Manifestation des infirmiers libéraux : « Saigner pour soigner jusqu’à quand ? » 

Manifestation des infirmiers libéraux : « Saigner pour soigner jusqu’à quand ? » 

Le 4 avril, une manifestation était organisée à Paris, place de la Bastille direction le Ministère de la Santé. Un ras-le-bol généralisé à cause du manque de reconnaissance des infirmiers libéraux et de la non-revalorisation de leurs actes depuis quinze ans.
Manifestation des infirmiers libéraux : Saigner pour soigner jusqu’à quand ?
© Delphine Bauer

« Piqueuses, pas voleuses », « infirmiers libéraux, espèce non protégée et en voie de disparition », « saigner pour soigner jusqu’à quand ? » Dans une nuée de sifflets, des panneaux d’infirmiers libéraux en colère maillaient le trajet du cortège qui partait de la Bastille jusqu’au Ministère de la santé.

Parmi les manifestants, Cécile, toute jeune retraitée. « La profession n’est pas râleuse. Si les infirmières libérales sont dans la rue aujourd’hui, c’est qu’il y a de sérieuses raisons ».

Cécile sait bien de quoi il retourne. Elle a été infirmière libérale pendant 40 ans et n’a eu de cesse de « voir les conditions se dégrader ». Aujourd’hui, elle est venue de Bayonne pour représenter celles et ceux qui ne pouvaient pas faire le déplacement.

Elle a une pensée spéciale pour sa nièce, 5 ans de métier au compteur et déjà en train de penser à une reconversion, usée.

Des semaines entre 50 et 70 heures

En ce 4 avril, les doléances de la profession étaient multiples. Sur toutes les lèvres, un mot : revalorisation. Les tarifs conventionnels n’ont pas été augmentés depuis 2009. « Mais quelle profession travaille 24/24, 7/7, 365 jours par an ? », s’énerve Catherine, infirmière libérale venant de l’Oise. Surtout que les charges (Urssaf, caisse de retraite) et l’inflation (28%) s’envolent.

Valérie, sa consœur, 60 ans, déplore que la profession n’a bénéficié d’aucune prime lors de la crise sanitaire du Covid. La pilule passe mal pour celle qui estime subir « une concurrence déloyale avec la HAD, qui coûte très cher au contribuable ».

La revalorisation en janvier dernier de l’indemnité forfaitaire de déplacement, passant de 2,50 à 2,75 euros, fait doucement rire les manifestantes. « C’en est même dégradant, c’est comme nous donner les miettes », estime Sandra, 49 ans, infirmière libérale depuis 2009 à Besançon, qui la compare aux indemnités supérieures dont bénéficient kinésithérapeutes et médecins. « Pourtant, le prix de l’essence est le même pour tous », lâche-t-elle.

Valérie renchérit. « Au début de ma carrière, je gagnais correctement ma vie. Mais aujourd’hui, avec deux enfants étudiants, seule, je suis à découvert tous les mois ». Alors pour s’en sortir, ces infirmiers et infirmières augmentent le nombre de patients par jour, quitte à atteindre des semaines de 70 heures.

Valérie en voit déjà 40 à 45 par jour. Comment aller au-delà ? Elle est tout simplement « fatiguée ». Yoannick Grandclaude, 33 ans, qui exerce en Bourgogne, ressent la souffrance des soirées passées loin de ses filles. « Quand je rentre à 20h30, je ne les vois pas, et cela arrive souvent, confie-t-elle, émue. Ce temps-là ne se rattrapera pas ».

Point commun de toutes ces infirmières ? Elles ne se voient pas travailler jusqu’à leurs 67 ans, condition pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Fatigue, épuisement, troubles musculo-squelettiques… Le métier épuise, même quand on l’aime.

Continuer ou arrêter ?

Cette question de continuer jusqu’à 67 ans, Stéphane, 51 ans, se la pose aussi. S’il quitte la profession avant, ce sera pour embrasser un nouveau secteur, l’artisanat sans doute. Un métier qui lui plaira, dans lequel il trouvera du sens.

Au-delà de son cas individuel, cet infirmier exerçant dans le Gers est inquiet de voir tout un système de santé s’effondrer, « où il y a de moins en moins de place pour les infirmiers libéraux ». Heureux de voir des drapeaux « de toutes les régions », et de sentir une solidarité alors que la profession est plutôt « isolée », il dit regretter les contrôles renforcés de la Sécurité Sociale, une « moindre liberté ».

Ce sujet inquiète aussi Sandra, 45 ans, libérale depuis 2019. « Ils veulent faire des économies, suppose-t-elle, et ils nous demandent de justifier des actes déjà réalisés, parfois pour des sommes dérisoires ».

Marlène, 49 ans, infirmière à Sens, passe beaucoup de temps à « redemander des ordonnances » aux médecins, pour des questions de nomenclature. Par exemple pour que nous fassions « la distribution des médicaments, il faut que le médecin écrive sur l’ordonnance que le patient souffre de troubles cognitifs », détaille-t-elle.

Parfois, de peur de ces contrôles, elles sous-cotent les actes. « Pour un pansement qui pourrait être complexe, nous déclarons un pansement simple. C’est du bénévolat », assène Yoannick Grandclaude, évoquant aussi les toilettes, refusées par certaines infirmières, car elles prennent « trop » de temps et sont trop peu rémunérées.

Elle a une pensée pour « les patients les plus précaires ». Aujourd’hui, c’est sa « première manif », s’enthousiasme-t-elle. Car son métier, elle l’aime. Ce qui la fait tenir ? « La relation avec mes patients. On les voit, on leur donne des soins. Soigner, c’est valorisant. Mais ce n’est pas valorisé ».

Catherine, Marlène, Valérie souhaitent du changement pour trouver le force de continuer. De la reconnaissance, enfin. Marlène, qui ne reviendrait pour rien au monde à l’hôpital, heureuse de l’autonomie que l’exercice libéral permet, avance : « Pour moi, cette journée sera réussie si au moins nous réunissons à ouvrir la discussion d’une revalorisation salariale avec les syndicats ».

Les attentes de la profession sont nombreuses. « Stop au mépris » affichaient de nombreux slogans.

Delphine Bauer

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