La situation de Viktoria n’est pas inhabituelle : en Ukraine, il y a un manque cruel d’infirmières qualifiées dans les hôpitaux publics et ce sont très souvent les étudiants qui viennent compléter les effectifs. Viktoria explique : « l’État rémunère très faiblement les infirmières, entre 100 et 150 euros par mois. Une collègue, qui travaille depuis 33 ans, touche à peine 20 ou 30 euros de plus. C’est moins qu’un balayeur. Les plus qualifiées préfèrent alors exercer dans les instituts privés ou chez de riches particuliers qui veulent des soins à domicile ». Les étudiants sont d’autant plus demandés et appréciés dans les services aux conditions de travail pénibles.
Viktoria a toujours été attirée par le milieu médical, même si personne dans sa famille n’en est issu. « Ma mère, ingénieur ferroviaire, me disait que j’étais folle, que ce serait très difficile », rigole-t-elle. Après une école d’infirmière (la formation dure 3 ans), qu’elle n’a pas terminé, elle est entrée à l’université de médecine, afin de s’ouvrir plus de portes : « avec un diplôme de médecin et si j’obtiens une équivalence, j’espère pouvoir exercer en Europe ».
Pas totalement infirmière et pas encore médecin, la jeune fille observe, dans l’entre-deux, les relations dans son service. « Même s’ ils sont agréables en dehors, les médecins peuvent-être durs à l’hôpital car il-y-a beaucoup de pression. Maintenant que j’ai plus d’expérience, ça se passe bien et je profite de mon temps libre pour observer les différents services, j’aide aux analyses en laboratoire par exemple . En Ukraine, nous , les infirmières, devons appeler les médecins pour tout, même si nous savons quoi faire : lorsque la pression d’un malade est élevée par exemple. C’est toujours le docteur qui doit s’adresser aux patients ». En Ukraine, Les aides-soignants en sont tenus aux tâches ingrates, changer les draps, laver les malades… pour à peine 70 euros par mois : « Ils n’ont pas d’éducation médicale ni de formation à la psychologie de la relation aux patients… généralement à table, ils mangent dans une salle séparée des infirmières et des médecins ».
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Avec des salaires aussi bas, la corruption est prégnante dans tout le corps médical. Héritage du système communiste (l’Ukraine a pris son indépendance de l’URSS en 1991), le système de santé est totalement gratuit. Officiellement. Mais en vérité, pour chaque acte ou consultation, les patients versent un « pot de vin » au médecin, qui varie en fonction de la difficulté de l’intervention. Au final le paiement au noir, peut représenter autant, voire plus, que le salaire officiel. « Certains médecins l’exigent d’autres laissent juste les patients faire, certains ne font payer que les plus riches…. il n’y a pas de règles », explique Viktoria. « Pour les infirmières, certains patients donnent directement, parfois c’est le médecin qui redistribue ces « cadeaux » à son équipe. Moi, j’ai décidé de ne rien accepter car pour le moment, je n’en ai pas besoin. J’aimerais juste que mon pays puisse rémunérer ses professionnels de santé à leur juste valeur ». Pour les infirmières, ces paiements additionnels ne sont pourtant pas suffisants : elles sont nombreuses à avoir un ou deux autres jobs à côté.
Pour Viktoria, le niveau des professionnels de santé reste malgré tout assez bon : « même si nous n’avons pas les moyen d’acheter des équipements très perfectionnés, dans les hôpitaux de Kiev, la situation est meilleure. Dans ma ville natale, Kharkov, à 12h au sud de la capitale, médecins et infirmières continuent de traiter les patients comme ils ont appris il y a 40 ans ». La force de la jeune femme, c’est sa curiosité et sa ténacité : « Je passe mon temps entre mes études, mon travail et je lis beaucoup d’articles médicaux sur Internet, je dors finalement assez peu ». Viktoria représente une nouvelle génération de soignants en Ukraine, motivée et éduquée. Mais pour que celle-ci ait envie de rester dans le pays, l’État devra se donner les moyens de la payer correctement.
David Breger
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