« On connaît bien la notion de patient expert mais il y a un préalable, le patient partenaire », affirme Thérèse Psiuk, auteure avec le Dr Hugues Lefort du livre « Patient expert, patient partenaire. De l’accompagnement à l’autonomie » (Vuibert, 2019).
Le sujet tient beaucoup à cœur à cette ancienne infirmière, directrice des soins à la retraite toujours très active. Elle est en effet membre du comité de pilotage d’un master « Coordination des trajectoires en santé, à Lille. Elle fait aussi partie du groupe d’experts réunis par l’Agence nationale pour l’appui à la performance (ANAP) pour travailler sur le développement du numérique, les parcours de soins et les chemins cliniques en santé.
Raisonnement clinique partagé
« Je travaille depuis longtemps sur le raisonnement clinique, souligne-t-elle, et je me suis intéressée de plus en plus à la notion de raisonnement clinique partagé, entre professionnels de secteurs différents – sanitaire et médicosocial – mais aussi entre professionnels de métiers différents concernés par les chemins cliniques. J’ai naturellement intégré les patients et les proches aidants dans ce raisonnement clinique partagé. »
Les patients experts, qui peuvent suivre désormais des formations, par exemple à l’Université des patients, s’ancrent progressivement dans les services. Leur expertise est même de plus en plus recherchée. « Alors quand nous avons commencé à écrire ce livre, poursuit sa co-autrice, nous avons voulu intégrer la notion de patient partenaire », sorte d’étape intermédiaire en le patient « ordinaire », plutôt passif, et le patient expert. Une notion qui modifie profondément la relation soignant-soigné.
Il ne s’agit aucunement de remettre en cause l’utilité, la pertinence et la qualité des connaissances et de l’expertise des professionnels de santé, insiste Thérèse Psiuk, mais de montrer qu’un changement dans la façon de prendre en compte l’expérience des patients impacte positivement la qualité de leur prise en charge et donc leur santé. L’expérience des uns et l’expertise des autres sont « complémentaires », explique-t-elle.
Médecine narrative
Avec le Dr Lefort, elle insiste sur un moyen qu’ils estiment très efficace pour y parvenir : adopter la démarche de la médecine narrative. « Cela consiste à toujours partir du patient, qui raconte son histoire, et non d’un simple recueil de données, explique l’autrice. On donne d’abord au patient la position haute dans la relation en lui demandant par exemple : “comment ça se passe depuis notre dernière rencontre ?” . » Le patient raconte, évoque ses symptômes, puis le soignant reprend la position haute pour analyser la situation.
Il peut ensuite, éventuellement, redonner cette position au patient en évoquant avec lui différentes options thérapeutiques et en lui proposant de s’associer à son choix. Les patients peuvent aussi devenir des « partenaires dans la construction des chemins cliniques qui correspondent à leur pathologie, la BPCO, par exemple », ajoute Thérèse Psiuk.
Peu à peu, ces patients partenaires cheminent vers plus d’autonomie… Et les professionnels de santé vont pouvoir baser leurs décisions thérapeutiques sur un éventail d’informations cliniques bien plus large -et utiles même pour la recherche – que les seuls résultats d’examens. Ils pourront aussi tirer des conclusions des retours que leur feront les patients (le feedback).
Un virage à ne pas rater
Ce changement de posture des soignants vis-à-vis des patients peut certes paraître compliqué à opérer aux yeux de certains. « C’est vrai, cela prend plus de temps d’écouter le patient raconter son histoire et de discuter avec lui, reconnaît l’autrice. Certains délaient un peu. Mais on peut peut-être adapter les organisations pour le favoriser car cela fait gagner du temps au final. » Surtout, insiste-t-elle, il faudrait davantage former les professionnels à cette approche, qui constitue « une sorte de révolution ».
Les conférences sur le sujet se multiplient – elle en anime d’ailleurs – mais avec le Dr Lefort elle préconise de l’enseigner dès la formation initiale des soignants. La formation à cette approche permet en effet de décrypter le positionnement de certains patients par rapport à leur problématique de santé, comme le « coping » vigilant ou évitant, les postures de fuite ou de déni… Et de mettre ces compétences en œuvre dans un accompagnement du patient vers davantage d’autonomie et de confiance mutuelle.
Tous les patients ne sont peut-être pas prêts à devenir des patients partenaires mais selon Thérèse Pisuk, ils sont de plus en plus demandeurs. La place croissante qu’occupe le numérique dans la santé des usagers du système de soins y contribue.
Pour la co-autrice du livre, « il y a un domaine dans lequel il ne faut pas rater ce virage, c’est celui de la chirurgie ambulatoire, en particulier dans la réhabilitaiton améliorée après chirurgie (RAC), si on veut que le patient soit acteur dans les suites opératoires ». Idem en oncologie, dans la prise en charge des patients maladies chroniques ou des personnes âgées, de plus en plus nombreuses. Pour Thérèse Psiuk, les personnes en relation fréquemment et sur le long terme avec le système de soin ont autant à y gagner que celles qui ne le sont que très ponctuellement. Tous les patients, en somme.
Géraldine Langlois
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