Quand les infirmières s’en mêlent…

Quand les infirmières s’en mêlent…

En 1988, 100.000 « blouses blanches », regroupées en Coordination Nationale des Infirmières, défilent partout en France pour réclamer une revalorisation de leur salaire et une reconnaissance de leur statut.  Ce mouvement spontané, apolitique et en marge des syndicats « marque une rupture nette avec la prise de parole traditionnelle des femmes salariées » (1). Pour la première fois, les infirmières se prennent en charge professionnellement. Retour sur une mobilisation sans précédent.

Quand les infirmières s'en mêlent... A l’origine de ce mouvement, le décret Barzach de 1987. Celui-ci remet en cause l’obtention du baccalauréat comme condition d’entrée à l’école d’infirmière. Pour les professionnels de la santé de niveau bac + 3, c’est une provocation de trop. En manque de reconnaissance (mauvaises conditions de travail, petits salaires), elles réclament une revalorisation de leurs compétences et de leur qualifications professionnelles. Dans un climat social déjà tendu, ce décret va rallumer la mèche de la contestation chez les infirmières.

Une coordination autonome, en marge des syndicats

Quel moyen d’action choisir ? Comment mobiliser une profession très peu syndicalisée ? (car seulement 7% des infirmières le sont). Ne se reconnaissant dans aucune organisation existante, des infirmières et infirmiers mettent en place une Coordination Infirmière Ile de France. Cette nouvelle forme de syndicalisme permet de rassembler l’ensemble des infirmières, (syndicalisées ou non) autour de revendications communes : l’abrogation de la loi Barzach bien sur, mais aussi une hausse des salaires immédiate de 2000 francs, une reconnaissance de leur statut, des postes supplémentaires, et l’amélioration de leur conditions de travail. En septembre, le mouvement parti de Paris prend très vite une dimension nationale.

Ni bonnes, ni connes, ni nonnes… ni syndiquées

Malgré une très forte mobilisation (90% des infirmières grévistes),  la coordination se voit exclue de la table de négociations, par les syndicats eux-même. La CFTC, la CFDT, FO et la CGC, qui ne représentent pourtant que partiellement la profession, refusent de s’associer à la coordination. Ils ne lui reconnaissent aucune légitimité. De son côté, la coordination continue de réclamer son autonomie et souhaite obtenir la reconnaissance des pouvoirs publics.

Il faudra attendre la grande manifestation du 13 octobre 1988 pour que les infirmières, portée par l’opinion publique, soient enfin reçues par le ministère.

Ce jour là, dans la matinée, ce sont 100.000 « blouses blanches » qui défilent dans les rues pour se faire entendre. « Ni bonnes, Ni connes, Ni nonnes ». Le slogan qu’affichent les banderoles affirme clairement le « ras-le bol » de ses professionnelles qui veulent en finir avec l’image traditionnelle de l’infirmière bonne sœur. La CGT qui s’est ralliée au mouvement défile à leur côté mais sans arborer d’étiquette. Dans l’après-midi du même jour, les autres syndicats ne rassembleront, quant à eux, que 15.000 personnes.

Entendues mais pas reconnues

Le 23 octobre, après un mois de conflit, Nicole Bénévise, porte parole de la coordination infirmière, annonce au journal télévisé d’Antenne 2, la fin de la grève et « demande aux syndicats de ne pas signer d’accords avec le gouvernement sans que la base soit consultée ».

Mais les syndicats ne l’entendent pas de cette oreille. Le lendemain, l’accord est signé. Ces querelles  affaiblissent le mouvement dès la fin novembre. Des actions continueront d’être menées jusqu’en 89, année de dissolution de la coordination. Une coordination qui n’a jamais vraiment réussi à établir un véritable dialogue avec un gouvernement qui privilégie les syndicats.

Cette prise de parole, autonome et spontanée, aura quand même payé. Le premier résultat a été l’abrogation du décret Barzach. S’ajoute à cette première victoire d’autres acquis très importants pour le métier : l’amélioration des perspectives de carrière et surtout, une sérieuse revalorisation des salaires des infirmières de 550 francs en début à 1500 en fin de carrière.

La coordination Nationale des Infirmières de 88 témoigne surtout d’une remise en cause des syndicats  traditionnels : « Les infirmières françaises ont véritablement construit un nouveau modèle de lutte, et ce modèle est « subversif »(2).

Depuis qu’en 1991 la coordination s’est constituée en syndicat, elle ne mobilise plus autant : « l’engagement syndical est encore trop faible, ce qui est sans doute une des causes essentielles du manque de reconnaissance salariale » explique Nathalie Depoire, présidente actuelle de la CNI.

Pourtant, les revendications infirmières restent les mêmes qu’en 88 : amélioration des conditions de travail (qui s’avèrent être de plus en plus dures), revalorisation de leur qualification (avec la mise en place d’un cursus universitaire licence-master-doctorat), augmentation des salaires, etc.

Mais « la forte démobilisation du personnel, les effectifs très limités (nécessaire pour assurer un service minimum), le faible pouvoir d’achat des salariés, rendent difficile une telle mobilisation, même si rien n’est impossible» conclue Nathalie Depoire.

Anne-Sophie Popon

 

 

(1) et (2)Daniele Kergoat, Françoise Imbert, Hélène Le Doaré et Daniele
Sénotler (dir.) : Les infirmières et leur Coordination, 1988-1989. Paris,
Éditions Lamarre, 1992, 192 p.