« Mener une politique de développement durable sur le court terme est voué à l’échec, prévient d’emblée Olivier Toma, fondateur de Primum non nocere, entreprise de conseil en développement durable, qui accompagne les établissements sanitaires et médico-sociaux dans leur démarche. C’est en raisonnant à long terme que l’on prévient le court terme comme la gestion d’épisodes caniculaires par exemple. »
De nombreux centres hospitaliers l’ont compris et s’engagent dans une démarche de développement durable qui permet en outre de réaliser des économies financières. Parmi les pistes pour agir : l’architecture en construisant des bâtiments peu consommateurs d’énergies.
« On parle d’éco-conception des bâtiments de santé, explique Olivier Toma. Mais ce n’est possible que pour des constructions neuves en réfléchissant par exemple au positionnement du bâtiment par rapport au vent, au soleil. » Une réflexion indispensable car les bâtiments accueillant du public doivent réduire de 40 % leur consommation énergétique d’ici à 2030 d’après la loi de transition énergétique.
Un bémol : il n’existe aucun contrôle sur l’application de la loi. En outre, les nouvelles constructions restent rares dans le secteur hospitalier. La rénovation prend alors toute son importance : isolement du bâtiment, production de chaud et de froid par des moyens peu consommateurs comme les pompes à chaleur…
L’autoconsommation fait partie de ces solutions. Le CH de Carcassonne s’est engagé dans ce type de démarche en renouvelant une grande partie de son patrimoine immobilier. Un projet comprenant notamment la construction d’une plateforme logistique et d’une centrale énergétique, livrés en 2014.
« L’hôpital est en Haute qualité environnementale (HQR), souligne Philippe Casier, ingénieur Energies et développement durable au sein de l’établissement. Nous utilisons les énergies renouvelables avec le bois par exemple, pour chauffer l’hôpital. » Le parking de l’établissement, mis à disposition d’une entreprise privée, a été recouvert d’ombrières photovoltaïques dont l’énergie sert à alimenter l’hôpital.
« Nous allons racheter l’électricité directement à la sortie des ombrières afin de ne pas avoir de taxes et d’acheminement à payer », précise-t-il. Des économies sont également effectuées sur l’eau avec la réutilisation de celle utilisée par le service de dialyse pour l’arrosage du jardin.
Une politique d’achat responsable
Autre moyen d’action : la politique d’achat, « la clef pour une politique de développement durable efficace car elle est récurrente », indique Olivier Toma. Pour la mener à bien, des critères de choix doivent être définis par l’établissement. A titre d’exemple, lorsqu’un CH doit choisir un sous-traitant pour sa restauration, il peut imposer dans l’appel d’offre, des objectifs à tenir. « Aujourd’hui, les cuisines disposent d’ustensiles avec des sous-compteurs pour mesurer l’énergie utilisée pour la réalisation des plateaux-repas, ce qui permet d’agir sur la réduction de la consommation d’énergie », fait savoir Olivier Toma.
Des règles de bonnes pratiques peuvent également être appliquées comme celle de ne pas allumer le four trois heures avant le début de la cuisson des repas. Les objectifs sont identiques pour le gaspillage alimentaire ou la blanchisserie en agissant sur la consommation d’eau.
La politique d’achat concerne également les dispositifs médicaux utilisés au sein de l’établissement. « Il est tout à fait possible de travailler sur la quantité de dispositifs médicaux utilisés et sur leur poids », rapporte Olivier Toma. Par exemple, lors d’une prise de sang, une infirmière peut effectuer de l’éco-conception des soins en pesant le matériel utilisé. Si elle génère 500 grammes de déchets et que l’usage d’autres dispositifs médicaux permettrait de réduire à 400 grammes, elle pourrait ainsi diminuer de 20 % l’impact environnemental.
« Placer le soin au cœur du développement durable redonne du sens au travail des soignants et à leur cœur de métier », souligne Nelly Phansiri, infirmière spécialisée en éco-conception des soins au sein de Primum non nocere. L’éco-conception des soins donne à réfléchir sur l’impact environnemental, social, sanitaire et économique des soins prodigués. « Certes, la majorité des soins sont prescrits mais dans la réalisation de l’acte en tant que tel, les infirmières peuvent réfléchir à ce qu’elles vont consommer et à la composition des matériaux utilisés pour en informer leur hiérarchie et ainsi essayer d’avoir un impact environnemental avec leurs soins », poursuit-elle.
C’est le cas par exemple avec les flacons de Bétadine, qui font 125 ml alors que la totalité de l’antiseptique est rarement utilisée. « Les centrales d’achat doivent définir leur critère de choix, estime Olivier Toma. Si la demande évolue en faveur du 30 ml, cela pourrait avoir une influence sur les appels d’offre et donc sur les industriels. »Néanmoins, « le soin éco-conçu doit rester de la même qualité que le soin conventionnel, rappelle Sylvie Joviado, directrice de Primum non nocere. Il faut respecter la qualité et la sécurité des soins et donc des patients. »
Outre la contrainte des offres disponibles sur le marché, les changements de dispositifs médicaux impliquent également de revoir tout le process du soin. Il faut modifier toutes les procédures transversales comme l’hygiène, la logistique, l’achat, une démarche qui peut s’avérer contraignante. « Il est difficile de commencer une démarche de développement durable par les achats, c’est trop démoralisant car les budgets sont souvent très serrés », reconnaît Stéphane Ruyant, directeur Qualité et développement durable au CH de Valenciennes, établissement engagé dans une démarche de développement durable depuis 2011.
Mobilité et transports
La mobilité et les transports sont un autre axe fondamental de la politique de développement durable des CH. D’ailleurs, depuis la loi de transition énergétique de 2015, tous les établissements de plus de 100 salariés doivent disposer d’un plan de déplacement d’entreprise. « Ils doivent dans un premier temps identifier les transports générés par leur activité comme le transport de patients, de déchets, de marchandises pour ensuite réfléchir à une politique permettant d’en réduire l’impact », indique Olivier Toma.
Les établissements peuvent par exemple participer à l’achat de vélos électriques ou installer des parkings à vélos pour encourager les salariés à utiliser ce mode de déplacement. « Il y a des astuces pour favoriser la mobilité douce », indique-t-il. Le CH de Valenciennes a mené une étude concernant les moyens de déplacement de ses salariés afin de mener des actions de sensibilisation pour être les plus « propres » possible dans leurs déplacements.
« Pour les hôpitaux, c’est un enjeu très important car dans quasiment toutes les villes, nous sommes le plus important employeur de la collectivité, précise Stéphane Ruyant, le CH de Valenciennes employant 5500 personnes. L’établissement a donc décidé d’offrir 150 euros à tout salarié achetant un vélo et s’engageant moralement à venir trois jours par semaine et six mois par an en vélo à l’hôpital. Depuis cinq ans, environ 70 contrats sont signés tous les ans.
Par ailleurs, « dans notre établissement, les places de parking sont une vraie problématique notamment au moment des jonctions des équipes, poursuit-il. De fait, l’établissement a priorisé l’accès à la zone de parking la plus proche aux agents effectuant du co-voiturage. La signature d’une convention leur permet de bénéficier d’une clef pour y accéder. L’hôpital dispose aussi d’une plateforme logistique où tous les achats sont centralisés. De cette manière, les camions ne rentrent pas au sein de l’établissement situé au cœur de la ville.
Autre exemple : l’Hôpital privé Nord parisien a instauré le co-voiturage pour les patients sous dialyse venant au centre en Véhicule sanitaire léger (VSL). Cette mesure a permis de réduire de 20 % les gaz à effet de serre sur le transport des patients. « Nous avons travaillé avec une entreprise de transport sanitaire déjà engagée dans une démarche de développement durable en santé », explique Franck Paule, directeur du centre de dialyse. Le transporteur va chercher les différents patients en fonction de leur heure de rendez-vous aux séances de dialyse. « Cette initiative a créé une autostimulation entre les patients, indique Franck Paule. Entre eux, ils s’encouragent, ils partagent leur expérience de soins. L’impact social et financier est réel pour nous et pour la sécurité sociale, tout comme l’impact environnemental puisqu’au lieu d’avoir deux véhicules qui circulent à mi-vide, il n’y en a plus qu’un seul qui est plein. »
Les éco-gestes quotidiens
Le développement durable peut également naître de la volonté de chaque agent d’un établissement hospitalier. « La notion d’éco-geste citoyen est très importante et soulève des questions, souligne Olivier Toma. Pourquoi éteignons-nous la lumière chez nous mais pas à l’hôpital ? »
Le suivi des consommations d’eau, de chauffage, de climatisation entre dans cette logique. Idem pour le stockage des mails, consommateurs d’énergie, ou encore des jetables à usage unique (tasses, gobelets, bouteilles d’eau en plastique) qui pourraient être échangés par des ustensiles pérennes. Soixante-dix tonnes de couverts sont jetés annuellement par les établissements. Mais le problème dans les hôpitaux, c’est le vol. « Il faudrait mettre en place des systèmes de consignes avec un pack à l’arrivée des patients, suggère Olivier Toma. Il faut sortir de l’usage unique. »
Le CH de Valenciennes a élaboré une fiche d’éco-gestes à destination des soignants, avec neuf actions pouvant être menées au quotidien comme trier les déchets, éteindre les lumières, alerter dès qu’il y a des fuites d’eau, imprimer au minimum, réduire la consommation d’eau en bouteille. Le rôle de l’établissement est aussi d’être à l’écoute de tous les projets. « A la demande de nos jardiniers, nous avons fait venir des moutons et des chèvres pour tondre les pelouses, indique Stéphane Ruyant. Cela amuse tout le monde, c’est convivial. » Et de conclure : « Un médecin a voulu mettre des ruches sur le toit de l’hôpital, nous l’avons aidé dans son projet et aujourd’hui il fait son miel. »
Laure Martin
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Témoignages
« J’ai un rôle d’alerte à jouer »
Virginie Mangote, infirmière, ambassadrice développement durable au sein du service de consultations externes en neurologie au CH de Carcassonne
« Je suis très sensible au changement climatique. Dans mon quotidien, j’agis pour réduire mes déchets. Je suis ambassadrice développement durable depuis quatre ans à l’hôpital. Notre environnement de travail est générateur de nombreux déchets. Nous utilisons beaucoup de matériels – seringues, aiguilles, pansements – emballés individuellement, souvent dans du plastique. Nous nous demandons comment réduire toute cette quantité de déchets et quels efforts mènent les industriels de leur côté… Du nôtre, nous agissons sur le tri et mon rôle est de m’assurer qu’il est bien respecté par mes collègues. Aujourd’hui, je constate une vraie sensibilisation à la question.
Néanmoins, la tâche reste importante. Je fais également remonter au responsable développement durable du CH diverses problématiques. Par exemple, auparavant, dans les services, nous avions des carafes et nous prenions l’eau du robinet. Désormais, nous avons des bouteilles en plastique. Idem à la cantine. Je ne comprends pas ce changement et je l’ai fait savoir. J’ai un rôle d’alerte à jouer même si ce n’est pas à moi que revient la prise de décision. »
« Nous travaillons sur les bons réflexes à adopter »
Sylvain Carpentier, cadre de santé au sein de l’Unité de soins de longue durée gériatrie du CH de Valenciennes, référent développement durable
« Je participe aux réunions du Comité de pilotage (Copil) afin de connaître la politique de développement durable du CH et la décliner au sein du pôle gériatrie. J’organise des réunions mensuelles avec les référents soignants. L’un des axes de travail le plus porteur est le tri des déchets. Mais nous intervenons aussi sur la consommation d’eau et d’électricité. Nous avons inscrit sur les interrupteurs ″éteignez-moi″ et nous avons aussi créé des fiches d’événements indésirables pour le développement durable qui sont analysés en Copil.
Nous effectuons des audits sur les réflexes à adopter comme fermer les fenêtres, éteindre les radiateurs, diminuer la consommation de bouteilles d’eau avec l’achat de fontaines à eau. On travaille sur le recyclage d’objets entre les bureaux en réutilisant le matériel. Je suis dans cette démarche depuis 2015 et ce n’était pas la priorité des équipes à l’époque. Aujourd’hui, la progression est réelle ne serait-ce par le nombre de référents dans les services qui augmente. »
« Il faut proposer des petites actions réalisables »
Pascale Benguemalet, infirmière, référent développement durable depuis environ quatre ans au sein de l’Unité de soins de longue durée gériatrie au CH de Valenciennes
« Au domicile, je fais très attention au tri des déchets, au sol vivant, je jardine beaucoup. Je participe à la lutte contre le gaspillage et je fais partie du groupe sur le développement durable à l’hôpital. Nous organisons des réunions, des formations pour avoir une approche générale du sujet et ensuite réfléchir aux actions à mettre en place.
Le tri des déchets est déjà acté. En revanche, je lutte contre le gaspillage de l’eau, de l’électricité. Dès qu’il y a une fuite, je le signale. Je rappelle à l’ordre mes collègues sur les gestes du quotidien. Ils le prennent plutôt bien. Parmi les pistes d’amélioration : les repas qui sont délivrés dans des barquettes en plastique que nous jetons quotidiennement. Mais tout ne peut pas être changé du jour au lendemain. Il faut proposer des petites actions réalisables. »
« Il faut agir sur les utilités »
Frédéric Catherin, membre fondateur d’Energie 3, bureau d’étude thermique
« La rénovation du bâti coute très chère et aujourd’hui les établissements de santé ont des difficultés à investir lorsque le retour sur investissement est supérieur à huit/dix ans sans aide financière. Cette rentabilité est trop longue. Si la rénovation est difficile à mettre en œuvre, nous pouvons jouer sur les utilités comme le chauffage. Le nerf de la guerre, c’est l’usage du chaud et du froid.
Aujourd’hui, l’énergie n’est pas forcément bien gérée dans les établissements hospitaliers. De fait, lorsque nous arrivons sur un site, nous cherchons toutes les actions techniques que nous pouvons mettre en place pour optimiser ou réduire la consommation énergétique comme changer une chaudière.
Nous pouvons aussi agir sur la récupération de la production de la chaleur, par exemple à l’arrière des frigos, pour chauffer une structure. Nous optimisons les rendements des utilités et évitons les pertes. Autre exemple : les blocs opératoires doivent être maintenus en température, en pression et en hygrométrie. Avant, c’était le cas sept jours sur sept et 24 heures sur 24 afin d’être prêts pour une intervention… Sauf que dans une clinique privée en opération planifiée, cela ne fait aucun sens. Idem pour les hôpitaux publics le weekend. Il s’agit d’une source d’économie non négligeable. »
Cet article est paru dans le n°37 d’ActuSoins Magazine (juin – juillet – août 2020).
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