Infirmiers libéraux : soigner votre e-réputation !

Difficile d’être maître des commentaires qui peuvent être laissés sur Internet par les patients. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faille les subir. Soigner sa e-réputation, cela se travaille, et surtout se contrôle. Cet article initialement paru dans le n°37 d'ActuSoins Magazine (juin 2020). 

Infirmiers libéraux : soigner votre e-réputation !

© iStock- Izkes

« L’e-réputation se définit comme l’ensemble des informations, quelles qu’elles soient, qui peuvent être trouvées sur un praticien, sur Internet, explique Agathe Blondeaux, juriste chez Fiducial. De ces informations découlent une opinion qui influence l’image de la personne auprès de la patientèle. »

Tous les professionnels de santé sont concernés par leur e-réputation, à partir du moment où leur nom apparaît sur Internet. Et les patients ne se privent pas pour laisser des commentaires sur leurs compétences ou leurs comportements et ainsi partager leur expérience. Difficile aujourd’hui de ne pas en faire l’objet.

Ce qui peut avoir deux conséquences. « Les avis peuvent avoir des effets vertueux car cette transparence permet aux patients de faire savoir ce qu’ils apprécient chez un soignant ou ce qu’ils regrettent dans le cadre de leur prise en charge, rapporte Agathe Blondeaux. Cette remarque donne à l’infirmier la possibilité de s’adapter voire d’améliorer sa pratique et de le faire savoir, en répondant aux commentaires, ce qui montre également qu’il tient compte des observations faites à son sujet. Certaines critiques vont ainsi avoir une influence positive sur le développement de l’activité d’un cabinet. »

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Mais cela peut aussi générer l’effet inverse et nuire à la réputation du professionnel de santé : il s’agit alors d’une atteinte à sa e-réputation. « L’infirmier doit en avoir conscience et être en capacité de la gérer », indique Agathe Blondeaux.

Ne pas faire l’autruche        

© iStock / Elvinagraph

L’infirmière libérale (idel) peut être acteur de sa e-réputation d’abord en mesurant son empreinte digitale. Comment ? Rien de plus simple : se mettre à la place d’un patient et taper son nom sur Internet pour voir ce qui ressort. Agir de la sorte permet d’être dans le contrôle et de ne pas se laisser prendre par surprise. Une veille active et régulière du professionnel de santé sur ce qui est publié sur lui sur les réseaux sociaux, les blogs ou encore les moteurs de recherche, lui permet d’être dans une vérification régulière.

Il existe d’ailleurs des outils permettant de créer des alertes afin d’être informés de tout changement le concernant. « L’identité numérique des professionnels de santé est une composante clé de leur e-réputation, qui assoit leur crédibilité et leur expertise », souligne Agathe Blondeaux.

Face à des commentaires sur son activité professionnelle, l’erreur à ne pas commettre est de faire l’autruche ou de mal répondre. « Souvent, face à un commentaire négatif, les idels vont se défendre, répondre au commentaire en expliquant que ce qui est écrit est faux puis elles vont entrer dans des détails qui peuvent envenimer la situation », alerte Agathe Blondeaux. Et de poursuivre : « il faut effectivement répondre aux commentaires aussi bien positifs que négatifs, mais l’objectif est de désamorcer la situation et de réorienter la personne en lui répondant être disponible en message privé pour en parler. »

Ce type d’attitude permet de sauver sa réputation et donc de gérer son empreinte digitale. C’est aussi un moyen de faire preuve de transparence et de montrer sa préoccupation à tenir compte de l’avis des patients. « Répondre, modérer, gérer les retours sera plus vertueux et surtout plus durable que de tenter de les faire disparaître, surtout s’ils sont de bonne foi », prévient Agathe Blondeaux.

Répondre aux commentaires permet aussi de rassurer les patients et montrer sa présence ainsi que son écoute. Pour avoir un bon référencement, l’infirmier peut aussi favoriser la publication d’avis loyaux par des patients. Ils vont lui permettre de se faire connaître avec des avis positifs qui vont faire reculer les commentaires négatifs.

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Il peut aussi augmenter sa visibilité en travaillant son référencement sur plus de canaux digitaux ou en déposant des contenus. « Les Idels peuvent exprimer un avis, communiquer auprès de leur patient en diffusant des informations pratiques et médicales », indique Agathe Blondeaux. Sinon, il existe des agences de nettoyage du net qui suppriment les écrits, les photos et les documents indésirables.

Action/réaction

© iStock - Good_Stock

Certaines limites ne peuvent néanmoins pas être dépassées par les patients. Ainsi, lorsqu’une idel fait face à des commentaires négatifs non justifiés, de mauvaise foi, malveillants sur sa pratique professionnelle voire sur sa personne, il est tout à fait possible d’agir. « Il est impératif de faire la distinction entre une critique négative mais loyale et une critique malveillante », précise Agathe Blondeaux.

Certes, certains grands principes qui régissent les sites Internet limitent les actions possibles, notamment celui de la neutralité des contenus et l’absence d’obligation de surveillance des contenus hébergés par les prestataires, protègent les hébergeurs et les internautes. Autre frein : l’anonymat des auteurs ou encore la localisation à l’étranger du site Internet hébergeur.

Néanmoins, des recours existent. Le professionnel de santé peut s’appuyer sur des dispositions légales relatives au droit numérique ou aux atteintes l’honneur telles que la diffamation et les injures publiques qui relèvent du droit civil.

Dans le cadre d’une procédure judiciaire, il est possible de s’opposer au traitement des données personnelles ou encore de demander la suppression du contenu illicite ou un déréférencement dans le cadre du droit à l’oubli. « Ce droit permet à chacun d’entre nous de revendiquer de ne pas avoir un référencement continu des données publiées, explique Agathe Blondeaux. Tout le monde peut donc demander la suppression d’un contenu et s’opposer au traitement des données personnelles. » Cependant, la procédure judiciaire est longue et doit être menée par un avocat. En revanche, elle peut donner lieu à une réparation et à une condamnation de celui qui a écrit un commentaire malveillant.

Pour y parvenir, il faut dans un premier temps faire constater les propos incriminés par constat d’huissier. « Tous les moyens sont bons pour les référencer, indique Agathe Blondeaux. Il peut s’agir de captures d’écran ou d’impressions. »

Ensuite, l’infirmier doit adresser des courriers de mise en demeure à l’auteur, s’il est identifiable, ainsi qu’au site hébergeur ou à l’éditeur pour leur demander le retrait. Sans aucune réaction, il est possible de saisir le juge.

« Pour mener une action en justice, la gravité des infractions doit être suffisante et le commentaire doit être apparu dans un délai inférieur à trois mois, ce qui correspond au délai de prescription de diffamation et d’injure, rapporte Agathe Blondeaux. Il faut une quantité ou un caractère puissant ou néfaste pour prouver le coté nuisible souvent lié à une redondance. »  

La gestion de la réputation sur Internet est une nouvelle donne que les professionnels de santé doivent donc absolument intégrer à leur activité, afin de faire preuve d’une vigilance constante et devenir acteur de leur e-réputation.

Laure Martin

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« Il s’agit d’un vrai problème déontologique »

Catherine Kirnidis, présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil)

« Lorsque j’ai su qu’il était possible pour les patients de laisser un commentaire, un avis sur nos soins, je m’en suis immédiatement souciée. J’ai alors constaté que j’étais référencée sur Google. Je ne sais pas comment ! Pour le moment, je n’ai pas de commentaire. Pendant un moment, j’ai vérifié régulièrement mais, en réalité, je n’ai pas vraiment le temps de le faire. Aujourd’hui, lorsqu’on cherche un professionnel de santé sur Internet, on arrive directement sur une page sur laquelle on nous demande de donner notre avis sur le professionnel en question. Cela me choque particulièrement. Qu’il soit bon ou mauvais, cela me dérange vraiment que l’on puisse me laisser un commentaire sur Internet concernant mes actes. Je ne suis pas une plateforme, je ne suis pas une entreprise publique. Si je reçois un avis, il est clair que je porterai plainte. Selon moi, il s’agit d’un vrai problème déontologique dont l’Ordre national des infirmiers doit se soucier. »

« Je n’ai pas de recours »

Virginie, Idel en Isère

« L’été dernier, j’ai écrit le nom de mon cabinet sur Google et j’ai constaté avec surprise que j’avais un mauvais commentaire. La belle-fille d’une patiente a écrit que j’étais brutale. J’étais d’autant plus étonnée car j’étais en arrêt maladie à ce moment-là et c’est ma remplaçante qui a réalisé les soins. D’un point de vue déontologique, nous ne pouvons pas avoir de commentaires, car il me semble qu’ils peuvent être assimilés à de la publicité. Nous devons donc faire supprimer les commentaires associés à notre nom. Mais comme nous ne pouvons pas les supprimer par nous-mêmes, nous devons contacter les patients auteurs des commentaires pour leur demander. C’est ce que j’ai fait. Le mari de ma patiente m’a dit qu’il allait demander à sa belle-fille de l’enlever. Mais à ce jour, le commentaire est toujours publié. J’aimerais que Google interdise les commentaires pour les professionnels de santé. Aujourd’hui, je n’ai aucun recours et je crains que cela ne se retourne contre moi. »

L’avis du service juridique de l’Ordre national des infirmiers

« Il faut rappeler que tout ce qui touche à la déontologie infirmière vient du Code de déontologie instauré par le Décret n° 2016-1605 du 25 novembre. Ce qui est interdit est clairement mentionné : "Toute insertion payante dans un annuaire est considérée comme une publicité et, à ce titre, interdite." Les commentaires des patients sur Internet (google, facebook...) ne peuvent pas être considérés comme de la publicité car ils n'émanent pas de l'infirmier et l'infirmier n'a pas payé spécifiquement pour insérer ces commentaires. Attention cependant car si l'infirmier paye de faux comptes pour avoir des commentaires positifs, nous sommes dans une démarche répréhensible et qui va à l'encontre de la déontologie. De façon plus large sur la publicité, la dernière jurisprudence du Conseil d'Etat, en date du 6 novembre 2019, demandant à l'Etat de lever l'interdiction de publicité pour les médecins (en application d'une jurisprudence européenne) va immanquablement changer les choses sur la publicité dans le milieu de la santé en général. Elle sera toujours encadrée mais deviendra légale quand les textes sortiront. En revanche,  s'appliqueront toujours les règles relatives à l'interdiction de la concurrence déloyale comme mentionné dans le Code de déontologie à l’article R. 4312-82 : tous procédés de concurrence déloyale et notamment tout compérage, commission, partage d’honoraires et détournement de clientèle sont interdits à l’infirmier. »

Source d’inspiration 

Le Conseil national de l’Ordre des médecins a diffusé un guide de bonnes pratiques à destination des médecins pour « préserver sa réputation numérique ». Des conseils qui peuvent être repris par les infirmiers.

https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/cnom_guide_pratique_e-reputation.pdf

Cet article est initialement paru dans le n°37 d'ActuSoins Magazine (Juin 2020). 

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