Pourquoi tant de fractures au sein du syndicalisme infirmier ?

Chez les infirmiers salariés, le paysage syndical se divise en deux catégories. D’un côté, les grandes centrales (CGT, CFDT…), qui rassemblent diverses professions. Et de l’autre, les syndicats catégoriels, où l’on retrouve essentiellement des infirmiers. Entre les deux, la fracture est profonde. Mais il est possible de bâtir des ponts pour relier ces deux mondes.

Pourquoi tant de fractures au sein du syndicalisme infirmier ?

© M.S / ActuSoins / Juin 2020

Les grands événements médiatiques mettent souvent en évidence les lignes de fracture.

C’est le cas du « Ségur de la santé », qui doit se clôturer cette semaine et auquel aucun syndicat spécifiquement infirmier n’a été invité. Pour négocier l’augmentation de ses salaires, la profession devait donc s’en remettre aux grandes centrales pluri-catégorielles que sont la CGT, la CFDT et les autres syndicats considérés comme représentatifs au niveau national.

Nul ne sait si des syndicats catégoriels auraient été en mesure d’obtenir des revalorisations plus importantes que celles qui sont actuellement sur la table, mais une chose est sûre : le « Ségur » a mis en évidence le malaise des syndicats purement infirmiers.

C’est ainsi qu’au mois de juin dernier, on les a presque tous retrouvés au sein du « Collectif Duquesne », rassemblement d’une trentaine d’associations et syndicats infirmiers réclamant (en vain) l’invitation d’organisations infirmières à la table du « Ségur ». L’initiative, pour louable qu’elle soit, a d’ailleurs mis en évidence l’une des faiblesses des syndicats catégoriels : ils sont eux-mêmes très divisés.

On retrouvait ainsi parmi les syndicats participant au « Duquesne » des syndicats d’Idels, des syndicats d’infirmiers spécialisés, des syndicats hospitaliers… Si bien qu’à supposer que le ministère de la Santé ait eu l’intention d’intégrer les syndicats catégoriels au « Ségur », il aurait été bien en peine de choisir avec qui il devait discuter.

Proximité vs. vision globale

Mais du côté des syndicats catégoriels, on considère au contraire que cette fragmentation est un gage d’efficacité et de pertinence, car elle permet de rester au plus près des besoins des infirmiers. « Chez nous, ceux qui s’expriment, ce sont ceux qui pratiquent, explique ainsi Céline Laville, présidente de la Coordination nationale infirmière (CNI). Dans notre syndicat, la profession est défendue par les gens qui l’exercent, qui ont une réelle connaissance de la réglementation : ce n’est pas une Ibode qui va aller défendre un kiné, par exemple. »

Bien sûr, les grandes fédérations syndicales n’ont pas la même vision des choses. « Nous sommes transversaux, ce qui nous permet de développer des réflexions sur la politique de santé de manière plus globale », argue ainsi Vincent Porteous, responsable du collectif national « Iade » de la CGT. Celui-ci souligne par ailleurs que son organisation est certes généraliste, mais qu’elle dispose aussi structures par métier (comme par exemple le collectif « Iade » dont il est le responsable), ce qui lui permet selon lui d’être complètement en prise avec les réalités du terrain.

Les questions qui fâchent

Reste qu’en plus des différences structurelles, syndicats catégoriels et généralistes ont aussi des différences de positionnement politique. C’est ainsi que la question de l’Ordre national des infirmiers (ONI), par exemple, les divise fortement. « Nous sommes contre l’Ordre, d’abord parce que les conditions de sa création n’ont pas été satisfaisantes, mais surtout parce son principe est de faire payer l’organisation de la profession par les professionnels eux-mêmes », attaque Vincent Porteous.

Céline Laville, et avec elle beaucoup de représentants de syndicats catégoriels, est plus mesurée. « L’Ordre est là, nous ne sommes ni pour, ni contre, explique la présidente de la CNI. Il a des prérogatives pour défendre la profession sur certains points, et nous sur d’autres, nous pouvons être complémentaires. »

Sur la question des Infirmiers de pratique avancée (IPA), les divergences sont similaires. « Les IPA peuvent être une belle avancée pour la profession, même si elles ne révolutionnent pas tout », estime ainsi Céline Laville, qui juge qu’il s’agit d’un statut qu’il faut faire évoluer vers « une réelle autonomie d’exercice ».

À la CGT, comme dans d’autres grandes centrales syndicales, on se montre beaucoup plus critique. « Nous ne sommes pas contre les IPA sur le principe, mais la version qui est mise en œuvre n’est qu’un fourre-tout, une captation d’une partie de l’activité médicale sans véritable reconnaissance des infirmiers, avec comme unique objectif la baisse des coûts », affirme Vincent Porteous.

Pourquoi pas aux deux ?

Reste qu’il serait trop simple d’opposer frontalement les deux types de syndicalisme infirmier, qui peuvent utilement se compléter. « Savoir à quel syndicat on doit adhérer est surtout une affaire de caractère », estime ainsi Céline Laville, qui considère que selon leurs appétences, certains infirmiers se sentiront plus à l’aise dans un syndicat généraliste ou dans un syndicat catégoriel.

Vincent Porteous va dans le même sens. « Il n’y a pas un syndicalisme vertueux d’un côté, et un syndicalisme qui ne l’est pas de l’autre », affirme-t-il. Pour lui, la question n’est donc pas de savoir à quel syndicat adhérer : le plus important est d’adhérer à un syndicat, quel qu’il soit.

« Syndiquez-vous, et pourquoi pas aux deux ! », lance-t-il même, affirmant que certains anesthésistes sont à la fois à la CGT et dans le syndicat de leur spécialité. Une proposition quelque peu iconoclaste, dans une profession que l’on dit souvent épuisée, et dont bien des membres estiment avoir peu de temps à consacrer à l’engagement syndical.

C’est d’ailleurs probablement ce qui explique que les formes d’engagement qui ont le vent en poupe à l’hôpital actuellement sont le fait de structure souples, horizontales, tels les divers collectifs qui ont fleuri depuis un an : Collectif inter-urgences, Collectif inter-hôpitaux, Collectif Inter-blocs… Collectifs qui d’ailleurs comptent parmi leurs membres certains militants syndicaux. Alors, finalement, pourquoi pas s’engager… aux trois ?

Adrien Renaud

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