Future loi sur la fin de vie : des soignants « consternés » et « en colère »

Dans le cadre d’un entretien accordé à Libération et à La Croix paru le 10 mars, Emmanuel Macron s’est prononcé en faveur d’une aide à mourir assortie de conditions strictes. Un texte de loi dédié devrait d’ailleurs être discuté au printemps au Parlement. Cette décision est loin de faire l’unanimité parmi les soignants. 

Future loi sur la fin de vie : des soignants consternés et en colère

© Numstocker / Shutterstock

« Nous sommes désolés de ces annonces, mais nous ne sommes pas surpris, reconnaît Anne-Marie Colliot, chargée de mission à la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), infirmière de formation et cadre de santé. Néanmoins, désormais, nous sommes fixés car la situation était devenue inconfortable tant nous attendions l’arbitrage. »

La création d’un nouveau droit

Si le contenu détaillé du projet de loi n’est pas encore dévoilé, au regard des annonces effectuées par le président de la République, il se rapprocherait en de nombreux points, du texte proposé par Agnès Firmin Le Bodo, en octobre 2023, alors qu’elle était ministre déléguée chargée des professions de santé.

Le futur texte de loi devrait donc créer une possibilité pour certaines personnes de demander une aide à mourir si elles respectent des conditions strictes : être majeur, capable d’un discernement plein et entier, atteint d’une maladie incurable, avec un pronostic vital engagé à court ou moyen terme et confronté à des souffrances ne pouvant pas être soulagées.

Une équipe médicale déciderait de manière collégiale et en transparence, de la suite à donner à la demande. Si les conditions sont remplies, une substance létale serait alors prescrite à la personne, qui pourrait se l’administrer elle-même. Si elle n’est pas en mesure de le faire, un proche, un médecin ou un infirmier pourraient agir à sa place.

La procédure pourrait se dérouler au domicile, au sein d’un Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou dans un établissement de soins.

Le mécontentement des soignants

Face à ces annonces, les réactions des professionnels de santé sont mitigées, certains préférant attendre le texte de loi « officiel » avant de se prononcer.

Une quinzaine d’associations de professionnels de santé ont quant à elles signé, dès le lendemain de l’annonce, un communiqué de presse actant la « consternation » et la « colère » des soignants.

La liste des reproches vis-à-vis de l'exécutif est longue, à commencer par le fait de ne pas avoir été associés à la réflexion depuis plus d’un an alors même que le texte envisagé implique directement les infirmiers. Ils reprochent aussi « un calendrier indécent », « un mépris du travail des soignants », « des annonces dérisoires sur l’accompagnement de la fin de vie », « une méconnaissance de l’ambivalence du désir de mort », « un manque de considération pour les personnes vulnérables et âgées, qui seraient les premières concernées par ce dispositif » ou encore « une confusion lexicale regrettable puisque le président évoque le terme d’aide à mourir, en n’assumant pas que les options retenues relèvent de l’euthanasie et du suicide assisté ».

« La possibilité de pouvoir se donner la mort est une attente citoyenne issue de la convention citoyenne, reconnaît Anne-Marie Colliot. Dans ce cadre, il s’agit d’un acte citoyen, le soignant n’entre pas dans la considération. En revanche, ce qui nous pose problème, c’est l’implication des professionnels de santé lorsque le patient ou ses proches ne seront pas en capacité d’accomplir l’acte. Ils devront injecter le produit alors que nous défendons le fait que l’aide active à mourir n’est pas un soin. »

Les freins identifiés

D’après les associations signataires, de nombreux détails vont devoir être pensés par le législateur, notamment l’accès à l’avis de médecins dans un contexte de désertification médicale. « Il faudra également penser à faciliter l’hospitalisation des patients qui feront valoir leur droit lorsqu’à domicile, les soignants ne parviendront pas à installer le dispositif intraveineux pour la dispensation du produit », donne en exemple Anne-Marie Colliot.  

Concernant l’entourage, « quel suivi va être proposé, interroge-t-elle. La mort n’étant pas naturelle, il faudra envisager un accompagnement. » Et de poursuivre : « C’est le cas également pour les professionnels de santé qui auront participé à l’acte. » Quant aux infirmiers libéraux, comment vont-ils retourner à leur tournée après avoir effectué cet acte ? Comment interpréter un pronostic vital « moyen terme » ?  « Les questions sur lesquelles le législateur va devoir débattre sont nombreuses », rapporte Anne-Marie Colliot.

Les soignants, qui devraient pouvoir faire valoir leur clause de conscience, auraient préféré que davantage de moyens soient accordés à la mise en œuvre des mesures déjà actées par la loi Claeys-Léonetti de 2016 sur la fin de vie. « Aujourd’hui, le vrai problème est une question de compétences et de travail coordonné pour accompagner au mieux les patients, insiste-t-elle. Nous avons besoin de moyens pour offrir une mise en place efficace des soins palliatifs sur l’ensemble du territoire avec des équipes mobiles, de l’Hospitalisation à domicile (HAD) ou encore des Infirmiers en pratique avancée (IPA). Car finalement, le nombre de personnes demandant l’euthanasie n’est pas si élevé lorsqu’elles sont accompagnées. Mais ces moyens, les tutelles nous ne les donnent pas. »

Le texte de loi devrait être présenté en conseil des ministres en avril, pour une première lecture au Parlement en mai. En attendant, la SFAP a relancé une consultation nationale sur le sujet et travaille de concert avec le Conseil national des professionnels infirmiers (CNPI) et les syndicats pour définir leur posture. 

Laure Martin

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