Les mauvaises conditions de travail des soignants peuvent-elles excuser en partie une forme de mépris ou de maltraitance ?

La problématique du lien entre conditions de travail et maltraitance est une préoccupation actuelle des soignants, comme les mouvements de grève de ces derniers mois ont pu mettre en évidence. Si cette question relève de la résistance éthique des professionnels de santé, elle pose également la question de la responsabilité.

Les mauvaises conditions de travail des soignants peuvent-elles excuser en partie une forme de mépris ou de maltraitance ?« La question de la maltraitance et des conditions de travail est une problématique que l’on rencontre souvent, explique Sébastien Claeys, responsable de la communication et de la stratégie de médiation de l'Espace régional de réflexion éthique Ile-de-France. Elle relève du management, de l’organisation, de la qualité de vie au travail et plus globalement de l’économie de la santé ». C’est d’ailleurs ce que Claire Compagnon et Véronique Ghadi, écrivent dans leur rapport La maltraitance ordinaire dans les établissements de santé publié en 2009 : « la maltraitance est avant tout le fait d’un système et non pas d’un individu».

« Réfléchir sur les dysfonctionnements organisationnels peut permettre d’expliquer certaines formes de maltraitance ou d’invisibilisation du rapport à l’autre, explique Jean-Philippe Pierron, Directeur de la Chaire « Valeurs du soin » à l’université Jean Moulin, Lyon. Les soignants obéissent à la contractualité de l’institution, sous tendue par une forme d’éthique. Les organisations savent qu’elles peuvent demander aux soignants jusqu’à, sinon l’inacceptable, du moins l’épuisement. Elles en ont conscience et d’ailleurs les cadres de santé sont pris entre la contradiction du management et celle de l’exigence éthique de la relation de soin, eux qui doivent prendre soin du soin».

Dans la charte « Valeurs du soin et de l’accompagnement en institution » publiée en 2017 par l’Espace Éthique Ile-de-France, l’article 2.4 stipule que « les considérations relevant des finalités organisationnelles et gestionnaires, ne doivent pas compromettre et négliger l’exigence d’un soin et d’un accompagnement respectueux de l’intérêt et des droits de chaque personne».

Si Sébastien Claeys précise que ces chartes n’ont pas pour objectif d’énoncer des principes intangibles mais accompagner les soignants, donner des outils de réflexion, se pose la question de l’acceptabilité. « La question de l’excuse, au sens d’explication, est un autre problème. Cela relève de la résistance éthique. Des organisations usent cette résistance éthique », explique Jean-Philippe Pierron. 

Responsabilité

Pour Isabelle Rémy-Largeau, cadre supérieure de santé et doctorante en philosophie,« l’acceptabilité ne peut pas être définie de manière générale et abstraite. Ce qui doit toujours être visé c’est le juste soin avec de justes moyens. Et cet ajustement des moyens aux soins et des soins aux besoins devrait être discuté entre tous les acteurs au plus près des situations rencontrées. La question n’est donc pas de chercher des excuses aux uns ou aux autres et/ou de rejeter la responsabilité des uns sur les autres. Ce dont il est question c’est, au contraire, de rappeler à chacun la responsabilité qui lui revient ».


La cadre supérieure de santé explique que si la question du lien entre conditions de travail et maltraitance se pose aujourd’hui en France avec acuité ce n’est pas par hasard. « Au cours des dernières années, les soignants ont été sensibilisés notamment dans le cadre de leur formation initiale et continue au risque de maltraitance. Parallèlement, en de nombreux endroits ils ont vu leurs conditions de travail se détériorer avec l’injonction réitérée de faire toujours plus, sans avoir davantage de moyens. Aujourd’hui les soignants constatent que, dans un certain nombre de cas, ils en viennent, malgré eux, à être maltraitants et ce constat est source d’une souffrance qui peut être qualifiée de “souffrance éthique” ».

Selon Isabelle Rémy-Largeau, « cette souffrance, d’abord individuelle et intériorisée, et qui a pu conduire certains au burn-out voire au suicide est en train de revêtir une dimension collective et commence à s’exprimer au grand jour ».

Elle fait remarquer que les récents mouvements de grève, par exemple dans les EHPAD, les services des urgences ou les hôpitaux psychiatriques en témoignent.« Ce que beaucoup de soignants demandent, ce n’est pas d’être excusés d’être maltraitants à cause de leurs conditions de travail, ce qu’ils demandent c’est de pouvoir travailler dans des conditions qui leur permettent de ne pas devenir maltraitants, conformément aux valeurs du soin qui les animent, en respectant la dignité de ceux et celles qu’ils accompagnent au quotidien. C’est la raison pour laquelle, leur souffrance éthique se traduit aujourd’hui par des revendications politiques. »

 

Alexandra Luthereau

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