La revalorisation salariale des soignants du secteur sanitaire décidée lors du Ségur de la santé, à l’été 2020, semble avoir provoqué une fuite des infirmières, notamment, du secteur médico-social qui n’était pas concerné par cette mesure.
Lors de la récente mobilisation des structures et organisations du secteur social et médico-social sur la crise des métiers de l’humain, menée par l’Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uniopss), des responsables associatifs ont alerté sur ce problème qui affecte durement leurs établissements.
Ils sont certes confrontés comme les établissements sanitaires à la difficulté de recruter des infirmières, plus rares sur le marché du travail depuis quelques mois, mais ils doivent aussi faire face au départ de certaines de leurs infirmières vers les hôpitaux publics, constate Tiffany Thirole, directrice générale adjointe de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) dans les Hauts-de-France. « La fibre sociale est là, ajoute-t-elle, mais le salaire n’y est pas. La différence (entre sanitaire et medico-social, NDLR) peut aller jusqu’à 500 € par mois. Certaines infirmières nous disent que c’est le prix de leur loyer », ce qui est loin d’être négligeable…
Départs plus fréquents
Dans la maison d’accueil spécialisé pour personnes en situation de handicap des Papillons blancs du Pas-de-Calais que dirige Laurent Caron, la revalorisation « Segur » a provoqué « une fuite des soignants, qui a commencé avant l’été, s’est poursuivie puis accélérée depuis septembre 2021, vers l’hôpital public ou des “périphériques” de l’hôpital », Ehpad ou établissements pour personnes handicapées liés à un hôpital.
Plus d’une dizaine de postes d’infirmière, d’aide-soignante et d’aide médico-psychologique sont concernés. Des postes « beaucoup plus difficiles à pourvoir que d’habitude », notamment du fait de la plus faible rémunération dans le secteur médico-social, note Laurent Caron. Et le turnover des soignants a explosé dans les établissements de l’association…
Une association qui intervient sur tous les champs des secteurs social et médicosocial basée à Arras. La vie active, a subi aussi « des départs francs » de soignants à la recherche d’une « meilleure rémunération et d’un meilleur déroulement de carrière », observe son directeur général, Guillaume Alexandre. Selon lui, « des hôpitaux franciliens sont venus drainer ces professionnels ».
En plus de la pénurie
Ces départs aggravent les tensions existantes dûes à la baisse constante du nombre des candidats des professions paramédicales dans le médico-social et au déficit d’attractivité des secteurs social et médico-social antérieur à la crise du Covid et du Ségur.
La conjugaison des deux phénomènes se répercute sur la capacité d’intervention des associations et de la qualité de l’accompagnement qu’elles fournissent aux personnes les plus vulnérables. Et conduit parfois les structures à « réduire [leur] offre de service », regrette Laurent Caron.
Pour avoir assez de professionnels paramédicaux pour prendre soin des résidents permanents de la MAS, « la voilure » du dispositif expérimental d’accompagnement et de soins en milieu ordinaire (DASMO) a été réduite tout comme celle de la maison d’accueil temporaire (de dix à seulement deux places). Le SSIAD de l’association La vie active connaît lui aussi des tensions par manque d’infirmières. « Ce moment du Ségur a été celui d’un questionnement de notre organisation dans sa globalité, souligne Guillaume Alexandre. La question qui nous taraude, au-delà de la revalorisation salariale, c’est quelle place on donne aux personnes fragilisées ou exclues dans la société. »
Inégalités problématiques
Au-delà de la question financière, estime Tiffany Thirole, les professionnels souffrent du manque de considération pour leur rôle auprès de ces personnes.
La non-revalorisation salariale des soignants (et des autres professionnels) du secteur médicosocial « a été l’élément déclencheur (de certains départs, NDLR), car le plus visible, insiste-t-elle. Mais il faut aussi souligner le manque de reconnaissance global de notre secteur “Accueil, hébergement, insertion“, particulièrement dans le contexte de la pandémie. Alors que nos structures devaient continuer de fonctionner, ce secteur n’a jamais été considéré prioritaire par les services de l’Etat depuis le début de la crise sanitaire dans les mesures mises en place comme la dotation en masques ou la garde d’enfants. Ce qui a fatigué les professionnels, toutes professions confondues, c’est le phénomène de répétition : il a fallu par exemple monter au créneau trois fois sur la garde d’enfants… »
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 prévoit d’étendre à certains professionnels du secteur médico-social la revalorisation de 183€ mensuels issue du Ségur. Mais les décrets définitifs n’ont pas été publiés, comme le souligne Laurent Caron.
Cette mesure, qui sera sans nul doute appréciée par ses bénéficiaires, interroge les responsables associatifs car elle risque fort de créer des problèmes d’égalité de traitement entre salariés. En effet, souligne Tiffany Thirole, certaines infirmières y auront droit et d’autres non au sein d’une même structure, selon le financeur de leur poste.
Et les salariés non concernés, comme les éducateurs spécialisés ou les travailleurs sociaux, n’apprécient pas de ne pas bénéficier d’une hausse de salaire qu’ils réclament eux aussi de longue date. Avec des répercussions sur le climat social des structures. Des manifestations ont déjà eu lieu sur ce sujet depuis début janvier.
Géraldine Langlois
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