La (très) lente émergence des protocoles de coopération aux urgences

Parmi les mesures en faveur des urgences présentées par la ministre de la Santé en septembre, il en est une qui concerne les infirmiers en premier chef : l’accélération des protocoles de coopération permettant de leur déléguer certaines tâches. Mais les projets avancent moins vite sur le terrain que dans les souhaits du gouvernement …

La lente émergence des protocoles de coopération aux urgences

Libérer du temps médical. Tel est le mantra des autorités pour améliorer le fonctionnement des urgences. Et pour libérer du temps médical, quoi de mieux que de confier certaines des tâches effectuées par les médecins à d’autres professionnels ?

C’est tout le sens des protocoles de coopération, qui figurent en bonne place dans le « pacte de refondation des urgences » présenté le 9 septembre dernier par Agnès Buzyn pour répondre à la grève qui secoue les hôpitaux depuis le mois de mars. Sauf qu’en la matière, il y a, loin des ambitions gouvernementales, la réalité du terrain.

Il faut dire que le « pacte » de l’avenue Duquesne voit grand, et entend faire vite. « Dès le mois d’octobre, sera appliqué aux urgences un protocole de coopération offrant aux infirmiers la possibilité de demander eux-mêmes des examens d’imagerie pour des patients atteints de traumatismes de membres », indique le document ministériel. Celui-ci ajoute que plusieurs autres protocoles doivent être validés par la Haute autorité de santé (HAS) avant la fin de l’année : orientation des patients vers la ville, demande de bilan biologique, suture de plaie simple…

Problème : nous avons dépassé la mi-novembre, et le calendrier d’Agnès Buzyn a un peu de plomb dans l’aile. Le protocole concernant la prescription d’examens de radiologie par l’Infirmier d’organisateur de l'accueil (IOA), qui devait être appliqué dès octobre, n’a été validé par la HAS que le 6 novembre dernier, selon un communiqué diffusé par le ministère.

Et pour l’instant, aucun autre projet ne semble avoir atteint un stade d’avancement assez avancé pour figurer dans la base ministérielle « Coop-PS », qui liste l’ensemble des protocoles en cours d’étude ou approuvés.

Sauter une étape d’attente

Concrètement, le seul protocole autorisé (mais non encore mis en œuvre) aux urgences à ce jour est en apparence assez simple. « Votre patient arrive aux urgences, et en tant qu’IAO, vous allez pouvoir lui prescrire directement une radio », explique Nicolas Termoz-Masson, infirmier aux urgences du CHU de Grenoble qui fait partie de l’une des équipes ayant travaillé sur le sujet. Celui-ci ajoute que l’IOA sera aidé de son logiciel, et d’arbres de décisions. « En faisant cela, on saute une étape d’attente pour le patient », se félicite-t-il. « Il n’a plus besoin de voir le médecin avant d’aller en radiologie. »

Bien sûr, l’IOA ne peut pas prescrire une radio à tous les patients. « Dans notre protocole, nous enlevons toutes les radios du tronc, par exemple, et nous ne pouvons le faire qu’avec des patients mono-traumatisés », détaille Nicolas Termoz. De plus, le patient doit être âgé de plus de 15 ans et trois mois, ne doit pas pas avoir souffert de traumatisme crânien, et il faut s’assurer qu’il a toutes ses capacités cognitives : il doit en effet donner son consentement au fait que la radio soit prescrite par un infirmier et non par un médecin, ajoute le Grenoblois.

Formation et autres réjouissances administratives

Mais attention : ce n’est pas parce que le protocole a été approuvé le 6 novembre que tous les infirmiers de France et de Navarre peuvent d’ores et déjà prescrire des radios. « Il faut d’abord qu’ils soient formés », prévient le Dr Youri Yordanov, urgentiste à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, qui fait partie d’une autre équipe ayant mis au point le protocole en question. « Nous avons commencé la formation à Saint-Antoine et au Kremlin-Bicêtre, et nous espérons que tous les infirmiers seront formés dans les mois qui viennent », explique-t-il.

Reste que l’écriture des protocoles prend du temps. Youri Yordanov et Nicolas Termoz-Masson indiquent tous deux que leurs équipes avaient commencé à travailler sur les leurs dès 2017. Youri Yordanov avait même démarré plus tôt : dès 2014, il avait soumis un protocole de recherche (et non un protocole de coopération) sur la prescription de radio par l’IOA. « La soumission des protocoles de coopération à la HAS est un processus extrêmement long et horriblement complexe », témoigne-t-il. « Cela ressemble vraiment à la maison des fous dans Les 12 travaux d’Astérix ».

Voilà qui amène à douter plus encore de la faisabilité du calendrier ministériel pour les autres sujets envisagés : le gouvernement prévoit, rappelons-le, l’approbation de trois protocoles supplémentaires d’ici la fin de l’année.

À quand un deuxième protocole ?

Youri Yordanov veut cependant croire que la volonté politique aidant, les choses iront désormais plus vite. « Le protocole sur les radios était le premier, c’était le protocole martyr », explique-t-il. « Les autres sont très avancés. » L’urgentiste cite notamment un protocole sur la suture des plaies, qui devrait selon lui prochainement être soumis. « Il y a également toute une réflexion sur les plâtres et les attelles », précise-t-il. Mais il ne pense en revanche pas qu’il soit opportun d’avancer, comme le suggère le « pacte de refondation des urgences », sur des protocoles concernant la réorientation des patients vers la ville, ou encore les bilans biologiques.

« Les protocoles sur les radios, la suture des plaies simples ou encore les plâtres concernent des actes que l’on peut considérer comme "algoritmables" », estime Youri Yordanov. « Mais un examen biologique se fait sur une hypothèse diagnostique, et non sur un motif de consultation, qui est l’information dont disposent les IAO : si on raisonne sur des motifs de consultation, on s’expose à beaucoup d’examens biologiques inutiles. » Nicolas Termoz-Masson abonde dans ce sens. « Pour prescrire un bilan biologique, il faut pousser l’examen clinique, connaître les antécédents, cela prend du temps », remarque-t-il. « Or quand on est IOA, on est là pour évaluer la gravité et prioriser : si on met trop de temps à trier, ce n’est plus de l’accueil, mais de la prise en charge. »

Résistances de la profession

Reste une question : que pensent les représentants officiels de la profession infirmière des protocoles de coopération ? L’Ordre infirmier affirme depuis longtemps qu’il est opposé à leur développement, et préfère promouvoir la notion de pratique avancée.

Quant aux syndicats, ils ne montrent pas davantage d’enthousiasme. « Nous estimons que c’est du glissement de tâche déguisé, cela augmente encore notre charge de travail », estime par exemple Céline Laville, présidente de la Coordination nationale infirmière (CNI).

La syndicaliste pointe par ailleurs le risque de concurrence entre les professions. « Nous avons des manipulateurs radio à l’hôpital, qui ont toute compétence pour prescrire des radios », juge-t-elle. Même raisonnement pour les sutures de plaies simple. « Je rappelle que les Ibode ont cette compétence, qui fait partie de leurs actes exclusifs », indique la présidente de la CNI.

Cette dernière ne se montre même pas intéressée par la prime de 80 euros mensuels promise par Agnès Buzyn aux infirmiers qui s’inscriront dans les protocoles de coopération. « 80 euros pour de telles responsabilités supplémentaires, c’est indécent », juge-t-elle.

On ne saurait être plus éloigné de la conception des protocoles de coopération que se fait Youri Yordanov, qui estime au contraire qu’il s’agit d’un instrument valorisant ses collègues infirmier en leur permettant « d’acquérir de nouvelles compétences de manière formalisée ». 

Adrien Renaud

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