infirmier en Argentine : double emploi et heures sup

Un infirmier pour un médecin : la profession d’infirmier ne fait pas recette en Argentine. Alejandro se bat face à des salaires en berne, une inflation en hausse, un manque de matériel… et pour ses petits patients en néo-natalité.

©David Breger

©David Breger

Parcourant les couloirs de la maternité Ramon Sarda à Buenos Aires, Alejandro Miranda entrouvre doucement la porte qui mène à la salle commune où se reposent une dizaine de jeunes mamans et leurs nouveau-nés.

Il montre les linges qui entourent les enfants : “ce sont des donations, le gouvernement ne paie pas pour cela”, se désole-t-il.

A quarante-six ans, Alejandro a travaillé pendant près de quinze ans en service de néo-natalité, une passion intacte pour cet infirmier qui aujourd’hui préside l’Association des Infirmiers de la Capital Federale (la région de Buenos Aires).

L’AICF, une des plus anciennes associations infirmières du pays, se dédie à la formation et à l’éducation des soignants.

Souriant et calme, Alejandro détaille ce qui préoccupe aujourd’hui la profession en Argentine : un manque cruel d’infirmiers et de moyens. Selon une étude de l’Observatoire Syndical de la Santé en Argentine, il manquerait près de 100 000 infirmiers dans le pays, alors qu’un infirmier sur trois à plus de cinquante ans et s’approche de la retraite.

Caissière et infirmière

La raison principale : “le peu d’attrait pour la profession et un manque de considération autant dans les conditions de travail que les salaires”, explique Alejandro.

Dans la maternité où il exerce, dans la partie Sud de Buenos Aires, une zone ouvrière assez pauvre, on travaille tant bien que mal avec des moyens limités. Les infirmiers y effectuent des journées de garde allant de six heures en semaine jusqu’à quatorze heures le week-end.

Pour trente à quarante heures de travail hebdomadaire, un infirmier débutant touche environ 600 euros par mois, à peine le salaire moyen du pays. L'Argentine connaissant une inflation très forte depuis plusieurs années (près de 20 % par an), c’est un salaire trop faible pour vivre. “Alors certains multiplient les heures supplémentaires ou ne prennent jamais de congés : c’est interdit par la loi, mais comme il manque des infirmiers, les hôpitaux laissent faire”.


Certains infirmiers cumulent parfois deux ou trois emplois pour boucler les fins de mois. “J’ai des collègues qui sont aussi caissières ou ouvrières en usine… Moi, je travaille ici trente-cinq heures puis je donne vingt heures de cours à l’université et dans un institut de formation”.

Les hôpitaux privés, un peu plus rémunérateurs cherchent à attirer les soignants en offrant des primes d’efficacité ou de ponctualité. Beaucoup d’entre eux partent aussi tenter leur chance à l’étranger.

Dans le secteur public de la santé, le manque de moyens se remarque simplement. Alejandro montre les blouses de ses collègues aux couleurs dépareillées. “On nous donne un uniforme quand on commence à travailler, puis il faut les acheter soi même. Les chaussures non plus ne sont pas fournies”.

Plus préoccupant, le manque de moyens rend le travail dangereux : “il n’y a pas toujours le matériel nécessaire pour exercer en toute sécurité, des gants, ou des protections pour les yeux quand on fait des rayons X par exemple. Nous sommes sans cesse soumis à des risques d’infection ou de contamination”.

Un diplôme en deux ans face à la pénurie

Dans ces conditions, le métier d’infirmier ne fait pas vraiment rêver les étudiants. Alejandro qui depuis 2008 donne des cours aux jeunes résidents revient sur la formation infirmière dans son pays. Outre le titre d’auxiliaire, équivalent d’aide-soignant, il y a en Argentine deux diplômes : celui d’infirmier qui peut s’obtenir en deux ans dans des écoles privées ou à la fac et la licence en infirmerie qui dure de quatre ans à plus et ne s’obtient qu’à l’Université.

“On a été obligé de créer ce diplôme en deux ans, un titre intermédiaire, pour remédier aux manque de soignants. Dans les écoles il y a beaucoup de jeunes étudiants, mais aussi une forte désertion. Certains arrêtent car on leur offre un emploi avant même qu’ils n’aient obtenu leur diplôme. Beaucoup de femmes abandonnent aussi pour commencer une vie de famille, même si la situation change peu à peu et qu’on assiste à un rajeunissement et à une masculinisation du métier”.

Un infirmier par médecin

Alors que l’OMS recommande un rapport de quatre infirmiers pour un médecin, en Argentine il y a seulement un infirmier par médecin. En théorie, les auxiliaires qui représentent 30 % des soignants, effectuent les taches basiques , aident les patients à se baigner, à se lever ou prennent la température ou la pression sous le contrôle d’un infirmier, mais dans la pratique, avec les sous-effectifs tous les corps soignants effectuent les même taches.

“Lamentable” lâche Alejandro “car cela peut nuire à la qualité des soins”. Les études montrent que le taux de mortalité augmente à l’hôpital du fait de la baisse du nombre d’infirmiers.

Alejandro essaie de se battre pour sa profession, mais c’est un combat difficile. “Il y a une vingtaine de syndicats qui représentent les infirmiers et ne s’unissent pas, le seul syndicat puissant représente tous les personnels de santé et les négociations ne concernent pas que les infirmiers”.

Malgré les difficultés, Alejandro ne quitterait l’hôpital pour rien au monde. “Ce travail est ma passion, le contact des mères et des enfants me plaît beaucoup, l’atmosphère de la maternité est quelque chose d’unique”. Il suffit de le voir sourire, alors qu’il s’approche d’une couveuse et saisit délicatement un nouveau-né pour le comprendre.


David Breger / Youpress

Article paru dans Actusoins magazine

 

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Réactions

1 réponse pour “infirmier en Argentine : double emploi et heures sup”

  1. Comme à peu près partout..les infirmiers sont considérés comme des sous travailleurs

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