Accolé à la lisière d’un parc de pins et de mimosas, à quelques mètres d’une plage de sable blanc, l’Établissement et Services pour Enfants et Adolescents Polyhandicapés (EEAP) baptisé l’Odyssée est le berceau de l’ATASH (Association pour le Traitement, l’Accompagnement, les Soins et le Handicap). Ce centre héliomarin a remplacé le sanatorium de St-Trojan les bains, créé en 1897 et destiné à soigner les malades victimes de tuberculose.
La structure circulaire du bâtiment abrite onze unités de vie, des « maisons » nommées Calypso, Athéna, Hélios…, qui accueillent chacune jusqu’à dix enfants ou adolescents en situation de handicap (autisme, polyhandicap, handicaps moteurs…). « Chaque nom de lieu, choisi par les enfants, puise directement dans la mythologie de L’Odyssée, ce qui désigne aujourd’hui un récit de voyage long, plus ou moins mouvementé et rempli d’aventures plus ou moins singulières », raconte Sylvie Pantaléon, directrice de l’établissement.
Cet article a été publié dans n°47 d’ActuSoins Magazine (janvier 2023).
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Infirmiers coordinateurs
Au sein des quatre petites infirmeries qui reprennent les quatre éléments constitutifs de notre univers – Eau, Terre, Feu, Air – les infirmières dispensent les soins quotidiens. « La majorité des petites urgences que l’on traite sont d’ordre épileptiques ou respiratoires. Sinon ce sont les petits bobos de la vie, explique Aurélie Roda, infirmière à l’Odyssée depuis octobre 2021. Nous sommes une équipe de cinq infirmiers à temps complet et nous intervenons dans toutes les maisons, en fonction des soins à prodiguer. Nous avons aussi la responsabilité d’être la référente de plusieurs maisons. »
L’infirmier référent participe aux différents temps de réunions de la maison, élabore avec l’ensemble de l’équipe le projet d’accompagnement personnalisé des jeunes, participe activement à sa mise en oeuvre et suit son évolution. Il coordonne aussi le suivi médical et paramédical des jeunes dont il a la charge. Des fonctions qu’Aurélie apprécie et qui lui permettent d’être une interface reconnue entre les différentes équipes professionnelles intervenant dans ces lieux de vie. Elle est aussi le lien qui crée la relation de confiance avec la famille et favorise ainsi l’accompagnement médical de chaque jeune. « À l’Odyssée, on peut voir leur évolution car ils grandissent avec nous. On construit ensemble leur orientation de leur vie d’adulte. L’enfant ou l’adolescent est considéré dans sa globalité pour un projet d’avenir personnalisé », explique-t-elle.
Une vision globale du soin
La nécessité d’une pluridisciplinarité s’est alors érigée comme valeur de soin, en associant aux soins infirmiers les soins rééducatifs, puis la dimension éducative définie elle-même en tant que soin. « Au plus profond de mes convictions professionnelles, souligne Aurélie Roda, je suis intiment persuadée que le curatif va de pair avec l’éducatif, que nous sommes aussi des éducateurs à la santé. En qualité d’infirmière, j’anime par exemple tous les quinze jours un atelier de prévention aux relations affectives et sexuelles, assistée d’une éducatrice et d’une AES (accompagnant éducatif et social) pour sensibiliser les jeunes aux relations aux autres, au consentement, à l’attirance et au changement du corps pendant l’adolescence. »
À l’Odyssée, les infirmiers peuvent ainsi apporter leur expertise dans des domaines variés en fonction de leurs formations, leurs compétences ou leurs domaines de prédilection. Ce qui les amène à intervenir dans tous les lieux de vie selon les besoins spécifiques de chaque jeune.
Quentin Pomier, infirmier à partir de septembre 2015, a été très sensibilisé par cette émulation collective qui lui a ensuite insufflé le désir de suivre une formation d’infirmier coordinateur pendant six mois en 2020. Ayant effectué plusieurs stages en santé mentale pendant ses études d’infirmier, il a toujours eu un questionnement éthique. : « Comment rentrer en communication avec ces jeunes discommunicants ? Réussir à faire les soins ? Comment prendre soin de la douleur des enfants et des adolescents en situation de handicap et non communiquants ? ».
À l’Odyssée, il a pu mettre en oeuvre ces pistes de réflexion et ainsi les vérifier sur le terrain. « Chaque professionnel développe une observation très fine de la personne qu’il accompagne. Tout changement de comportement peut être un marqueur d’une cause soit somatique soit environnementale », constate-t-il.
Polyhandicap et douleurs
De fait, l’enfant polyhandicapé est souvent exposé à l’expérience de la douleur. Les déformations orthopédiques, le reflux gastro-oesophagien… sont autant de causes de douleurs qui peuvent être très invalidantes. Les convulsions épileptiques, relativement fréquentes dans cette pathologie, sont la source de maux de tête dans la période qui suivent les crises aiguës. L’encombrement pulmonaire et la constipation sont à l’origine d’inconfort et de sensations pénibles. Tous ces problèmes sont perçus par les soignants de L’Odyssée qui suivent tous des formations en communication alternative et amélioré (CAA). Cela facilite le dépistage et l’évaluation de la douleur de l’enfant, y compris dans des situations de dépendance extrême.
Un examen médical ou une consultation chez un dentiste peut se révéler traumatisant et l’enfant ou l’adolescent polyhandicapé risque de développer une phobie qui se caractérisera fatalement par un refus de soins. Pour endiguer ces anxiétés inhérentes à ces parcours de vie, L’Odyssée a notamment mis en place des ateliers à l’apprentissage aux gestes médicaux (AGM) destinés à familiariser les jeunes aux processus des soins afin qu’ils les acceptent sans opposition, sans agitation et sans contention (qu’elle soit chimique ou physique).
« Nous avons des jeunes hypersensibles au niveau cutané, donc toute prise de tension, toute prise de sang peuvent être vécue de façon anxiogène pour le patient et le soignant extérieur. Alors, nous avons imaginé ces ateliers qui découpent étape par étape le processus du soin et les étapes sont franchies une à une jusqu’à la réalisation du soin en intégralité, explique Quentin Pommier. Ils peuvent manipuler le matériel. Un trombone peut faire office d’aiguille. Et nous dédirons bientôt une salle qui reproduira à l’identique une salle d’attente médicale car certains des enfants ne veulent même pas s’en approcher quand ils doivent consulter à l’extérieur ».
Identifier les ressources sensorielles et psychiques
Autre innovation : Frédérique Le Fur, ergothérapeute depuis 1999 à l’Odyssée, a eu l’idée d’organiser une journée sensorielle « Au départ, je voulais sensibiliser les collègues aux particularités sensorielles de ces enfants mais Madame Pantaléon, la directrice, a eu l’ingéniosité de l’étendre aux familles de ces enfants ». Parmi les objectifs : mieux comprendre leurs modes d’expression et contribuer à rendre plus juste l’appréhension qu’ont ces enfants du monde qui les entoure.
En plus des cinq sens que toute personne peut identifier, les parents ont pu se sensibiliser, grâce aux stands des ergothérapeutes et psychomotriciens, aux sens vestibulaire et proprioceptif qui renvoient à la perception des mouvements de la tête et du corps dans l’espace. « Ce sont des sens réunificateurs de tous les autres et primordiaux que l’on doit stimuler chez ces enfants car ils sont régulateurs et calmants », explique cette ergothérapeute.
« Cela nous a permis de nous rendre compte de leur quotidien, témoigne le père d’un enfant polyhandicapé, et de leur dépendance à l’autre en qui ils doivent avoir une confiance absolue. Je comprends mieux maintenant leurs réticences et parfois leurs colères. Nous devons développer plus de moyens pour la prise en compte de cette personne polyhandicapé, afin d’établir des liens pour le vivre ensemble et maintenir ainsi notre humanité ». Le nom du centre, l’Odyssée, prend ainsi tout son sens, celui d’un voyage mythique qui est aussi une rencontre et une confrontation avec l’Autre.
Sylvie LEGOUPI
Cet article est paru dans ActuSoins Magazine
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