Lettre ouverte d’une infirmière libérale

Lettre ouverte d’une infirmière libérale

Je pensais naïvement qu'en travaillant comme indépendant j'allais pouvoir être mon propre patron. Je pensais naïvement qu'en étant honnête à 100%, je ne serai jamais ennuyée. Je pensais qu'en étant mon propre patron, j'allais pouvoir investir et créer de l'emploi. Mais voilà.... Rien de cela n'est possible.

Lettre ouverte d'une infirmière libéraleNous, les professions libérales para-médicales, nous avons un numéro Siret et sommes inscrites à l’Urssaf comme n’importe quelle entreprise.
Mais nous, les professions para-médicales, nous n’avons pas le droit de faire développer notre entreprise. “Ils” appellent cela de l’enrichissement personnel” ! (Sic)
S’il y avait de l’enrichissement personnel, ça fait longtemps que je roulerai en Jaguar. S’il y avait de l’enrichissement personnel, j’aurai pas acheté une maison de 80 m2 avec un crédit sur 20 ans !
S’il y avait de l’enrichissement personnel, je prendrai pas des vacances une fois tous les 3 ans !

“Ils” veulent que notre profession disparaisse au profit de maisons médicalisées où nous serions salariés, où au profit des HAD qui paient 1500 €/ mois leurs infirmiers salariés de terrain qui font le même boulot que nous.
“Ils” n’arrêtent pas de nous chercher des poux dans la tête. “Ils” nous disent que nous sommes tous des fraudeurs, mais “ils” sont les premiers à ne pas respecter la loi. Par exemple, la CGSS de la Réunion refuse de donner les cartes de professionnels de santé aux remplaçants, ce qui nous oblige à faire des montagnes de paperasse (à l’heure de l’informatique et d’Internet, c’est un comble !). Ne pouvant télé transmettre les jours travaillés par nos remplaçants, nous faisons des papiers comme au temps longtemps. Et pour nous “punir” (si on ne télétransmet pas on est puni par des indemnités) en plus ils nous paient avec 6 semaines de retard, nous obligeant à faire l’avance d’argent aux remplaçants, ce qui nous laisse 0 € pour nous. Si je dis aux remplaçants “je vous verserai ce que je vous dois quand les caisses m’auront payées”, mes remplaçants iront voir ailleurs !
“Ils” commencent à nous supprimer les indemnités horokilométriques.
La Savoie est le 1er département à subir cela, mais je ne me fais pas d’illusion, ça fera tâche d’huile. J’ai une pensée pour mes collègues de Savoie, des Pyrénées ou de Cilaos qui passent des heures sur la route pour rejoindre les personnes isolées et leur faire leur soin.

Je gagne moins que le SMIC horaire. Vous ne me croyez pas ? Une piqure dans la fesse me rapporte 4,65 €, auquel s’ajoute 2,5 € de frais de déplacement (5 € pour les kinés et 10 € pour les médecins, pour le même trajet il s’entend). Pourquoi ces différences de tarif ? À mes débuts, j’avais une patiente au Butor, avec une piqure par jour à faire entre 17h et 19h (noté sur l’ordonnance bien sûr) en plein dans les embouteillages donc : 30 mn pour y aller, 30 mn pour revenir, le temps de trouver à me garer, le temps de faire le soin, le temps d’attendre la patiente parfois (allo Mme X, je suis devant votre porte mais apparemment vous n’êtes pas chez vous ? Ah ben oui, je suis encore chez Carrefour et il y a la queue aux caisses, attendez-moi j’arrive !) (re-sic) !
Moi contrairement à mes collègues de campagne ou de montagne, je concentre mon activité en ville, j’ai donc moins de trajet à faire. Et pour compenser la faiblesse des gains, j’accumule les heures de travail. Je fais de 70 à 90 h /semaine, sans compter les 10 à 20 h hebdomadaires d’administratifs. Faites le compte. À Noël, j’ai travaillé de 5h à 22 ou 23 h, parfois sans coupure. Sans repos. Mon mari peut témoigner.

Sans vouloir me vanter, mon nom commence à circuler comme étant un cabinet sérieux qui fait des soins de qualité. Je me retrouve à être appelées pour des patients lourds qui demandent une surveillance constante jour et nuit (vous avez bien lu : jour et NUIT : je me déplace la nuit aussi s’il le faut). J’ai 11 à 12 chroniques (ceux du métier comprendront), ça veut dire que avec si peu de patients mais des horaires pareil, ça ne peut être que des soins de qualité. Pour accueillir un 13ème chronique en soins palliatifs qui à lui tout seul mériterait une tournée rien que pour lui, je décide de séparer ma tournée en 2 et de prendre deux autres infirmiers pour travailler avec mon collaborateur et moi.
“Ils” me disent que je n’ai droit qu’à un seul collaborateur et un seul remplaçant, et que ce remplaçant ne peut travailler que si je suis moi-même absente (vacances ou maladie). Donc….soit je refuse tous les nouveaux patients et je renvoie mon remplaçant, soit je m’associe avec eux. On ne me laisse pas le choix.

Est-ce que l’état interdit aux autres entreprises qui touchent des fonds publics (parce que l’excuse qu’on me donne c’est que je suis payée par la sécu = fonds publics) de faire de l’enrichissement personnel ? Ex : les banques renflouées à grand frais par l’état quand elles sont en faillite mais qui ne reversent pas un Kopec quand elles se sont renflouées ?
Est-ce que l’état qui donne de l’argent aux entreprises sous différentes formes (allègement des charges patronales, aides à l’embauche, etc) met le nez dans le choix des patrons quand à leurs choix d’associés ou de collaborateurs ?

“Ils” nous obligent à faire des soins par 1/2 h ou par heure. “Ils” nous contrôlent sévèrement là-dessus. Si je déclare 1/2 h (peux pas faire autrement, il n’y a pas de case 1/4 d’heure à cocher) et que je reste 25 mn, j’ai beau jurer mes grands Dieux que le soin a été bien fait quand même, ils vont me déclarer coupable et me réclamer des indus. J’ai beau prendre l’exemple de la salle de bain (vous mettez combien de temps vous dans votre salle de bain le matin ? Moi 10 mn quand je travaille, ma collègue 45 mn mais on est pourtant toutes les deux aussi propre l’une que l’autre, non ?) je travaille vite, certaines personnes travaillent plus lentement que moi et pourtant le résultat final est le même !
“Ils” nous obligent à une décote des soins. Le 1er payé à 100%, le 2ème à 50% et tous les soins suivants sont gratuits. Si je fais un pansement + une prise de sang + une injection …. Ben voilà, le 1/3 de notre temps est passé à faire des soins gratuitement. Est-ce que l’état demande la même chose aux autres entreprises ? Non !

Pourtant, nous les professions libérales, nous payons un maximum de cotisations et d’impôt. C’est simple, une fois tout déduit, certains mois, je gagne moins que quand j’étais salariée à la clinique (où je travaillais 35 h/semaine).
Ne me plaignez pas, je gagne bien ma vie, parce que j’accumule les heures ! Au détriment de ma vie de couple, de ma vie familiale et de ma vie sociale (un million de merci et toute ma gratitude à mon mari, à mon fils et aux amis qui continuent à m’intégrer à leur cercle même si je refuse leurs invitations la plupart du temps. Mais continuez à m’inviter svp, ça me donne l’impression de ne pas avoir été oubliée).
Alors voilà….. Je pense de plus en plus souvent et de plus en plus sérieusement à raccrocher et à mettre la clé sous la porte. Si je fais ça, sachez que je n’aurai droit ni au chômage, ni aux indemnisations de reconversion (nous les professions libérales, nous cotisons pour…..les autres ! Mais nous n’y avons pas droit).

Et j’attendrai quelques années sans salaire (mais pas sans payer : quand on arrête, “ils” nous obligent à continuer de cotiser à l’Urssaf et à la caisse de retraite encore pendant 2 ans) j’attendrai suffisamment longtemps pour avoir enfin droit au RMI (ah non, on dit RSA maintenant). En discutant avec mes collègues, je constate que nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir raccrocher.

Alors…. Si nous finissons toutes et tous soit par fermer nos cabinets pour redevenir salariés mal payés, ou retraités ou chômeurs, il n’y aura plus personne pour cotiser et payer des impôts.

Et en tant que retraitée ou chômeuse, je clamerai haut et fort que je veux un revenu universel, mais s’il n’y a plus personne pour payer, d’où viendra l’argent ? Sûrement pas des entreprises énormes tel Total qui fait des bénéfices mirobolants et qui paie quasiment pas d’impôt en France !

À vous, citoyens, patients, familles de patients, à vous de vous mobiliser maintenant si vous voulez garder et maintenir vos acquis sociaux dans le Medical et le para-médical, si vous voulez un système de soins de qualité en France, si vous refusez un système à 2 vitesses (un pour les riches et rien pour les pauvres).

Rédaction Actusoins


51 réactions

  1. Bravo pour cette lettre qui résume ça . elle seule notre réalité professionnelle.

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    1. Bravo collègue, bravo. Tu as raison d’écrire, mais malheureusement cela ne servira à rien. Nos politiques n’ont rien à foutre de notre situation. Seule la méthode forte et dure arriverait à nous faire entendre. Nous sommes des centaine de milliers d’infirmiers/ères en France, alors qu’attendons nous?!! Immobilisons la France entière pendant 48 heures ou plus …! en laissant nos patients soit avec leurs familles ou en les renvoyant à l’hôpital, BASTA. De plus, pourquoi on s’emmerde avec les Caisses ! Nous sommes pas obligés à être conventionnés, nous devions tous sortir de ce conventionnement et pratiquer des honoraires libres ! LE COMBAT C’EST MAINTENANT.

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      1. Et les ide hospitalieres revent de quitter les structures pour faire du domicile…

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        1. Ca me deprime…

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          1. Mega extra like..je suis pas liberale ni remplacante mais juste le faite d étre une simple infirmiere j ai envie d abandoner..et je vous promet que ca s arrette pas la..avec l evolution il faut etre formee non stop

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          2. Malheureusement une très bon résumé des conditions des infirmiers libéraux. C’est triste, vraiment triste.

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    2. Bonjour, je me permets de te demander dans quel domaine tu te reconvertis? Et surtout comment tu fais par rapport à nos amis communs Urssaf carpimko & Co, j’envisage également de fermer boutique mais je ne sais pas par quel bout commencer

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  2. merci pour les conseils, je suis en train de faire un bilan de compétences car j’envisage de changer totalement de métier ………. ou l’infirmière d’entreprise peut être ça me tente. je me posais les mêmes questions, j’avais bien envisagé de diminuer mes revenus l’année de l’arrêt, par contre l’arrêt en fin de trimestre je n’y aurai pas songé. pourquoi d’ailleurs?

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  3. Pareil pr les ide a l hopital
    10e de plus par garde de 10h on vit plus on survit .
    Dès collègues en difficultés précarité
    Faut pas pousser le bouchon ..

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  4. ce degola

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