Il fait très lourd fin juin à Marseille. L’équipe du Bus méthadone enfile blouse après une réunion de transmission, descend l’escalier qui relie leur local du quartier de la Belle de Mai au parking où les attend le gros camion blanc qui les emmène en maraude, à deux pas de la gare Saint-Charles.
Hélène, médecin spécialiste en addictologie prend le volant. Les deux infirmières, Mathilde et Nastasya, grimpent dans un second véhicule conduit par Marie, assistante sociale.
C’est le rituel de l’équipe mobile de ce centre de soin d’accompagnement et de prévention aux addictions (CSAPA). « Le bus est un CSAPA un peu particulier dit à bas seuil car il permet un accès à la méthadone tous les jours en flacon de sirop bu sur place. Ainsi, des gens qui viennent d’ailleurs peuvent avoir un traitement. C’est une prise un peu particulière qui se fait devant nous. », explique Mathilde Tassiaux, jeune infirmière arrivée récemment à l’association Bus 31/32 après avoir rejeté le système hospitalier trop « pyramidal » pour elle.
Dans la rue, les soignantes et l’assistante sociale prône un accueil pour tous. « C’est une évidence parce qu’il y a beaucoup de stigmatisation des personnes qui consomment de la drogue. C’est dur pour ce public de trouver un espace de soin non jugeant, un accueil inconditionnel. », poursuit-elle.
Ainsi, tous les jours de 9 h à 11 h, le bus dispose de son stationnement réservé dans une rue calme et facilement accessible du centre-ville de Marseille. A son arrivée, six ou sept hommes l’attendent ce jour-là, à l’ombre des immeubles de béton.
Les infirmières saluent chacun par son prénom, demandent des nouvelles. On se « checke » du coude ou on s’enlace. Les gestes barrières ne sont pas tenables devant le bus. Certains sont en manque de contact social, d’affection parfois.
« Quand il y a beaucoup de monde, la priorité c’est la délivrance de méthadone. Quand on a plus de temps, on peut parler. J’aime bien prendre ce temps. L’avantage de ne pas être toute seule, c’est que nos collègues peuvent prendre le relais à l’extérieur. », remarque Nastasya Tawfiq, IDE en basket et t-shirt sous sa blouse blanche.
Délivrance et suivi
L’infirmière prend ensuite place dans une petite salle aménagée dans le fond du bus. C’est spartiate : une table cernée de deux banquettes. C’est là que se fait la délivrance de méthadone ou de valium.
Devant elle, deux énormes classeurs. « On a des feuilles individuelles avec le suivi journalier et ce qui s’est passé la veille. C’est pratique pour raccrocher les wagons, on y a aussi les traitements associés. », explique-t-elle en complétant le document. Durant la matinée, six à sept personnes franchiront le seuil du bus avec Nastasya qui administre les traitements de substitution.
Il fait de plus en plus chaud dans le bus et à ses abords. Des hommes et des femmes – entre 20 et 60 ans – attendent également du matériel stérile d’injection ou simplement un peu d’eau. Les infirmières ont pris soin d’en congeler quelques bouteilles avant de venir, pour faciliter la prise des traitements ou désaltérer ceux qui attendent sur le trottoir.
« La délivrance quotidienne est difficile pour les gens mais le bus n’est pas un centre où tu restes », poursuit Mathilde qui circule entre le bus et le trottoir. Elle discute longuement avec certains hommes, dont beaucoup viennent de Russie ou de Géorgie, et sont sans logement, en squat ou en habitat très précaire. « C’est une passerelle quand tu arrives à Marseille, si tu n’as plus de traitement, qu’on te l’a volé. Tu peux arriver ici suite à un appel d’un médecin ou à une consultation et on te délivre la méthadone. Le but n’est pas de rester ici. »
Du soin à l’aide sociale
La transition est notamment assurée par Marie Asensio, assistante sociale du bus. Ce jour-là, durant les trois heures de permanence, elle n’aura que rarement décollé l’oreille du téléphone. Sa priorité est de pouvoir loger ceux qui dorment dans la rue depuis plusieurs nuits ou de renouveler les nuits accordées par le Samu social.
Un homme cherche son regard tandis qu’elle trépigne d’impatience en attendant son interlocutrice à l’autre bout du fil. C’est le 115 qui gère les hébergements d’urgence. « Depuis le confinement, il y a très peu de mouvement sur les lits disponibles aux 115. », dit-elle. Après une longue attente, elle annonce la bonne nouvelle, l’homme sera hébergé pendant plus d’un mois. Les mines se réjouissent. Les compagnons du trottoir se claquent une main dans le dos en signe de soutien moral. D’autres appels suivront jusqu’à midi.
L’assistante sociale veille également à l’accès aux droits (CMU, AAH…) pour ceux et celles très éloignés du système de santé. Comme les infirmières et les médecins, elle assure une permanence au siège de l’association.
Hélène Ambroselli, médecin généraliste et addictologue, travaille sur le bus depuis quatre ans. Elle circule elle aussi entre le bus où sont stockés des kits d’injection et matériel stérile à usage unique, des lingettes désinfectantes que l’équipe distribue, et le trottoir. Parfois, le ton monte dans la rue : chaleur, fatigue, état de manque, état dépressif se côtoient ici.
« On ne tient pas forcément à la présence de la police ici. Certaines personnes font l’objet de mandat de recherche… on risquerait de les perdre. Quand la tension monte trop, il nous arrive de quitter les lieux et d’aller s’installer ailleurs dans la ville », explique-t-elle.
Coordination et prévention
Lorsqu’elle n’est pas de permanence dans le bus méthadone, Dr. Ambroselli assure le back-office. L’objectif est alors d’assurer la coordination avec les infirmières sur le terrain ou avec l’hôpital parfois.
L’après-midi, des patients peuvent venir consulter des médecins et infirmières dans les locaux de l’association. Parfois, ces derniers rejoignent “le bus hépatant”, une autre structure de l’association Bus 31/32, destiné à la consultation de patients malades d’hépatite. Dans celui-ci, ils assurent une fibroscopie en cas de besoin pour suivre l’état de la fibrose de l’hépatite et envisager un traitement possible.
A midi, l’équipe remballe son matériel et retour dans les bureaux de l’association et rejoint les collègues également actifs dans des actions de prévention des risques.
D’autres actions comme « Plus belle la nuit » ou une permanence sur les réseaux sociaux permettent de garder un lien avec le public concerné. Cependant, avec le confinement, le risque est de perdre de vue certains consommateurs. « Cela nous inquiète. Il y a moins de programmation festive. Il y a plus de demandes de matériel pour des fêtes privées… Dans les clubs, il y a des codes qui influencent la consommation. Maintenant, c’est moins facile d’accéder à la population pour de la prévention. », explique Yann Granger, coordinateur de l’équipe qui appréhende les suites de l’épidémie.
Sandrine Lana
Le CAARUD 31/32
Bus 31/32 est une association active dans la réduction des risques liées à l’usage de drogues et opiacés. La réduction des risques en des usagers de drogues en rue et en milieu festif est sa priorité. Créé en 1994 par l’ONG Médecins du Monde, pour un programme d’échanges de seringues. En 2006, l’association s’émancipe de Médecins du Monde lors de la création des CAARUD (centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour les usagers de drogues). Aujourd’hui, différentes actions se côtoient : bus méthadone, bus hépatant, prévention en milieu festif, microstructures médicales…
Cet article a été publié dans le n°38 d’ActuSoins Magazine (Septembre – Octobre – novembre 2020)
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