Cet article a initialement été publié dans le n°42 d’ActuSoins Magazine (septembre-octobre-novembre 2021). Il est à présent en accès libre.
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La lumière est rasante au petit matin sur la structure d’addictologie de Montperrin, située légèrement à l’écart du reste du centre hospitalier. Un couple, surement des proches d’un patient, attendent devant le portail automatisé.
C’est un rythme singulier qui se joue ici, basé à la fois sur le temps long et sur l’urgence de s’en sortir. Le personnel soignant y reçoit des « addicts ». À l’alcool pour la grande la majorité, mais aussi à des substances illicites, comme la cocaïne ou le cannabis. Parfois, tout cela en même temps.
Divisée en deux espaces, la structure a la capacité́ d’accueillir une vingtaine de patients dans l’unité́ temps plein, dédiée aux sevrages et à une prise en charge complète pouvant aller jusqu’à plusieurs semaines, ainsi qu’une centaine de patients en hôpital de jour pour un suivi quotidien au long cours. Deux types d’approches sont pratiquées, presque deux écoles de pensées qui s’apprivoisent mutuellement : l’abstinence et la réduction des risques qui implique une maitrise de la consommation. « Nous sommes là pour des maladies chroniques et récidivantes » explique Magali, infirmière depuis sept ans dans l’unité de jour. L’abstinence est l’objectif principal afin d’en finir avec le produit. Mais parfois une réduction de la consommation est envisageable. Elle s’accompagne alors d’un traitement que nous appelons anti-craving, comme le Baclofène par exemple qui aide à prévenir le besoin impérieux de consommer ».
Si les médecins, en consultation ambulatoire ou au moment de la prise en charge, déterminent le projet de soins du patient, il n’est pas rare qu’ils s’appuient sur l’expertise des infirmiers de l’unité de jour pour établir un programme adapté au profil. « Nous avons une marge de manœuvre intéressante » souligne Gérard, infirmier dans le service depuis trente ans.
« Nous sommes acteurs de ce qui se passe dans la structure, les médecins nous font confiance et on arrive bien à communiquer », affirme Gérard, qui s’apprête à animer son groupe de parole de la matinée.
La parole : colonne vertébrale de la guérison
En petit comité (deux patients pour cette session), chacun commence par se présenter. Vincent est professeur d’histoire-géo. La naissance de sa fille associée à trop de responsabilités et d’exigences envers lui-même, déclenche chez lui une dépression. Il perd confiance. Il se met à boire, puis c’est l’engrenage : divorce, dépression, alcool, perte de la garde de sa fille… A 44 ans, il décide de se faire prendre en charge.
Samuel, lui, est rescapé d’un long parcours douloureux. Face à un père violent, il s’échappe grâce à l’alcool. Il ne boit plus depuis 2006 mais continue de venir car il se sait fragile, comme sur un fil, pour le reste de sa vie.
Deux profils, deux histoires différentes que Gérard écoute patiemment. Il rebondit, interpelle, évite les écueils trop faciles et met en avant ce qu’il appelle « l’obligation d’éducation thérapeutique ». Car c’est bien là que se situe la véritable force de la structure, dans les modules d’accompagnement proposés chaque jour par les équipes.
« Un atelier est l’opportunité́ de créer un groupe pour aborder le personnel sans entrer dans l’intime, précise Gérard. On redonne du sens à la parole lorsque bien souvent celle-ci a perdue toute crédibilité́, notamment dans la cellule familiale ».
« Sans eux, je ne sortirai pas de chez moi. Je repars content d’être venu, d’avoir fait quelque chose, de m’être nourri de nouvelles choses », souligne Samuel. L’équilibre est fragile : il avoue avoir développé à nouveau une addiction, après plus de quinze ans d’abstinence, suite à un bain de bouche, prescrit pour un abcès dentaire. Une « glissade » vite stoppée grâce à la vigilance et au savoir-faire d’une infirmière du service, Sophie, qui a réussi à conclure à temps « un deal » avec lui. « J’ai arrêté́ grâce à cela » confie-t-il.
Dans l’unité temps plein
Autre ambiance, du coté́ de l’unité temps plein, mais même approche. Corinne, infirmière depuis quatorze ans prend son service à six heures. Les patients, qui ont souvent beaucoup de mal à trouver le sommeil, se réveillent peu à peu ou se lèvent après une énième nuit blanche
Leurs chambres sont toutes identiques, sauf la 23 qui est médicalisée pour les sevrages difficiles ou accompagnés de pathologies additionnelles. A 7 h 15, ils sont une vingtaine à venir prendre leurs médicaments. Enfin… ceux qui peuvent se lever.
Un patient notamment est trop faible. Jérémy en est à son cinquième jour de sevrage. Il ne mange pas, tremble, il est fortement amaigri. La priorité́ pour le personnel, c’est d’hydrater ce jeune homme d’à peine trente ans. L’hydratation est capitale dans le processus, vitale même car le delirium peut conduire à la mort.
Dans ce service, en plus des trois médecins addictologues, il y a deux médecins généralistes, 14 infirmiers, trois aides-soignants et cinq ASH. Tous œuvrent à appliquer le projet de soin déterminé à l’arrivée du patient. Un projet qui se veut personnalisé, tant chaque situation est singulière.
Et lorsqu’un patient sort de cure, un autre arrive. Les hospitalisations sont prévues à l’avance. La demande est forte, encore plus avec la crise de la Covid qui a, de plus, réduit la jauge des places disponibles.
Bertrand, 48 ans, est ainsi accueilli par Valérie, infirmière. Il a les mains qui tremblent. Sa dernière consommation d’alcool remonte à la veille au soir. Samia, aide-soignante, et Alizée, étudiante, l’accompagnent dans sa chambre, équipée d’un lit et d’un bureau, face à un grand olivier. Il y passera les quinze prochains jours. « J’ai mes cordes de guitares » informe-t-il. Du fait de son profil, il a été autorisé exceptionnellement à amener sa guitare. En jouer sera un atout pour traverser le chemin qui l’attend après trente ans d’alcoolisme. Corinne prend le relais et réalise le test PCR d’arrivée, puis repart en s’exaspérant dans le couloir :« mettez vos masques s’il vous plait ! Satané virus… ».
Des projets de soin personnalisés
Qui dit projet personnalisé dit écoute et adaptabilité́. Des choses qui ne s’apprennent pas toujours à l’Ifsi. Le manque de formation et de transmission est pointé du doigt par l’ensemble des soignants. « Nous sommes sur de la psychiatrie de guerre, il faut gérer l’urgence, analyse Sophie. D’autant que les patients sont de plus en plus jeunes et polytoxicomanes. La démocratisation de la prise en charge est intervenue en même temps que l’augmentation du nombre de personnes touchées par l’addiction. Nous voyons bien que le niveau social s’est dégradé́. Les facteurs sociaux sont plus présents alors qu’avant la cause venait plus de l’habitude, surtout en ce qui concerne l’alcool. C’est la seule drogue accessible en supermarché́, et cela touche tous les milieux. On est souvent très loin de l’image du pilier de bar ! ».
Gérard confirme : « L’offre de soin s’est considérablement élargie et il faut cinq ans pour être bien formé à l’addicto ». Il s’agit d’un travail de longue haleine et d’un suivi de longue durée, parfois sur toute une vie.
Comme pour Isabelle, prise en charge depuis le jour de ses vingt-cinq ans. Elle est désormais grand-mère depuis quinze jours et raconte comment les soignants lui ont sauvé́ la vie : « Ils m’ont connu jeune, enceinte, amoureuse ou avec le cœur brisé. C’est presque une seconde famille ».
Apprendre… du patient
« Il faut partir du principe qu’on ne sait rien et que c’est le patient qui va tout nous apprendre. C’est lui qui sait et nous accompagne. L’addiction n’est pas vraiment enseignée dans le parcours infirmier. Il faut rester humble devant cette pathologie très complexe. Cela demande du temps de comprendre tout cela », estime Florence, infirmière depuis vingt-cinq ans au service temps plein. Magali, infirmière en charge des modules d’art-thérapie, s’est lancée dans un DU Addiction. « Je suis tombée amoureuse du service. C’est très riche. Les patients se battent contre un truc culturel, familial. Ils se bagarrent et on les accompagne dans cette bataille ».
Un réapprentissage global est ainsi nécessaire, souligne Valérie, arrivée il y a un an au temps plein : « Bien-sûr, cela reste des hospitalisations. Mais pour autant, il m’a fallu un mois complet simplement pour apprendre et comprendre le temps lent ».
Humilité́, autonomie, écoute, gestion du transfert des émotions et reconsidération du temps sont placés au cœur des métiers de l’addictologie pour faire de cette structure un refuge, tant pour les patients que pour les soignants. « C’est un point de repère, sa disparition nous mettrait en danger » avoue Samuel.
A la fin de la journée, Isabelle, la patiente au long cours et tout le groupe de l’hôpital de jour, accompagnés par Magali, se dirigent vers l’atelier d’art. Au programme, un travail sur les formes et la couleur inspiré de Kandinsky, à la suite d’une visite aux Carrières de lumière des Baux de Provence. Sur la pelouse à l’extérieur du bâtiment, alors que le soleil passe derrière l’horizon, un petit groupe de l’unité́ temps plein se réunit pour prendre un peu l’air et discuter ensemble. Isabelle ramasse un trèfle à sept feuilles. « C’est très rare, je n’en vois qu’ici. C’est comme un signe de porte-bonheur ».
Orianne Olive
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