Avec Daphné, l’hôpital protège des agents victimes de violences conjugales

Avec Daphné, l’hôpital protège des agents victimes de violences conjugales

L’hôpital de Roubaix a mis en place une cellule de repérage, d’accompagnement et d’orientation pour ses agents victimes de violences conjugales ou intrafamiliales.
Le projet Daphné vise à faire de l’hôpital une safe zone, un endroit sûr où ces personnestrouveront des ressources et de l’aide pour se libérer d’un engrenage délétère.

Ce n’est pas parce qu’elles prennent soin de près ou de loin des patients, souvent des patients, victimes de violences conjugales ou intrafamiliales que les personnes qui travaillent à l’hôpital en sont épargnées et n’ont pas besoin, elles aussi, d’aide et d’accompagnement quand elles y sont confrontées. C’est le postulat qui préside au déploiement du projet Daphné mené au centre hospitalier de Roubaix : tous ses agents victimes de ce type de violence peuvent être écoutés et accompagnés par l’un ou l’une des membres de l’équipe Daphné mise en place il y a un an. Ils sont infirmiers, cadres ou cadres supérieurs de santé ou socio-éducatif, techniciens hospitalier, directeurs ou directrices, praticiens hospitaliers, agents administratifs, secrétaires ou encore psychologues. Tous portent un petit badge qui permet de les identifier comme « référents Daphné ». Ils peuvent aussi être joints par téléphone ou message : les flyers, comprenant notamment le « violentomètre », distribués avec toutes les fiches de paie et accessibles en un clic grâce au QR code apposé sur les nombreuses affiches disposées dans les tous les vestiaires et salles de pause ou de repos ainsi que dans le journal interne, contiennent leurs coordonnées.

Dix-sept référents

Le projet, mis en place en septembre 2023, découle du mémoire de diplôme universitaire sur les violences intrafamiliales d’une urgentiste de l’hôpital, le Dr Cassandra Megiarotis, qui portait sur le rôle des employeurs en la matière. Les conséquences des violences intrafamiliales sur la vie professionnelle des victimes sont connues (retards, absences, fatigue, difficultés de concentration…). Et il n’y a aucune raison pour que les milliers de professionnels travaillant à l’hôpital, soignants compris, ne soient pas concernés. L’urgentiste évoque le sujet avec la DRH qui embraye rapidement. L’équipe des dix-sept référents s’est peu à peu constituée et ils ont été formés. Des séances d’information ciblées sur les violences visant des professionnels ont eu lieu dans tous les services, de soins, techniques et administratifs.

Cet article a été publié dans le n°54 d’ActuSoins magazine (septembre 2024).

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Le dispositif est très souple. Les professionnels victimes peuvent contacter les référents directement mais aussi leurs collègues qui suspectent une difficulté d’ordre intrafamilial. Les référents exercent aussi une vigilance, de manière informelle, autour d’eux. Rebekka Wanham, infirmière au sein du service de santé au travail et référente, est amenée à voir des agents lors des visites périodiques ou des bilans de santé à l’embauche. Face à des traces suspectes sur le visage ou les bras de certaines patientes lors d’un entretien ou d’une prise de tension, elle ne part pas bille en tête. Elle vérifie d’abord si la personne rencontre des difficultés qui peuvent être liées à des violences (problèmes de sommeil, de concentration, etc.). Si c’est le cas, « nous avons un questionnaire, ajoute l’infirmière. Si la personne répond “non” aux trois premières questions, on n’insiste pas ». Il s’agit de savoir si la personne se sent oppressée quand elle rentre chez elle après le travail, si elle est sur ses gardes ou se sent surveillée.

Établir la confiance

Certaines victimes sont parfois réticentes, dans un premier temps, à évoquer les violences qu’elles subissent, remarque l’infirmière. Par peur de leur conjoint ou bien des conséquences d’une démarche pour sortir de l’engrenage des violences… Parfois par crainte que leur situation soit connue de leurs collègues ou supérieurs. Pourtant, l’équipe affiche clairement son engagement pour « le plus strict respect de la confidentialité ». Tous les référents ont en effet signé une charte de confidentialité. Avec les personnes victimes de violences, « il faut instaurer un climat de confiance, souligne Rebekka Wanham. Cela peut prendre du temps et être plus facile avec certains référents que d’autres ». Les soignants présentent une spécificité : « Dans leur culture professionnelle, ce n’est pas toujours facile de demander de l’aide », observe Charlotte Baron, psychologue à la maternité et également référente. Quand les victimes expriment le besoin d’être aidées, elles sont orientées vers le service social de l’hôpital qui en propose de multiples. « Déjà, en parlant, elles peuvent se décharger du poids du silence », remarque l’infirmière. Elles peuvent se confier aux référents mais aussi rencontrer l’une des psychologues membres de l’équipe. Le fait de pouvoir parler avec elles au sein de l’hôpital permet aux victimes de ne pas risquer de voir leur conjoint violent découvrir qu’elles consultent à l’extérieur. Surtout, bien sûr, « c’est important que les langues se délient, que ce soit au moment d’une crise mais aussi après car il y a différents temps d’intervention possible, insiste Charlotte Baron. Dans l’urgence, il s’agit d’aider la personne à sortir de la relation délétère et toxique – c’est parfois une urgence vitale. Mais il faut aussi l’accompagner après, pour qu’elle se représente ce qu’elle a vécu, comment cela a pu se produire, les mécanismes à l’œuvre voire les éventuels schémas de répétition. »

Aides multiples

La cadre et les assistantes sociales du service social peuvent aider les victimes sur un plan plus pratique. « Nous pouvons organiser la mise à l’abri des personnes, seules ou avec leurs enfants, souligne Stéphanie Béthencourt, assistante sociale et coordinatrice du projet. Nous avons des solutions concrètes à leur proposer » pour les éloigner de l’auteur des violences. « Nous pouvons aussi les accompagner dans leurs démarches judiciaires, pour porter plainte, pour obtenir l’aide juridictionnelle mais également pour les orienter vers un avocat, poursuit la coordinatrice du projet. Nous pouvons aussi leur apporter une aide financière pour faire face aux frais que peut impliquer une séparation dans l’urgence, comme les frais d’avocat ou de garde d’enfant. »

Dans ce domaine, l’hôpital permet aussi aux victimes de faire garder leurs enfants, en urgence, grâce à un partenariat avec la ville ou, le week-end, avec le service de pédiatrie. Le service social peut également aider les victimes sur le plan alimentaire via des paniers repas. Et les mettre en relation avec des associations partenaires. La DRH a par ailleurs créé un fonds de temps solidaire : si une victime a besoin de temps pour effectuer des démarches, un appel est lancé et des agents peuvent lui donner des jours de congé. Tout est fait pour lui permettre de les mener dans la plus grande discrétion. « Si la dame est encore avec l’auteur, elle peut lui dire qu’elle va travailler alors qu’elle va voir une association ou un avocat sans perdre un jour de congé », souligne Stéphanie Béthencourt. Le fait de pouvoir effectuer les entretiens à l’hôpital permet aussi de tromper les traçeurs que certains auteurs placent dans la voiture ou le téléphone des victimes.

L’équipe de référents, qui tient un comité de pilotage par mois, ne tient pas de comptabilité des personnes accompagnées. D’autant que certaines se confient à l’un ou l’autre des référents sans pour autant se faire accompagner par le service social, qui en a aidé une vingtaine depuis un an. Selon Stéphanie Béthencourt, tous les profils de professionnels sont concernés : les violences intrafamiliales n’épargnent aucune catégorie socioprofessionnelle.

Géraldine LANGLOIS

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Cet article a été publié dans ActuSoins Magazineactusoins magazine pour infirmière infirmier libéral
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