Anne Ribes débarque, en retard, le souffle court, à la Salpétrière. Ce petit bout de femme, infirmière de formation, a un emploi du temps de ministre. A l’origine du premier jardin thérapeutique qui a vu le jour en France en 1997, Anne Ribes voit le succès actuel de ces structures se confirmer.
“J’ai toujours adoré soigner, je ne me voyais pas faire d’autre métier, explique-t-elle. Mais quand j’ai fait mes études d’infirmière, je n’ai pas trouvé ce que je cherchais.” Ce qu’elle cherchait? Une communion avec le cosmos, les éléments, la nature. A la fin des années 90, sa passion pour les jardins prend le dessus : elle recommence des études en paysagisme. Dotée de cette double casquette, elle se met à démarcher les hôpitaux.
Finalement, c’est la Salpétrière, avec le professeur Basquin à la tête du service de pédopsychiatrie, qui lui donnera sa chance, sur un petit bout de terrain de 50m2. Ses premiers patients sont des enfants autistes. “En les regardant, en étant en empathie, je les ai accompagnés“, se souvient-elle, convaincue du concept depuis longtemps. Ce qu’elle aime répéter? “Dans un jardin thérapeutique, le soigné devient soignant.” En effet, il faut planter, arroser, ramasser. S’occuper du vivant en somme, et s’inscrire dans le réel.
En France, l’installation des jardins thérapeutiques traine encore, bien que le dernier plan Alzheimer préconise la création de jardin de soin dans les Ehpad, précise Anne Chahine, une juriste de formation passionnée de jardins, présidente de l’association “Jardins & Santé”. Depuis dix ans, cette association promeut l’importance des jardins dans le soin en lançant des appels à projets en recherche ou en paysagisme.
Ailleurs, pourtant, en Belgique, en Grande-Bretagne, les jardins thérapeutiques cartonnent. Aux Etats-Unis, ils sont même utilisés pour aider les vétérans des dernières guerres (Afghanistan et Irak), souffrant de choc post-traumatique. Ce qui les dessert dans l’Hexagone ? Pour Anne Chahine, c’est l’absence de données scientifiques. “Il n’y a pas encore d’études sérieuses sur le sujet. Le CHU de Nancy est en train de combler ce manque. Mais sur le terrain, nous constatons des effets très bénéfiques indéniables pour le patient comme le soignant”, lâche-t-elle.
Les infirmières, au coeur du dispositif
Anne Chahine le confirme, “la plupart du temps, ce sont des infirmières qui sont à l’origine des jardins.” Car si les ateliers en jardins thérapeutiques peuvent être encadrés par des animateurs, des jardiniers ou toute personne intéressée et formée sur les activités de jardin, le rôle de l’infirmière devient essentiel quand il s’agit d’établir des objectifs thérapeutiques ciblés ou encore d’évaluer les bienfaits sur les patients.
« Les animateurs ont un rôle occupationnel. Ils apportent le bien-être et le plaisir aux résidents. Une infirmière, elle, peut – bien que l’hortithérapie ne soit pas encore reconnue – intégrer les activités du jardin dans ses soins, en concertation avec le médecin », explique Laurence Bellut, infirmière à l’EHPAD Notre-Dame des Anges à Lorgues (Var), actuellement en formation jardins thérapeutiques. L’avantage serait aussi d’individualiser les actions et de les adapter en fonction des pathologies. « L’infirmière porte un regard plus médical que les animateurs sur les patients. Elle peut observer l’état physique et mental des résidents et en discuter lors des transmissions ou du staff », précise-t-elle.
En 2012, passionnée de jardins, Paule Lebay, infirmière, veut arrêter les soins purs et postule pour coordonner l’accueil de jour de l’Ehpad d’Ozain où elle travaille déjà. “J’ai constaté que mes collègues étaient désireuses de mettre des plantes vertes, se rappelle-t-elle. J’ai proposé au directeur de créer un jardin, il a dit oui.” Au même moment, elle suit une formation avec Anne Ribes. C’est aguerrie qu’elle revient à Ozain. Car sans budget dédié, Paule doit apprendre à trouver des fonds ailleurs, auprès de mécènes privés. Mais il lui faut un dossier béton pour convaincre. Après quelques réponses positives et des fonds dégagés, les travaux commencent. Et bientôt, le jardin ouvre ses portes. Au grand bonheur des patients, ravis de renouer avec la notion de partage, souvent absente des Ehpad.
Avec l’expérience, Paule Lebay constate les écueils à éviter : “tout médicaliser est une erreur”, estime-t-elle. Le jardin doit rester un espace de liberté. Installer des rampes est non seulement très cher, mais surtout contre-productif : le jardin ne doit pas être un prolongement d’un “lieu d’enfermement”, comme qualifie Anne Chahine l’univers hospitalier ou médicalisé. D’ailleurs, précise Paule Lebay, “au jardin, on n’est pas en blouse blanche.”
Des effets bénéfiques pour tous
Réalisé dans de bonnes conditions, le jardin de soins est bénéfique à tous : patients, mais aussi familles et soignants eux-mêmes. Pour Paule Lebay, au contact de personnes âgées atteintes d’Alzheimer, c’est même primordial. “Nous sommes en charge de créer leurs derniers bons souvenirs, et avec un jardin, on offre aux familles et aux patients un espace où l’on parle autre chose que de la maladie”, soutient-elle.
« Lors des ateliers de jardinage ou lorsque l’on crée de l’art éphémère avec les feuilles, les fleurs et les branchages qui nous entourent, nous faisons appel aux sens des résidents. Les odeurs, le contact avec les fleurs ou la terre ramènent à des souvenirs de jeunesse… Des souvenirs heureux », confirme Sonia Vellot, qui anime des ateliers dans le jardin de l’EHPAD Notre-Dame des Anges, à Lorgues. Le but étant aussi de faire sortir les résidents de leur chambre et de rompre l’isolement. « Cela ne peut être que bénéfique. Ils sourient et ils rient. Ils sont bien, tout simplement », ajoute-t-elle.
Dans le jardin de Lorgues, les résidents plantent, arrosent, se promènent. Ils ont à disposition pour se balader, un immense parc aménagé de 7000 m2 et pour jardiner un potager avec tomates, courges, aubergines, poivrons, fraises, basilic et autres herbes aromatiques.
Au cours de ces activités horticoles, les effets positifs se font sentir sur tous les niveaux : cognitifs, émotionnels, sensoriels, mémoriels, physiques. Travailler au jardin sollicite par exemple la motricité, mais aussi les capacités cognitives avec la prise de conscience d’un processus chronologique (semis, pousse, ramassage…) ou encore la mémoire, quand les souvenirs des patients sont sollicités. Résultats : moins d’angoisse, moins d’agressivité, moins de tensions, un meilleur appétit, un somme moins agité. “Et, même si ce n’est pas encore quantifiable, probablement une baisse de certains médicaments”, détaille Anne Chahine.
Pour Anne Ribes et ses ateliers auprès d’enfants autistes, les effets sont très clairs. “Ces enfants à qui il manque des repères, le jardin les leur redonne : ils voient la graine pousser, l’arrosent, l’arrachent, la mangent. Ils prennent conscience d’un cycle. Ils deviennent soignant, ont un rôle, et ça les structure”, explique-t-elle.
Delphine Bauer et Malika Surbled
Article paru dans le n°17 d’ActuSoins. Pour s’abonner au magazine ActuSoins (trimestriel), c’est ICI
Les 5 règles d’or de Paule Lebay, infirmière 1-Se former à l’hortithérapie 2-Monter un projet bien ficelé et détaillé 3-Etre tenace pour convaincre des financeurs 4-Créer un noyau dur de soutiens 5-Communiquer un maximum sur le projet
Jardiner, c’est bénéfique pour TOUS les patients, pas seulement ceux des EHPADs. Ca fait un bien fou. Et s’ils n’ont pas le droit de manger ce qu’ils cultivent, il y a au moins le plaisir de le faire. Et je sais que beaucoup de monde serait ravi d’avoir des légumes ou des oeufs frais gratos. Moi j’dis ça, j’dis rien, hein. Le débat sera toujours ouvert quand j’en sortirai, moi, de maison de retraite, les pieds devant!
Karine Queret 😉