À Gagny, en Seine-Saint-Denis (93), la structure Lits Halte Soins Santé accueille jusqu’à quarante personnes sans-abri qui ont besoin de soins. Dans cet endroit, elles peuvent réapprendre à vivre tout en étant suivies par des infirmières.

Le déjeuner se termine dans le réfectoire coloré de la structure LHSS. La soixantaine, Aria, originaire du Mali, et Angèle, du Cameroun, la TV du coin salon en fond d’écran, sont installées à table et discutent un peu. Arriver dans cette structure qui permet prise en charge médicale et logement a été un soulagement pour elles. En effet, pendant des années les deux femmes ont fait l’expérience de passer d’hébergement en hébergement, sans aucune stabilité, sans adresse fixe et avec une santé défaillante.
Alors depuis deux mois, Angèle savoure ce semblant de stabilité, apprécie « l’accueil » et le confort, la convivialité du LHSS. Elle qui a subi un cancer actuellement en rémission, et une chirurgie pour des lombalgies et des cervicalgies n’a plus mal et plus constamment en tête le fardeau du logement. Aria, qui est passée par un AVC, a aussi a trouvé un soulagement à ne plus avoir peur de la vie à la rue. Elle vit ici depuis trois ans, voit un kiné trois fois par semaine. Toutes deux aiment aussi la proximité avec le personnel, les assistantes sociales, le médecin coordinateur et les infirmières, qui les encadrent, les accompagnent et suivent l’évolution de leur santé.
Cet article a été publié dans le n°56 d’ActuSoins magazine (mars 2025).
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La structure Lits Halte Soins Santé (qui dépend de l’association Aurore) est financée par l’ARS. Elle accueille une quarantaine de résidents majeurs, hommes ou femmes isolés, adressés par des centres hospitaliers, des cliniques ou encore des dispositifs de l’AHI (Accueillir héberger insérer). Deux critères pour qu’un dossier soit accepté : être sans domicile et avoir un état de santé qui nécessite des soins infirmiers. « La prise en charge de deux mois est renouvelable, aussi longtemps que l’état de santé du résident le nécessite. Cela peut être pour une fracture de la jambe, mais le plus souvent, ce sont pour des pathologies chroniques telles qu’une insuffisance rénale, cardiaque, fin de vie, parcours d’oncologie, ou encore attente de greffe. La majorité des résidents sont polypathologiques, avec au moins deux maladies », explique Charlotte Lécot, cheffe de service et ancienne infirmière. Certains d’entre eux sont ainsi là depuis des années – même si la moyenne de séjour est de 18 mois. À ses côtés, les quatre infirmières qui se relaient pour assurer une présence 7/7 de 8h à 21h30 ne sont pas de trop.
Soins et suivi rigoureux

Parmi elles, Thusharaha Chithirakumar, 28 ans, et Léocadie Duchant, 55 ans. Dans leur cabinet, elles reçoivent toute la journée les résidents qui se sentent mal, mais assurent aussi leur prise de médicaments, les entretiens (accueil, stabilisation, éducation thérapeutique…), les accompagnements chez le médecin ou même des activités extérieures, bowling ou cinéma. Un résident passe justement la porte. Il a mal aux dents et aux oreilles et se sent fébrile. « On va vous prendre la température », annonce Thusharaha. S’en suit une prise de tension et une distribution de Doliprane. « Il faut aller voir un dentiste, l’infection peut remonter », met-elle en garde. Il leur arrive régulièrement d’appeler le Samu ou les pompiers, dans des cas d’épilepsie, d’hypotension ou encore de désaturation.
Un autre arrive quelques dizaines de minutes après. Il vient prendre ses médicaments du matin, mais il est 14h ! Thusharaha lance une petite boutade pour lui faire prendre conscience de l’importance de la rigueur dans sa prise de son traitement. Comme le souligne Charlotte Lécot, le travail de mise en confiance est essentiel. Les infirmières mènent donc régulièrement des entretiens de réassurance et doivent instaurer un lien horizontal avec les résidents, bien différent de la hiérarchie de l’hôpital. La plupart d’entre eux sont sans papiers, or « parfois nous sommes vues comme des représentantes de l’État et les résidents ont peur de nous », précise Charlotte Lécot. Gagner leur confiance permet de faciliter la mise en place d’une éducation thérapeutique sur les soins, l’alimentation etc. « La culture de la santé peut être différente chez les résidents, notamment par l’existence de croyances sur des pathologies, comme c’est le cas pour certaines personnes d’origine subsaharienne concernant les pathologies psychiatriques, ou les personnes d’origine sud-asiatique porteuses du VIH qui pensent qu’elles vont mourir, et de ce fait, ne voient pas pourquoi prendre leurs médicaments ».
Lien privilégié avec les résidents

Léocadie, diplômée en 2021, est arrivée ici en octobre dernier après trois ans passés dans une clinique de Bagnolet où elle a exercé dans les services de SSR, USLD, gériatrie, Ehpad etc. « Mais on court beaucoup à l’hôpital, et on manque de temps à accorder aux patients », déplore-t-elle. Thusharaha, 28 ans, diplômée en 2020, a enchaîné les missions en intérim, notamment dans un laboratoire, mais, aimant beaucoup le social, elle a voulu retrouver un poste avec du contact humain. Toutes les deux partagent ce constat : ici elles peuvent prendre le temps. « On voit le patient évoluer de son entrée jusqu’à sa sortie », analyse Thusharaha. « En plus du médicament qui soigne, ici on donne du temps, on passe du temps à écouter les résidents », lance Léocadie.
Ce poste est émotionnellement engageant, car face à ces parcours de vie chaotique, faits de déracinement, de précarité et de problèmes de santé, « on réalise que nous sommes privilégiées et on se sent utiles », glisse-t-elle encore. Le soir, entre chien et loup, après le coup de feu du dîner, représente le moment où les patients se confient le plus. « Parfois, ils nous parlent davantage à nous qu’à la psychologue », explique Léocadie. Les soucis administratifs reviennent régulièrement, et finalement « leur santé leur apparaît comme secondaire par rapport à ces inquiétudes ». Parfois, il faut encourager une prise d’antidépresseurs, « lorsqu’ils ne se lèvent plus, traînent au lit ou ne participent plus aux activités », explique-t-elle encore. Mais ce n’est pas évident, soit par une confusion entre psychologue et psychiatre, synonyme de pathologies mentales, ou par conviction qu’après avoir « traversé des guerres, de grandes souffrances », ils peuvent s’en sortir tous seuls. Car beaucoup sont fracassés par la vie.
Les deux infirmières confient qu’il est facile de s’attacher. « Mais il est important de garder aussi nos distances, une distance de soignante, pour faire au mieux notre travail et nous protéger », explique Thusharaha. En réalité, « ces résidents ne nous quittent jamais vraiment ! », plaisante Léocadie. Il leur arrive de les appeler même un jour de congés… L’année dernière, quatre résidents sont morts, et les infirmières ont été atteintes par ces départs. « Ici, c’est comme une famille. Ça a été très dur pour nous mais aussi pour les autres résidents ». Les 36 résidents actuels – dont sept femmes seulement – souffrent de cancers, de diabète, d’hypertension, des pathologies « souvent mal traitées par manque de suivi ». Et, glisse Charlotte Lécot, c’est encore pire chez les femmes, qui, dans certaines cultures, « ne se plaignent pas du tout, et par conséquent passent sous les radars, invisibles, et arrivent ici dans un état de santé déjà très dégradé ».
Des inquiétudes

Charlotte Lécot nous fait découvrir les chambres – simples, doubles ou triples -, et la salle de vie. Ici, « l’état de santé global des résidents s’améliore, notamment parce que les personnes sont moins angoissées par leur état social, explique-t-elle. Évidemment un cancer ne va pas se soigner tout seul, mais le fait de ne pas vivre avec la peur d’une OQTF (Obligation de quitter le territoire français) ou d’être arrêté et mis en centre de rétention administrative, cela peut avoir un impact sur l’adhésion thérapeutique », constate la cheffe de service.
Elle confie ses inquiétudes. « Nous avons une majorité de personnes déracinées, isolées. Depuis une dizaine d’années, la politique à leur encontre s’est beaucoup durcie. Certes le titre de séjour pour soins n’a pas été modifié [titre attribué à des personnes qui ne peuvent pas bénéficier d’un traitement dans leur pays d’origine, ndlr], malgré l’adoption de la loi Asile et Immigration en janvier dernier, mais il en était question. Donc cela peut encore se modifier ». Par ailleurs, les places sont largement insuffisantes : en 2024, elle a admis 9 personnes sur 120 demandes effectuées. Et les difficultés sont multiples : la Seine-Saint-Denis est le « premier désert médical » de France, rappelle Charlotte Lécot, et concentre beaucoup de précarité.
À l’intérieur même du LHSS, Charlotte Lécot aimerait encore embellir le quotidien. Tant sur des projets de fond, comme améliorer la prise en charge de la fin de vie et la fluidité de parcours, mais aussi sur des détails, qui ici, n’en sont pas, comme diversifier encore plus les activités disponibles. Essentiel pour des « résidents qui vivent souvent en vase clos ».

Delphine Bauer
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