Devant l’hôpital Lariboisière, quelques centaines de silhouettes en blouse blanche ou bleue, des infirmières, des internes, des médecins, tous les acteurs du système de soins public prêts à défiler ensemble, signe que l’heure est grave.
Après la manifestation du 14 novembre, un nouveau rendez-vous avait été fixé le 17 décembre pour que les soignants puissent exprimer leur colère mais aussi leurs inquiétudes face à la “casse” du système de l’hôpital public.
Angélique, 34 ans, est infirmière depuis huit ans. Un temps suffisamment long pour constater des changements notables dans ses conditions de travail.
A Saint-Louis, elle déplore « une baisse des effectifs », la faute, notamment à une fonction publique qui n’attire plus les vocations, et souhaiterait activement « des moyens supplémentaires et une revalorisation salariale ». Si elle a la chance « d’habiter à Paris, pour beaucoup de mes collègues, résider dans la capitale n’est plus possible ». Avec ses 1850 euros maximum par mois, avec deux week-ends de garde et des jours fériés, elle doit néanmoins se serrer la ceinture.
A ses côtés, Silina, le même âge, également infirmière à Saint-Louis, est venue surtout pour dénoncer les conditions de travail, et ne ferme pas la porte à une reconversion professionnelle. Après tout, « beaucoup d’infirmières y pensent », lance Angélique.
Pour cette dernière, la réforme des retraites actuellement dans les tuyaux ne constitue pas la raison principale de sa présence ce matin. Pour autant, elle ne se voit pas continuer « jusqu’à 64 ans » (l’âge pivot), car, rappelle-t-elle, exercer comme infirmière est « difficile et épuisant, mais pas seulement physiquement. Egalement psychologiquement, sauf que cette fatigue-là n’est pas quantifiable. Hier, j’ai bossé 12h en prenant seulement 20 minutes pour déjeuner sur le pouce ». Alors, à l’évocation du discours d’Edouard Philippe, qui ne reconnaît que le travail de nuit comme critère de pénibilité, les deux collègues s’offusquent : « Il a tout faux ! »
Inquiétudes partagées
A quelques pas d’elles, Anna et Margaux, deux sages-femmes exerçant à Trousseau, partagent leurs nombreuses inquiétudes. « Le stress pendant les gardes et la charge de travail qui s’intensifie » ont des conséquences, pour elles, épuisées, mais aussi et surtout pour leurs patientes. « A Trousseau, au moment où je vous parle, cinq femmes accouchent, pour une sage-femme », rappelle Margaux.
Ce qui signifie dix personnes à surveiller, en comptant les nouveau-nés… « Je n’ai que 15 minutes par consultation, forcément, je prends du retard, car je veux bien faire mon travail, cela crée des tensions avec certaines patientes, qui ont l’impression qu’on n’a jamais le temps pour elles », précise-t-elle.
Alors, dans ces conditions, « bien sûr, on est là aussi pour les retraites, mais déjà, on aimerait accomplir toute notre carrière… » Une chose est sûre : « On ne tiendra pas jusqu’à 64 ans ! » Le sentiment de mettre potentiellement leurs patientes en danger est sans doute l’élément le plus difficile à vivre. « L’urgence, c’est le quotidien. C’est ne plus me retrouver à utiliser la lampe de mon portable pour examiner le vagin d’une femme enceinte, parce qu’il n’y a pas de lampe dans toutes les salles. C’est ne plus découper des couches de bébé pour donner à une femme qui vient d’accoucher car il n’y a plus de protection post-partum ».
Le cortège démarre pour rejoindre la place de la République, lieu de rassemblement de la manifestation anti-retraites de l’après-midi. Berika, 48 ans, IADE au sein du Samu 78, est venue par solidarité. « Moi je suis une privilégiée, je travaille dans de bonnes conditions, mais je vois bien les infirmières des urgences totalement débordées quand je leur dépose un patient », raconte-t-elle, admirative du courage et du dynamisme des jeunes soignants à l’origine du Collectif Inter-Urgences. « Au moins par respect pour eux, je me devais d’être là. Ca fait du bien de voir leur détermination ! »
Pour les patients
Pour Arnaud et Laurence, tous deux infirmiers dans un Smur francilien, la priorité, c’est « une prise en charge digne du patient ». Arnaud n’ose même plus dire qu’il est infirmier, car il n’entend « plus que des critiques sur l’hôpital et les urgences. » Laurence est usée « par la dynamique du travail à la chaîne », et constate avec regrets « une perte de sens. On en arrive à devoir sélectionner les patients en fonction de leur état », dénonce-t-elle, inquiète d’une mise en danger des patients.
Si eux ne sont pas concernés par la réforme des retraites (ils sont nés avant 1975), Maurice, aide-soignant, et Cécilia, infirmière à Lariboisière, ne décolèrent pas. Cette dernière est ulcérée de perdre les avantages liés à son choix de rester en catégorie B (retraite à 57 an s…) et ne sait pas à quelle sauce elle va être mangée, tandis que Maurice refuse tout net « les mesurettes, comprenez les primes » et le corporatisme : « quel que soit notre grade, nous sommes tous là pour le bien-être du patient », assène-t-il, visiblement remonté.
A ses yeux, le gouvernement met en place une stratégie du « diviser pour mieux régner », en proposant une revalorisation salariale, mais pas pour tout le monde. Cécilia ne se voit pas « travailler jusqu’à 64 ans. Ceux qui ont décidé ça ne connaissent pas l’hôpital ». Maurice renchérit : « Imaginez ceux qui exercent en gériatrie… A 64 ans, ils seront cassés. Ils n’auront jamais une carrière pleine ». Patrice, technicien de laboratoire craint une mauvaise surprise, puisqu’on « ne sait pas la valeur du point ».
Chez les plus jeunes, comme pour Rémy, étudiant de 26 ans en soins infirmiers, les craintes reposent sur les conditions d’exercice du métier, mais une projection dans le futur n’est pas plus rassurante. Sa peur ? Arriver à « un système à l’américaine, avec la nécessité de souscrire à une complémentaire retraite privée. »
Sur la place de la République, les soignants se mêlent aux autres salariés inquiets de la réforme des retraites, prêts à défiler l’après-midi. « Notre combat pour l’amélioration des conditions de travail est un peu phagocyté par l’actualité retraite », déplore Fred, aide-soignant et permanent UNSA. Avant de reconnaître que les deux combats sont complémentaires. Une vraie convergence des luttes.
Delphine Bauer
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