Infirmier et expert judiciaire : une mission pour passionnés

Infirmier et expert judiciaire : une mission pour passionnés

Ils sont environ une quinzaine d’infirmiers libéraux ou hospitaliers à remplir cette fonction en France. L’expertise judiciaire, ouverte aux paramédicaux depuis 2005, leur permet d’éclairer un magistrat avant qu’il ne prenne une décision de justice impliquant un infirmier 
Véronique Le Boucher d’Hérouville, cadre de santé infirmier à l’hôpital des Diaconesses à Paris et infirmière experte judiciaire depuis 2008
©Pascal Vo. Véronique Le Boucher d’Hérouville, cadre de santé à l’hôpital des Diaconesses à Paris et experte judiciaire depuis 2008

Dossier à remplir auprès du greffe du TGI, lettre de motivation, justifier d’une carrière solide : un infirmier ne devient pas expert judiciaire d’un claquement de doigt «Une infirmière sortant tout juste de l’école ne peut pas faire cette demande », souligne Marylène Guingouain, directrice des soins à l’AP-HP et experte judiciaire depuis 2008.

Il faut disposer d’une forte expérience et d’une bonne connaissance de l’hôpital ou de la pratique professionnelle libérale pour postuler. « Il faut aussi avoir suivi une formation sur l’expertise judiciaire qui permet de connaître la procédure », explique l’infirmière titulaire d’un Diplôme universitaire Droit, expertise et soins.  

Et une fois nommé, ajoute Véronique Le Boucher d’Hérouville, cadre de santé à l’hôpital des Diaconesses à Paris et présidente de la Compagnie nationale des experts judiciaires professionnels de santé autres que médecins, « il faut se former au sein de la compagnie (lire encadré) pour pouvoir être renouvelé dans ses fonctions. Les magistrats sont très vigilants sur le fait que nous suivions nos formations et que nous nous maintenions à niveau. » Véronique Le Boucher d’Hérouville est experte judiciaire depuis 2008 et également titulaire du DU Droit, expertise et soins. 

Eclairer le juge 

« L’expert, ajoute-t-elle, doit apporter des éléments pour éclairer une problématique que le juge ne peut pas résoudre lui-même. Il lui faut donc être très factuel ». Il peut s’agir d’une affaire pénale, civile ou administrative qui implique des infirmiers et l’organisation des soins, par exemple un infirmier mis en cause pour une erreur dans l’administration d’un médicament ou accusé de fraude.

L’infirmier expert judiciaire mène alors une expertise qui n’est ni à charge, ni à décharge. « Il ne juge pas de la culpabilité de l’infirmier mais cherche à savoir ce qui s’est passé et si ses actes sont conformes ou non aux bonnes pratiques », rapporte Marylène Guingouain.  

Pendant la procédure, les experts judiciaires échangent avec le magistrat, généralement par écrit, et l’informent de l’état d’avancement de l’expertise pour laquelle ils ont généralement entre trois et six mois de travail et lui adresse un rapport final.

Les infirmiers peuvent également être sollicités pour participer à des co-expertises, par exemple avec un médecin « car en tant qu’infirmière, je n’ai pas la compétence pour dire si un médicament peut être la cause du décès d’une personne », fait savoir cette directrice des soins. Il leur est aussi possible de demander au juge l’aide de sapiteurs ou de sachants pour être eux-mêmes éclairés sur certains points.  

De nombreuses infirmières souhaitent devenir expert judiciaire mais « il ne faut pas le faire pour arrondir ses fins de mois, met en garde Véronique Le Boucher d’Hérouville, qui l’est devenu par passion du droit. Il s’agit d’une fonction qui prend du temps, qui demande de se documenter, de rédiger des rapports et qui se déroule en dehors des jours de travail. »  

Il ne s’agit en aucun cas d’un métier en soi, l’infirmier doit avoir un exercice professionnel en parallèle ainsi que l’autorisation de son employeur, même si l’expertise est effectuée en dehors des heures de travail. Les experts judiciaires sont rémunérés avec des honoraires fixés par le juge qui les a désignés, sauf en matière pénale, où la rémunération est réglementée.  

Manque d’expertises 

C’est à la suite du procès Trousseau, en 2003, que Marylène Guingouain a souhaité devenir experte judiciaire, après avoir constaté, dans les attendus du jugement, que les magistrats étaient étrangers à l’organisation hospitalière et aux actes infirmiers. Depuis 2008, elle n’a été nommée que pour six procès, en pénal.

Pourtant « je sais qu’il y a des procès pour lesquels il n’y a pas eu d’expertises infirmières alors que cela aurait pu être nécessaire », estime-t-elle. Pour le moment, ces infirmières expertes judiciaires sont encore trop peu sollicitées, car « nous commençons seulement à nous faire connaître, explique Véronique Le Boucher d’Hérouville, qui est intervenue en tant qu’experte dans des procès pour fraude devant le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS). De fait, les magistrats qui n’ont pas encore la connaissance de notre existence, nomment des médecins pour des expertises qui relèvent du rôle de l’infirmier. »

C’est un peu antinomique car des infirmiers continuent d’être nommés experts. « Il faut avoir mis un pied dans le système pour être connu des magistrats, reconnaît-elle. Il faut passer cette barrière, d’autant plus que les procès impliquant des infirmiers ne sont pas fréquents. C’est un long chemin à parcourir. »  

Laure Martin 

Actusoins magazine infirmierCet article est paru dans le numéro 20 du ActuSoins magazine 
(mars /avril /mai 2016).

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Les compagnies d’experts  

En fonction des métiers, les experts judiciaires sont affiliés à des rubriques. Pour les auxiliaires réglementés – les paramédicaux – il s’agit de la rubrique F08.02. « Plutôt que d’avoir une compagnie par profession paramédicale, nous avons décidé en 2009 de ne former qu’une seule compagnie d’auxiliaires réglementés, la Compagnie nationale des experts judiciaires professionnels de santé autres que médecins, qui fait partie de la Compagnie nationale des experts judiciaires », indique Véronique Le Boucher d’Hérouville, qui en est la présidente. Ils organisent des symposiums, des formations, se retrouvent entre pairs et s’entraident en cas de difficultés lors d’une expertise.   

Pour plus d’informations : contact@cnejps.fr et le site: www.cnejps.fr 

 

La nomination  

Un professionnel qui souhaite s’inscrire sur une liste d’experts judiciaires dressée par la cour d’appel doit envoyer une demande au procureur de la République près le tribunal de grande instance dans le ressort duquel il exerce son activité professionnelle ou possède sa résidence, avant le 1er mars de chaque année pour les inscriptions à valoir l’année suivante. Cette demande doit être faite sous forme de lettre et en annexe doivent figurer un curriculum vitae, un extrait du casier judiciaire, une copie des diplômes présentés à l’appui de la demande, les travaux déjà effectués dans les spécialités concernées et toute pièce permettant d’apprécier ses compétences. Lors de sa première inscription, l’expert prête serment devant la cour d’appel. L’inscription est faite à titre probatoire pour trois ans, au terme desquels l’expérience de l’intéressé et l’acquisition des connaissances juridiques nécessaires au bon accomplissement de ses missions sont évaluées. Chaque réinscription est ensuite renouvelée pour cinq ans. 

 

 

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