Polémiques autour du transfert de tâche entre médecins et infirmières

La loi « hôpital, patients, santé et territoires » autorise les transferts de tâches, notamment entre médecins et infirmières, selon une procédure encadrée qui ne convient pas aux ordres des professionnels concernés.

Polémiques autour du transfert de tâche entre médecins et infirmièresA l'issue de six ans d'expérimentations, le législateur a légalisé ce qui est appelé officiellement « coopération entre professionnels de santé », suivant les recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) et de l'Observatoire national de la démographie des professionnels de santé (ONDPS). Ces institutions considèrent que les délégations de tâches correspondent à « une approche moderne, un formidable allié qui rompt avec l'exercice isolé de la médecine », indique Raymond Le Moign, directeur de l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins à la HAS.

La principale procédure prévue par la loi du 21 juillet 2009 peut être enclenchée par les professionnels de santé eux-mêmes, qui définissent un protocole soumis à l'Agence régionale de santé (ARS). Si la demande répond à des problèmes régionaux d'organisation des soins, l'ARS saisit la HAS pour avis. Selon sa réponse, le protocole est autorisé ou non. Les infirmières, qui doivent être formées à l'exercice de ces compétences transférées, sont « le grand vivier de ces collaborations, avec toujours un regard attentif des médecins pour assurer la coordination », estime Yvon Berland, président de l'ONDPS.

Pratiques à la marge

Lorsqu'un protocole est validé, d'autres professionnels intéressés par celui-ci pourront demander à y adhérer, même s'ils exercent dans une autre région. De plus, « la HAS, devant un protocole intéressant, pourra décider de l'étendre à tout le territoire », précise Marie-Andrée Lautru, chef de projet chargée des coopérations entre professionnels de santé au ministère de la Santé.

L'objectif est tout à la fois de s'attaquer aux problèmes de démographie médicale, de libérer du temps aux médecins et d'offrir aux paramédicaux des perspectives d'évolution. « Cela permettra aussi de valider les pratiques à la marge, hors du cadre autorisé », déclare Marie-Andrée Lautru.

Si ces transferts se développeront surtout dans les maisons de santé ou les structures hospitalières, les médecins libéraux pourraient eux aussi être concernés. Dans le cadre de l'association Asalée (Deux-Sèvres), des expérimentations ont été menées afin de confier, à des infirmières, différentes tâches comme le dépistage du diabète ou de certains cancers. « Les consultations avec les patients sont très intéressantes, le travail d'écoute est rarement réalisé dans le cadre de nos attributions habituelles, et ils ne disent pas toujours la même chose qu'aux médecins », remarque Claudie Goubeau, une infirmière qui travaille avec trois médecins libéraux dans le cadre de cette association.

Quelle rémunération ?

Problème du système envisagé : les représentants des professionnels de santé se sentent tenus à l'écart des décisions. « Je ne suis pas sûre qu’il entre dans les missions de la HAS de repenser les rôles des professionnels de santé », affirmait le 15 décembre 2009 Dominique Le Boeuf, présidente de l'Ordre des  infirmiers, lors d'un colloque sur les coopérations interprofessionnelles. De même, à la suite de la publication, le 31 décembre dernier, d'un arrêté relatif au dossier d'autorisation des protocoles, les ordres ont déploré qu'« une autorisation de coopération [...] puisse s’effectuer par le directeur général de l’ARS sans consultation et avis préalable des instances ordinales quant au respect des règles déontologiques des professions impliquées et aux besoins de santé sur le territoire considéré ».

D'autres difficultés sont également envisageables. « Il faut créer un intérêt à agir des professionnels et ne pas présenter ces coopérations comme une solution face à la rareté médicale », observe Raymond Le Moign de la HAS. Et donc ne pas oublier de repenser la formation et surtout de se pencher sur la rémunération de ces tâches. Ce dernier aspect sera « un terrain d'expérimentation pour la direction de la Sécurité sociale », indique-t-on au ministère. « Il faut garder une vision de ce qui se fait sur le territoire, il ne doit donc pas y avoir trop de transferts », préconise par ailleurs Yvon Berland. Le président de l'ONDPS rappelle aussi que la HAS devra « bien veiller à l'encadrement juridique » de l'exercice de nouvelles tâches, qui inquiète certains paramédicaux.

Ces coopérations vont « démarrer doucement, il y aura des pionniers, et certains protocoles vont susciter de l'intérêt ou des débats. Il faudra alors soit remanier le dispositif, soit le généraliser », pronostique Raymond Le Moign.

Raphaël Richard

Pour aller plus loin :

Fiche pédagogique du ministère de la Santé sur les coopérations entre professionnels de santé

http://www.sante-sports.gouv.fr/IMG/pdf/Cooperation_entre_professionnels_de_sante_4.pdf

Arrêté du 31 décembre 2009 fixant les montants maximaux des rémunérations et des dépenses dans le cadre des expérimentations de permanence de soins

http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000021683524&fastPos=3&fastReqId=582842289&categorieLien=id&oldAction=rechTexte

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