Protocoles de coopération et nouvelles compétences infirmières

Depuis un peu plus d’une dizaine d’années, des protocoles de coopération formalisent des délégations de compétences entre les professionnels paramédicaux et médicaux. Ces protocoles encouragent au développement de nouvelles compétences infirmières.

Cet article fait partie du dossier "Protocoles de coopération et nouvelles compétences infirmières", paru dans n°44 d'ActuSoins Magazine (mars-avril-mai 2022).

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Protocoles de coopération et nouvelles compétences infirmières

© iStock/AndreyPopov

Levier majeur de la stratégie Ma santé 2022, la coopération entre professionnels de santé vise, d’après le ministère de la Santé, de nombreux objectifs.

Il s’agit d’apporter « une réponse innovante aux attentes des patients comme des professionnels et contribue à élargir l’offre des soins dispensés, à réduire les délais d’accès à une prise en charge en optimisant les parcours de soins, donc à améliorer les parcours de santé, afin d’apporter une réponse aux attentes des patients comme des professionnels de santé ».

Les professionnels de santé travaillant en équipe peuvent s'engager, à leur initiative, dans ces démarches de coopération.

Le principe

Les professionnels médicaux – les délégants –, délèguent à des professionnels paramédicaux – les délégués –, des activités jusqu’alors uniquement exercées par les médecins. La finalité est simple : permettre aux médecins de se concentrer sur leurs activités principales, celles où leur plus-value est la plus grande et, en parallèle, et rendre attractif les métiers des paramédicaux, avec des perspectives de carrière nouvelles, des compétences accrues, et donc une évolution de leur métier.

Les délégations d’exercice, qui se traduisent par des transferts d'activités ou d'actes peuvent être de plusieurs natures : réalisation d’actes ou d’activités à visée préventive, à visée diagnostique ou à visée thérapeutique.

La coopération entre professionnels de santé est possible quels que soient les modes d’exercice (libéral, salarié, mixte) et les cadres d’exercices (établissements de santé, maisons de santé, pôles de santé, réseaux de santé, centres de santé, cabinets médicaux, Ehpad, HAD, SSIAD, etc.). Mais pour pouvoir être réalisé, le protocole exige une formation théorique et pratique du délégué, avec un contrôle par l’Agence régionale de santé.

Un dispositif évolutif

Les protocoles de coopération ont été initiés en 2009 dans le cadre de l’article 51* de la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST). Néanmoins, ce modèle initial ayant été jugé complexe, empêchant parfois la mise en œuvre réelle d’expérimentations, il a été rénové et simplifié dans le cadre de l’article 66 de la loi d’organisation et de transformation du système de santé (OTSS) de juillet 2019. La finalité reste la même.

Le nouveau dispositif réaffirme la volonté de faciliter les modalités de partage d’activités entre les professionnels de santé et propose deux modèles de coopérations, à savoir nationaux ou locaux/expérimentaux, avec un pilotage national pour les protocoles de coopération nationaux.

Que ce soit à l’échelle locale ou nationale, ces protocoles sont nominatifs, doivent décrire les activités ou les actes de soins transférés d’un professionnel de santé à un autre ainsi que la façon dont ils vont réorganiser leur mode d’intervention auprès du patient dans le but d’optimiser sa prise en charge.

A l’échelle nationale

Des protocoles dont les thématiques répondent aux objectifs de la politique de santé ont vocation à être déployés à l’échelle nationale, après une autorisation par arrêté ministériel. Tout d’abord, un appel à manifestation d’intérêt est publié par le Comité national des coopérations interprofessionnelles (CNCI). Des équipes volontaires peuvent y répondre via un formulaire en ligne.

Le CNCI sélectionne ensuite une ou des équipes qui vont contribuer à la rédaction du protocole et de son modèle économique, avec l’appui du CNCI, des Conseils nationaux professionnels (CNP) et des Ordres concernés. L’Assurance maladie donne alors son avis sur le financement du protocole, selon le modèle économique choisi. La version consolidée du protocole est transmise à la Haute autorité de santé (HAS) pour avis sur la qualité et la sécurité de la prise en charge décrite dans ce protocole.

Après avis favorable du Collège de la HAS et publication d’un arrêté ministériel, le protocole de coopération national peut être autorisé sur tout le territoire.

Une fois engagées, les équipes volontaires doivent transmettre chaque année les indicateurs de suivis du protocole de coopération et signaler tout événement indésirable survenus dans le cadre du protocole.

De nouveaux protocoles de coopération nationaux ont été proposés depuis la loi OTSS de 2019. Quant à ceux autorisés sur le plan local par les ARS dans le cadre de l’ancien dispositif article 51 de la loi HPST, ils s’ajoutent aux nouveaux protocoles nationaux.

Concrètement, il peut s’agir de coopération entre médecins et orthoptistes pour la filière visuelle, entre médecins et infirmiers pour le suivi de certains patients chroniques, le diagnostic de la fragilité de sujets âgés (lire encadré), l’adaptation de l’insulinothérapie ou encore le frottis de dépistage du cancer du col de l’utérus.

D’autres protocoles concernent le renouvellement du traitement de la rhino-conjonctivite allergique saisonnière pour les patients de 15 à 50 ans par l'infirmier ou le pharmacien d'officine dans le cadre d'une structure pluriprofessionnelle ou encore la mesure de l'élastométrie du foie par un infirmier avec l'appareil de mesure FibroScan en lieu et place d'un médecin.

Les actes ou activités transférés ne peuvent pas être dissociés de la prise en charge globale du patient. Une prime de coopération peut être attribuée à certains professionnels de santé délégués déclarés pour un protocole de coopération autorisé.  

A l’échelle locale

En complément de la loi santé de 2019, la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP) de décembre 2020 et la loi d’amélioration du système de santé d’avril 2021 prévoient que des professionnels de santé exerçant en établissement de santé public ou privé ou au sein d’un Groupement hospitalier de territoire (GHT) peuvent, à leur initiative, élaborer et mettre en œuvre des protocoles locaux de coopération, sur décision du directeur de l’établissement.

Ces protocoles ne sont valables qu’au sein de l’établissement ou du GHT promoteur. Cette possibilité est étendue, en ville, aux dispositifs d’exercice coordonné ayant signé un Accord conventionnel interprofessionnel (ACI) avec l’Assurance Maladie, aux établissements médico-sociaux et aux acteurs d’un territoire de façon transversale.

Les équipes de soins primaires, les maisons de santé pluriprofessionnelles, les centres de santé, les communautés professionnelles territoriales de santé et les établissements médico-sociaux doivent intégrer le protocole de coopération à leur projet de santé.

Une déclaration de mise en œuvre doit être adressée à l’ARS uniquement. L’ARS transmet ensuite à la CNCI et à la HAS qui pourront alors décider, par la suite, d’un déploiement du protocole sur tout le territoire national après la mise en œuvre de la procédure décrite pour les protocoles nationaux. Que ce soit pour les établissements ou en ville, les équipes doivent transmettre annuellement les indicateurs de suivi et, sans délai, les événements indésirables.

Laure Martin

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1 Attention à ne pas confondre l’article 51 de la loi HPST sur les protocoles de coopération, et l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 (lire notre dossier paru dans ActuSoins n° 41 juin/juillet/août 2021). L’article 51 de 2018 permet d’expérimenter de nouvelles organisations en santé reposant sur des modes de financement inédits à condition qu’elles contribuent à améliorer le parcours des patients, l’efficience du système de santé ou encore la pertinence de la prescription des produits de santé.

Protocole national de coopération « Intervention d'infirmières libérales à domicile afin de diagnostiquer et d'initier la prise en charge de la fragilité du sujet âgé »

La Maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) Lagrave (Tarn) s’est engagée dans un protocole de coopération sur la prise en charge de la fragilité, « car elle fait partie de notre projet de santé, explique le Dr Joëlle Faravel, médecin traitant et gériatre. Nous avons des patients âgés devenant de plus en plus dépendants, et notre objectif est de freiner cette entrée dans la dépendance. » Le protocole repose sur une action de repérage des signaux de la fragilité (perte de poids, chutes, isolement, etc.), par tous les professionnels de santé de la MSP. Une évaluation gériatrique standardisée (capacité physique, mémoire, socio-environnementale, nutrition) est ensuite réalisée par des infirmières libérales (idels) formées, après accord du médecin traitant et du patient.

« Nous sommes deux idels sur les six de la MSP à nous être formées à cette prise en charge de la fragilité », indique Marie Dougniac, idel.

La formation repose sur une base théorique de quatre jours, en distanciel, sanctionnée par un examen, suivie d’une journée de formation théorique en présentiel et de deux jours de stage dans l’une des structures du Gérontopôle de Toulouse. « En tant qu’idel, nous nous sommes intéressées à ce protocole car il nous permet de créer un autre lien avec les patients, souligne l’idel. Et grâce à ce temps de prise en charge approfondi, nous pouvons éviter leur entrée dans la dépendance. »

Pour l’évaluation, l’idel se rend une à deux heures au domicile du patient (pendant ses jours de repos, en dehors de sa tournée), « ce qui me permet également de prendre connaissance de son environnement personnel », ajoute Marie Dougniac.

Elle propose alors un plan personnalisé de santé (PPS), étudié en réunion pluridisciplinaire au sein de la MSP, afin de discuter des mesures visant à freiner l’évolution de la dépendance. Les idels travaillent ensuite à la mise en œuvre des actions avec l’accord du patient. « Nous pouvons par exemple organiser la mise en place des séances de rééducation ou de mobilité avec un kinésithérapeute ou des séances avec une diététicienne », énumère-t-elle. Et de poursuivre : « Nous assurons le suivi ainsi que trois évaluations dans l’année pour permettre des réajustements si besoin. »

Ce travail de coopération, considéré comme valorisant par les infirmières, est rémunéré via l’ACI et le programme ICOPE, 120 euros par patient pour environ 6 heures de travail annuel. En 2020, dix évaluations ont été réalisées, et douze autres en 2021.

Protocole national de coopération sur la pose de voie veineuse centrale

A l’hôpital Foch, les infirmiers anesthésistes (Iade) ainsi que les manipulateurs en électroradiologie médicale participent à un protocole de coopération sur la pose de voie veineuse centrale avec les médecins anesthésistes.

« Nous avons décidé de mettre en place ce protocole pour une raison principale, explique Marie-Ange Saget, Iade au sein de l’établissement. La prise en charge des poses de voies veineuses n’a pas toujours été optimisée au sein de l’hôpital. En tant que Iade, nous étions souvent sollicités, jusqu’à quatre à cinq fois par jour, par les infirmiers dans les services pour les aider à perfuser des patients de plus en plus graves, polypathologiques, avec un réseau veineux épuisé. »

Une demande grandissante en raison de l’augmentation du nombre de patients polyvasculaires avec des maladies neurologiques requérant des perfusions à répétition, de patients en cancérologie ou d’autres atteints de la mucoviscidose, pris en charge au sein de l’établissement. 

Face à cette désorganisation, le service d’anesthésie a donc souhaité adhérer à un protocole de coopération – à l’origine local, devenu national – élaboré au sein du Centre Léon Bérard de Lyon, courant 2018.

Sa mise en œuvre à conduit à la création, au sein de l’hôpital Foch, d’une Unité d’accès vasculaire à double entrée puisqu’elle repose sur un travail collaboratif entre le service de radiologie et celui d’anesthésie.

Désormais, sur délégation des médecins anesthésistes et des radiologues, les Iade et les manipulateurs radio – les délégués – peuvent poser des voies veineuses centrales et périphériques sous échographie (uniquement des PiCCline et Midline).

« Avec ce protocole, tout est désormais organisé, se félicite Marie-Ange Saget. Nous avons pu décider d’une unité de lieux avec des vacations dédiées, trois jours par semaine en alternance avec les manipulateurs radio pour la pose des voies veineuses. »

Si depuis quelques années, Marie-Ange Saget est la seule Iade a participé à ce protocole, elle sera prochainement rejointe par trois autres Iade en cours de formation pratique et théorique, pour pouvoir y adhérer et obtenir l’autorisation de l’ARS. « Personnellement, j’ai décidé d’adhérer à ce protocole parce que la gestion des voies veineuses est difficile et j’ai d’ailleurs pu le constater lorsque j’ai été formatrice en Ifsi. Ce protocole participe à une meilleure acquisition des compétences. »

Pour le moment, aucune prime de coopération n’est versée aux délégués.

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