Formation continue des infirmiers : qui décide et pourquoi ?

Comme tous les professionnels de santé, les infirmières sont soumises à des obligations de formation. Dans les établissements hospitaliers, ce sont souvent les directions des soins qui, sur la base de remontées de terrain des cadres et du plan de formation de la structure, décident des formations auxquelles les infirmières participent. Ces dernières années, quelles sont les thématiques qui ont été davantage choisies pour les infirmières ? Cet article est initialement paru dans le n°38 d'ActuSoins Magazine (septembre 2020).

© Pôle formation Santé

C’est le cas par exemple de Pôle Formation Santé, né du groupe associatif ACPPA, gestionnaire de maisons de retraite. Pour cet organisme qui couvre le champ médico-social, dans le top 5 des formations choisies ces dernières années pour les infirmiers et aides-soignants du secteur, se trouve sans surprise, au premier rang, les formations soins palliatifs et l’accompagnement à la fin de vie. En deuxième position viennent les formations sur la gestion de la violence et l’agressivité.

« Cette formation est de plus en plus demandée par les établissements en accord avec le personnel », souligne Murielle Brun, responsable commerciale Marché entreprises Secteur Sud PACA/Occitanie. Et d’expliquer : « des situations délicates et conflictuelles peuvent se produire au sein des établissements avec les familles et les résidents. Nous ressentons un besoin réel des équipes de se former, d’avoir des outils afin d’adopter le bon positionnement et savoir prendre du recul. ».

Viennent ensuite les formations en lien avec les pathologies Alzheimer et les démences apparentées. Puis, « de plus en plus d’établissements misent sur l’Evaluation des pratiques professionnelles (EPP), une formation qui se développe depuis 2017/2018, précise Murielle Brun. Elle est aujourd’hui plus fréquemment demandée car la dernière réforme de la formation professionnelle prévoit son financement. Elle entre dans le plan de développement de compétences des établissements. » Cet outil de régulation permet aux structures de mener un travail de fond sur les pratiques et aux équipes d’échanger. Enfin, les formations sur les plaies et les cicatrisations font toujours partie du top 5, afin de permettre une montée en compétences des infirmiers.

Pour aller plus loin : formation DPC continue pour les infirmiers et infirmières

De l’hypnose à la gestion des urgences

De son côté, Panacéa, conseil et formation santé, s’est positionné de manière assez forte sur les formations autour des soins dans le domaine des urgences, de la réanimation, de la pédiatrie, de la psychiatrie et de l’oncologie. Dans son top 5, en tête, les formations techniques sur l’hypnose. « Des démarches de services se mettent en place dans ce domaine pour que les soignants puissent s’y former car l’hypnose ne peut désormais être pratiquée que sous supervision médicale, explique Gaëlle Terdjman, directrice associée. Les modules sont particulièrement demandés sur l’hypnose analgésique en maternité, en pédiatrie et aux urgences, considérée comme une aide pour le bien-être du patient et la prise en charge de la douleur », précise-t-elle.

Au deuxième rang, les formations autour de l’organisation et la gestion des urgences par les infirmiers « très demandées à l’heure actuelle, et certainement plus encore avec la crise sanitaire », suppose Gaëlle Terdjman. En troisième position, les formations techniques en réanimation, « afin de permettre aux soignants de monter en compétences dans ce secteur qui n’est pas une spécialité alors que les soins dans ces services sont très pointus », indique-t-elle. Nous développons aussi des formations en réanimation pédiatrie car les infirmiers ont parfois une certaine appréhension à prendre en charge les urgences pédiatriques. »

Enfin, une formation de plus en plus demandée : la maîtrise de l’anglais médical, « en lien avec l’organisation des Jeux olympiques en France en 2024, indique Gaëlle Terdjman. L’objectif est d’être en capacité d’offrir une prise en charge optimale aux patients notamment étrangers. Lorsque nous avons commencé à proposer cette formation il y a quelques années, elle ne trouvait pas son public, peut-être faute de budget. »

Au sein de l’organisme Reliance, la formation la plus suivie concerne la bientraitance « notamment parce que cela répond aux  recommandations de la Haute autorité de santé (HAS), explique Brigitte Petit, conseillère en formation pour les établissements de santé. Lorsque les Agences régionales de santé évaluent les structures, elles encouragent à la réalisation de ce type de formation. »

En deuxième position, la formation gestion de l’agressivité des résidents et des familles « afin de permettre une meilleure appréhension des patients », indique Brigitte Petit. La formation gestion du stress et la prévention de l’épuisement professionnel se place en troisième position suivie de la Formation sur les gestes et les soins d’urgence (FGSU). Enfin, les formations concernant la prise en charge de la douleur, la fin de vie et les transmissions ciblées closent ce top 5.

Une réponse à des orientations nationales

Les formations demandées par les établissements hospitaliers pour leur personnel soignant répondent généralement à plusieurs objectifs. Souvent, leur plan de formation est en lien direct avec les grands plans nationaux. A titre d’exemple, entre 2008 et 2015, les formations sur la bientraitance et la maltraitance étaient les plus demandées. Aujourd’hui, c’est le cas des formations de la maladie d’Alzheimer et des démences apparentées.

Le plan de formation de l’établissement suit également les orientations de l’Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC) afin de permettre aux soignants de valider leur DPC. « L’EPP fait partie de l’obligation de DPC, ce qui explique pourquoi elle fait désormais partie des formations davantage demandées, estime Murielle Brun. Cet outil de réflexion collective sur les pratiques ne propose pas encore beaucoup d’évaluation des solutions proposées, ce à quoi nous travaillons pour les situations de soins complexes. L’objectif est de réfléchir sans porter de jugement, afin de fédérer les équipes infirmières et aides-soignantes. »

Les choix de formations reposent en outre, sur les budgets dédiés, loin d’être extensibles. « Dans les petites structures qui ont peu de budget, nous constatons un écart entre la volonté des infirmiers et le choix de la formation, souligne Brigitte Petit. Souvent, la direction va se concentrer sur les obligations de formation réglementaire. »

Les établissements plus importants, avec davantage de personnels, peuvent plus facilement répondre aux demandes de formation des soignants, ce qui joue aussi sur leur motivation. D’ailleurs, de plus en plus de formations portent sur les relations humaines, sur la posture du soignant, sur la communication. «  Les services aigus, notamment les urgences, les services de réanimation, les maternités, qui font face à des situations complexes, s’ouvrent de plus en plus aux formations visant à aider les soignants dans la prise en charge du patient », confirme Gaëlle Terdjman.

La qualité du soin et de la relation est devenue une réelle préoccupation. « Les établissements ne souhaitent plus uniquement former leur personnel à l’approche technique du métier, mais aussi à l’approche humaine », ajoute-t-elle. Les questions de souffrance au travail, de burn out sont aussi abordées. « Peut-être qu’aujourd’hui, les directions ont intégré qu’une fois la maîtrise des gestes techniques acquise, la qualité du soin prend toute son importance », suppose-t-elle.

Des modes de formation variés

Outre le contenu des formations, les modes de formation évoluent également et peuvent influer sur leur choix. La formation standard se résume au présentiel. Mais le recours au e-learning et au virtuel se développe même si ce type de formation n’est pas forcément simple à organiser.

Tout va dépendre des thématiques et du matériel disponible dans les établissements. Néanmoins, la crise sanitaire a contraint les organismes de formation à s’adapter et à travailler sur leur offre de formation. D’autant plus que pour des raisons de coûts de déplacement et de rentabilité, il est parfois complexe pour certains salariés de se déplacer. « La posture est donc d’aller vers la digitalisation mais dans les faits, les moyens ne sont pas encore dédiés », ajoute Jean-Marc Duc Goninaz. »

Chez Panacéa Conseil, « nous avons développé de la simulation haute fidélité, fait savoir Gaëlle Terdjman. Nous reproduisons des situations critiques en maternité, en pédiatrie, en urgence et en réanimation. » Cette technique de formation en situation immersive est généralement réalisée dans le centre de simulation de l’organisme, mais elle est aussi délocalisable.

« Une formation directement au cœur du service est plus marquante pour le personnel car elle se déroule directement dans les salles d’obstétrique par exemple et peut être pluridisciplinaire », souligne Gaëlle Terdjman. Un frein : son coût. De fait, l’organisme de formation propose aussi des formats de classes virtuelles moins onéreuses car elles n’impliquent pas le déplacement d’un formateur.

Mais cela suppose pour l’établissement de disposer de salles dédiées, mises à disposition de son personnel et de régler les problématiques de pare-feu. « De toute façon, les pratiques vont être amenées à évoluer. Nous devons réinventer les formations, nous structurer différemment, revoir les méthodes pédagogiques et les objectifs. C’est dans l’évolution des pratiques », conclut Gaëlle Terdjman.

Laure Martin

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Le top 5 des formations pour les infirmiers

Lorsque les formateurs de Pôle santé formation dispensent une formation aux infirmiers, ils leur transmettent également un questionnaire afin de dégager quelques orientations. « Il en ressort que les IDE apprécient les FGSU ainsi que les formations en soins palliatifs, ce qui est en phase avec les établissements », rapporte Murielle Brun.

En revanche, les médecines complémentaires et alternatives comme l’hypnose sont fortement plébiscitées par les infirmiers, ce qui est « loin d’être la priorité des établissements », ajoute-t-elle.

Viennent ensuite le management en lien, avec leur volonté d’évolution professionnelle, notamment pour effectuer de la coordination et enfin de l’évaluation des pratiques professionnelles.

L.M

Et pour les formations DPC pour les infirmiers libéraux ?

« Depuis ces cinq dernières années, nous constatons une progression réelle de la culture de la formation chez les infirmiers libéraux (idels), souligne Marcel Affergan, l’un des deux fondateurs d’Orion Formation Santé. C’est vraiment entré dans la culture professionnelle. »  Les organismes de formation peuvent soumettre leurs offres pour les idels à l’Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC), en respectant les orientations nationales prioritaires définies tous les trois ans par les tutelles, et au Fonds interprofessionnel de formation des professionnels libéraux (FIFPL) qui intervient dans le cadre de la formation professionnelle tout au long de leurs carrières.

Certaines thématiques sont davantage choisies par les idels. « Avec la mise en place du Bilan de soins infirmiers (BSI), cette formation a été fortement demandée par les libéraux dès janvier 2020, souligne Marcel Affergan. C’est vraiment le bestseller de l’année. Mais la demande en formation devrait diminuer au fur et à mesure que les idels se saisissent de son usage. »

« La formation sur le BSI est en effet en première position chez les libéraux », confirme Jean-Marc Duc Goninaz, directeur de Pôle Formation Santé. Dans une moindre mesure, les autres formations ayant séduit les libéraux cette dernière année concernent la prise en charge des cancers, les voies veineuses centrales, les plaies et cicatrisation, la prise en charge du BPCO au domicile ou encore du diabète.

Il y a encore deux ans, les idels étaient nombreuses à s’orienter vers les formations à l’hypnose. « Mais elles ont été retirées de l’ANDPC, précise Marcel Affergan. Nous pouvons toujours la proposer via le FIFPL mais il est vrai que les idels se forment davantage dans le cadre de l’ANDPC en raison de l’obligation de formation et de l’indemnité qui leur est versée pour leurs journées de formation. » « L’infirmière qui veut se former à l’hypnose ne peut plus le faire via le DPC sauf dans le cadre d’une équipe pluriprofessionnelle, ajoute Jean-Marc Duc Goninaz. C’est sa seule manière d’obtenir des financements. » D’autres formations rencontrent un grand succès du côté FIFPL notamment les formations NGAP Nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) qui n’est pas dispensée via l’ANDPC.

L.M

Trois questions à Laurence Camacho, cadre de santé au service d’hématologie et thérapie cellulaire au CHU de Tours.

Comment les formations auxquelles les soignants participent sont-elles choisies ?

Il y a plusieurs axes. Tout d’abord, un plan de formation est établi au regard des besoins institutionnels. Par exemple, au sein du CHU, des priorisations sont établies notamment l’informatisation du dossier de soins des patients. L’ensemble des professionnels de santé de l’établissement a donc été formé à l’usage de ce dossier patient partagé (DPP). C’est d’autant plus important qu’il devrait être uniformisé à l’échelle du Groupement hospitalier de territoire (GHT).

A l’échelle du pôle – le mien étant la cancérologie – nous organisons également des actions de formation spécifiques à la prise en charge en cancérologie, par exemple en soins palliatifs. Les soignants accompagnent les patients jusqu’au décès, ce n’est pas inné. Cette approche est abordée dans la formation initiale, mais elle nécessite d’être approfondie au fur et à mesure de l’expérience professionnelle. Il est donc important de former les professionnels de santé pour avoir une cohérence d’ensemble au sein du service et en raison de l’évolution de la réglementation sur la fin de vie, les droits des patients, ce qui implique de remettre en question nos pratiques.

Enfin, au sein des unités, nous dispensons à la fois des soins très techniques mais nous faisons aussi beaucoup de relationnel. Là aussi, les évolutions réglementaires et les nouveautés thérapeutiques nous imposent de réajuster nos pratiques et de suivre des formations. C’est le cas également pour les nouveaux matériels que nous utilisons dans le service comme les pompes et les scopes.

Qui prend les décisions de formation ?

En tant que cadres, nous faisons des propositions au service de formation continue du CHU, en lien avec les projets de pôle, de service et les besoins des soignants. Le binôme chef de service-cadre est donc très important car nous devons connaître les projets médicaux pour adapter notre projet de soins et proposer des formations aux soignants au regard des nouvelles pratiques. Tous les soignants ont droit aux formations internes, qu’ils soient contractuels, stagiaires ou titulaires.

Les infirmières n’ont donc jamais leur mot à dire ?

Bien sûr que si. Tous les ans, chaque cadre organise des entretiens individuels d’évaluation au cours duquel nous effectuons le bilan de l’année. C’est l’occasion d’évoquer les difficultés que l’infirmier a pu rencontrer, voir comment il peut être accompagné face à ces difficultés, faire le point sur ses souhaits d’évolution de carrière.

Nous pouvons, par exemple, lui proposer des formations en dehors de l’hôpital, avec des Diplômes universitaires (DU) sur la douleur par exemple, lui permettant aussi de devenir référent douleur ou sur l’hypnose afin de limiter les thérapeutiques prescrits aux patients. Certaines infirmières souhaitent aussi être formées à la consultation d’annonce. Toutes les formations peuvent entrer dans le cadre du développement professionnel continu (DPC) des infirmières.  Comme il s’agit de formations diplômantes, la commission interne doit statuer.

L.M

« Il faut une cohérence dans la prise en charge des patients »

Pascale Sontag, cadre supérieure de santé au Centre Léon Bérard (Lyon)

« Dans le domaine de la formation continue, notre établissement dispose d’un plan de formation établit chaque année. Il fait partie du Plan médico-scientifique (PMS), lui-même élaboré tous les cinq ans. Le plan de formation découle des priorités du PMS. Il présente deux axes.

Tout d’abord, nous disposons d’un plan de formation interne en lien avec notre direction des ressources humaines. Les nouveaux diplômés doivent suivre des étapes dans ce plan de formation. Ainsi, au sein de chaque unité, chaque cadre effectue une cartographie du personnel soignant et définit un plan de formation, ce qui permet d’offrir une cohérence dans la prise en charge des patients.

Par ailleurs, des projets sont menés au sein même des services et, dans ce cadre, nous demandons au personnel soignant, lors des entretiens individuels, s’ils souhaiteraient suivre une formation en particulier. Cela varie en fonction de l’ancienneté, des besoins, etc. Généralement, nous faisons appel à des organismes de formations extérieurs. Les formations diplômantes entrent dans ce cadre. Pour bénéficier d’une prise en charge par l’établissement, il faut avoir cinq années d’ancienneté. »

L.M

Cet article est paru dans le n°38 d'ActuSoins Magazine (Septembre - Octobre - novembre 2020)

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Réactions

2 réponses pour “Formation continue des infirmiers : qui décide et pourquoi ?”

  1. emmanuel dit :

    moi c’est mon entreprise..ide santéau travail…qui décide..quand on s voulu savoir pourquoi..le Rh a déclaré que si les IDE choisissaient..elles prendraient couture…voilàla considération

  2. leilou dit :

    Faites des économies sur la formation bientraitance… on a plus les moyens de soigner correctement dans ce pays

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