Télémédecine : des consultations de spécialistes sans quitter la prison

Des projets de télémédecine se développent entre des hôpitaux et des lieux de détention. Outre le fait que ces consultations à distance évitent les « extractions » de détenus, coûteuses, risquées et mal vécues, elles améliorent leur accès aux soins. Les infirmiers y participent activement. Article initialement paru dans le n°28 d'ActuSoins Magazine (mars 2018). 

Dr Nabil Elbeki, chef du pôle Urgences, réanimation et anesthésie, Médecine polyvalente et Unité sanitaire en milieu pénitentiaire au centre hospitalier de Valenciennes

Le Dr Nabil Elbeki, chef du pôle Urgences, réanimation et anesthésie, Médecine polyvalente et Unité sanitaire en milieu pénitentiaire au centre hospitalier de Valenciennes, en consultation de télémédecine. © DR

La télémédecine peut faciliter l'accès aux soins de personnes pour qui consulter des spécialistes notamment s'avère compliqué, comme les détenus. Le fait de devoir emmener un détenu à l'hôpital (une « extraction ») est une opération complexe, longue et onéreuse (voir encadré). La télémédecine évite ces déplacements, pour certaines consultations au moins, mais elle est loin d'être généralisée.

Des expérimentations, accompagnées souvent par des groupements de coopération sanitaire de e-santé, se déroulent ici ou là sur des sites pilotes. A Colmar, elle concerne l'hôpital et la maison centrale d'Ensisheim depuis deux ans. A Valenciennes, elle relie le centre hospitalier à la maison d'arrêt et à l'établissement pour mineurs voisin de Quiévrechain. A Moulins-Yzeure (Allier), l'hôpital et la maison centrale sont connectés. Et d'autres projets existent ailleurs.

Matériel simple

L'équipement matériel de base consiste en un chariot de télémédecine par lieu connecté, un à l'hôpital et un dans chaque lieu de détention. Il est composé au minimum d'un ordinateur, d'une caméra et d'un dispositif audio avec micro et enceintes. A Moulins, chacun a coûté environ 20 000€. Pour le Dr Cogitore, médecin référent de l'unité sanitaire de niveau 1 à la maison centrale d'Ensisheim (Haut-Rhin), « le plus long à mettre en place a été la connexion sécurisée, ajoute-t-il. Cela a pris plus d'un an ».

« L'infirmier est le socle de l'organisation. Il a un rôle de coordination très fort », souligne le Dr Nabil Elbeki, chef du pôle Urgences, réanimation et anesthésie, Médecine polyvalente et Unité sanitaire en milieu pénitentiaire au centre hospitalier de Valenciennes. Il doit préparer la consultation, synchroniser les calendriers du médecin spécialiste, du médecin de l'unité et du patient, et organiser la présence du détenu à l'unité de soin au moment de la consultation.

« Je suis aussi responsable de la connexion, souligne Philippe Béghin, cadre de santé responsable des deux unités sanitaires en milieu pénitentiaire. Je démarre l'ordinateur, je le connecte, je connecte les instruments en cas de besoin. ». Il s'est formé au début du projet lors de consultations fictives.

A Ensisheim aussi, l'infirmier est toujours présent lors des consultations. Parfois il est même seul avec le patient. « J'ai toujours son dossier médical en main, explique Christophe Schuhmann, infirmier à l'unité sanitaire de niveau 1 (USN1) de la centrale d'Ensisheim. Si le médecin de l'hôpital a besoin d'informations précises, je peux lui donner. Je note aussi ce qu'il prescrit oralement » et le médecin de l'unité prend le relais des prescriptions.

Rôle essentiel de l'infirmier

Les projets de télémédecine en milieu carcéral ne concernent pour le moment qu'un petit nombre de spécialités. La consultation de pré-anesthésie est souvent la première concernée. Elle consiste principalement en un entretien et un examen visuel de la possibilité d'intuber le patient et se prête donc bien à une consultation en visioconférence.

A Ensisheim, des consultations post-opératoires de chirurgie orthopédique sont aussi réalisées. A Valenciennes, la traumatologie est aussi concernée, pour la première consultation et le suivi post-opératoire. La gastro-entérologie devrait suivre bientôt. « Nous avons aussi déjà fait une pré-consultation de cardiologie », indique Philippe Béghin. Pour ce type de consultation comme pour d'autres, des appareils complémentaires peuvent être connectés à l'ordinateur. Un stéthoscope, par exemple : « il est posé sur le patient et le médecin à l'hôpital entend les bruits du cœur, explique Christophe Schuhmann. Nous avons aussi un électrocardiographe connecté. Le médecin hospitalier voit en direct sur son écran le tracé de l'ECG et peut réaliser des captures. »

Outils connectés

La caméra haute définition permet de zoomer, sur des lésions dermatologiques, par exemple. A Ensisheim, l'équipe dispose aussi d'une loupe connectée équipée d'une lumière polarisée qui permet de préciser encore l'observation. L'équipe a ainsi réalisé de nombreuses consultations de dermatologie en télémédecine pendant un an et demi  mais le départ du dermatologue hospitalier a ralenti cette activité.

L'implication individuelle des médecins hospitaliers compte autant dans le développement de la télémédecine en milieu pénitentiaire que la volonté institutionnelle. Certains praticiens s'interrogent sur la responsabilité médicale, pourtant définie, ou ne trouvent pas le temps de caser ces consultations dans leur planning. D'autres hésitent devant la technologie alors que selon le Dr Cogitore, « c'est à peine plus compliquée que Skype ». Aussi la présence, fréquente, d'un médecin auprès du patient permet au praticien hospitalier de disposer d'un niveau d'information élevé sur le patient.

Autre écueil, cependant : les actes de télémédecine ne peuvent toujours pas être codés et donc facturés par les hôpitaux, indique le Dr Elbeki, qui évalue à 40 000 € les économies réalisées du fait des extractions évitées et à 800 € les consultations réalisées en télémédecine. Un vide « technique » qui n'encourage pas le développement de cette télémédecine... Pourtant, estime le médecin valenciennois, au vu des avantages qu'elle présente et de sa simplicité, « l'essayer c'est l'adopter ».

Olivia Dujardin

Eviter les extractions de détenus

La télémédecine permet d'éviter l'organisation de la sortie de détenus pour les conduire à l'hôpital. Des extractions à la fois couteuses et pas toujours bien acceptées par les intéressés. Elles mobilisent d'une part une équipe de gardiens et de représentants des forces de l'ordre (ainsi qu'un véhicule) pendant toute la durée du déplacement et de la consultation, soit deux à quatre heures. En fonction de la dangerosité supposée des personnes, « une extraction coûte de 700 à 1000€ », estime Jean-Jacques Bonnichon, coordinateur des projets télémédecine au centre hospitalier de Moulins-Yzeure (Allier). « Un gouffre en coût et en temps », ajoute le Dr Elbeki.

D'autre part, les détenus, prévenus des extractions au dernier moment pour des raisons de sécurité, préfèrent parfois renoncer à une consultation que rater une visite, des heures de travail... ou se retrouver à l'hôpital, menottés et les pieds entravés, souligne Jacques Cogitore... Pour les patients ordinaires, la venue d'un détenu met aussi mal à l'aise. « C'est mal vécu par tout le monde », résume Nabil Elbeki. Sans compter que les détenus ne sont pas forcément laissés seuls par leurs gardiens pendant les consultations et les examens, ce qui pose problème en termes de secret médical.

 

Actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article est paru dans le numéro 28 d'ActuSoins Magazine (mars 2018)

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