc un mélange complexe, composé de vapeur d’eau, de produits de pyrolyse mais aussi de fragments de cellule, voire  de micro-organismes, des bactéries viables et des virus infectants ont été retrouvés. Parmi les produits de pyrolyse, on retrouve entre autres du benzène, du toluène, des xylènes, des hydrocarbures aromatiques polycycliques, certains de ces agents chimiques dangereux sont cancérogènes ». Elle complète : «  L’irritation des voies respiratoires et des yeux [dont les Ibode témoignent, ndlr] bien réelle et documentée, est multifactorielle ».

Dans sa thèse présentée en 2022, la future docteure en pharmacie Elise Baltora évoque les principaux symptômes observés « maux de tête, irritations oculaires, nausées et irritation du pharynx ». La doctorante souligne également des cas dans la communauté soignante, de cancers laryngés et oropharyngés et de papillomatose. « Les effets à court terme sont connus, surtout les effets irritants des voies respiratoires ou des yeux et les maux de tête ou les nausées. Les effets à long terme sont supposés en raison de la toxicité des composants des fumées », précise Annabelle Guilleux, mais la polyexposition des soignants rend le lien de causalité difficile à établir. Pour autant, « le mot d’ordre est : ces fumées sont dangereuses et il est important de les capter à la source lors des interventions ».

Mieux protéger les soignants

Les capter ? Il existe en effet des dispositifs qui permettent de capter ces fumées toxiques dès qu’elles sont émises ou même des instruments électrochirugicaux munis d’un captage intégré. Le Collectif inter blocs a donc décidé de saisir la justice afin d’exiger une meilleure protection de la santé des soignants. « Le matériel existe. En France certains établissements ont bien mis en place des systèmes », reconnaît Grégory Chakir. Isabelle, Ibode à Mantes-la-Jolie, affirme que depuis deux ans, son établissement a installé un système d’évacuation Stryker Neptune. Une initiative qui, selon elle, a permis d’en parler. « Une fois qu’on sait que ces fumées sont malsaines, il faut changer les comportements ».

Mais nombreux sont encore ceux qui ne respecteraient pas leur obligation légale, en tant qu’employeurs, de protéger les agents dans l’exercice de leur fonction. Maître Haïba Ouaissi précise : « Parfois, les centres hospitaliers ont acheté le matériel, mais sans qu’il soit performant ou sans s’en servir car il n’est pas adapté ou trop technique », ce qui revient, selon ses informations, à laisser du matériel stocké sur le côté dans les blocs opératoires.

En dernier recours, les soignants devraient aussi bénéficier de masques spécifiques, à haute filtration, car « les masques standard ne filtrent pas correctement 77 % des particules contenues dans les fumées chirurgicales », avance encore l’avocat. Sur ce point, Annabelle Guilleux insiste : l’essentiel se joue néanmoins dans les systèmes d’évacuation.

Mieux évaluer l’impact des fumées chirurgicales

Grégory Chakir déplore que les dangers des fumées toxiques soient connus, y compris de la médecine du travail, mais que les établissements soient si peu prompts à s’y attaquer. Rémy Lazzari, Ibode depuis 20 ans, est très en colère. « Cela fait des années que l’on en parle mais personne ne fait rien ».

Annabelle Guilleux y voit une spécificité du milieu du soin où « la santé du patient prime. Peut-être est-ce pour cela que souvent les mesures de prévention arrivent dans un second temps pour les personnels soignants ».

Sans doute des études épidémiologiques complémentaires ou un listing spécifique qui recenseraient les pathologies pourrait aider, suggère Grégory Chakir. « Nous aimerions mener des études claires pour avoir des données chiffrées et montrer que les fumées chirurgicales entraînent un risque important ». Mais de quelle ampleur exactement ? Difficile à dire. Haïba Ouaissi tente de faire le compte : plusieurs dizaines de milliers d’infirmiers exercent au bloc. « Même si seulement dix cancers sont reconnus comme liés aux fumées toxiques, c’est un très mauvais calcul financier que ne pas équiper les établissements hospitaliers, puisque le coût de prise en charge d’un malade pour la société est très largement supérieur au coût d’investissement dans du matériel de protection ».

Grégory Chakir estime que le prix n’est pas colossal au sein d’un budget global de fonctionnement. Il y voit le manque d’intérêt pour le sujet. « C’est un faux problème. Les directions sont capables d’investir sur d’autres matériels, des robots très chers. C’est juste que la problématique des fumées n’est pas prioritaire aujourd’hui en France ». Même son de cloche pour Rémy Lazzari : « l’administration, c’est des chiffres. Le côté humain n’existe plus », estime-t-il.

Cette action en justice affiche donc deux objectifs principaux. « D’abord, faire condamner les établissements qui manquent à leurs obligations légales, mais aussi modifier la législation et les mentalités sur l’évaluation de ces risques ». À ce titre, des recours ont déjà été envoyés à une vingtaine d’établissements.

Deux mois après ces envois, « nous saisirons le tribunal administratif et nous demanderons une indemnisation à hauteur de 2 000 euros par année d’exercice par soignant pour le préjudice d’anxiété. Dans le droit sillon de l’affaire de l’amiante, le conseil d’État n’exige pas de certificats médicaux, une attestation d’exposition suffit ».

À ce jour, près d’une centaine de soignants ont entamé une démarche judiciaire.

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