« Le fait de ne pas être totalement intégrés à l’Université a laissé des flous juridiques et une certaine place à l’inconnu dans l’organisation des études des ESI pendant la crise sanitaire », regrette Bleuenn Laot, présidente de la Fnesi. Conséquence : les ESI payent le prix fort sur l’organisation de leur formation.
Une grande majorité d’entre eux ont vu leurs stages annulés, d’autres ont été réquisitionnés et certains ont accompli, pendant leurs stages, un travail d’aide-soignant sans, pour autant, être rémunérés pour cette fonction. Cas plus extrême : « lors de la première vague, 5 % des ESI ont exercé comme faisant-fonction infirmier, révèle Bleuenn Laot. Les cadres de santé n’ont pas assez d’infirmiers dans leur service et font face à des consignes des directions. Côté étudiants, on leur amène cette demande comme une marque de confiance, ils peuvent alors rarement refuser. Mais, dans la réalité, ils se retrouvent seuls à gérer des patients et, en cas de problème, la responsabilité est partagée. Certains ESI, une fois diplômés, nous ont contacté de manière anonyme pour nous dire qu’ils avaient commis des erreurs, couvertes par les directions. Ils ont besoin de vider leur sac car on leur a demandé de ne rien dire. »
Des suspensions de formation
Le ministère de la Santé a publié le 30 décembre 2020 [article paru en mars 2021, ndlr] un arrêté relatif à l’adaptation des modalités d’admission, aux aménagements de formation et à la procédure de délivrance de diplômes ou titres de certaines formations en santé dans le cadre de la crise sanitaire. Concernant les ESI, l’arrêté prévoit une possibilité d’une suspension de la formation de deux semaines, renouvelable une fois.
« C’est dangereux, car aucun critère ne cadre cette suspension, regrette la présidente de la FNESI. Il aurait été appréciable que l’arrêté précise les situations pour lesquelles la formation peut être interrompue. » De même que l’article 23 de l’arrêté prévoit que les ESI ayant validé la première année de formation peuvent être employés à temps partiel ou complet pour des activités d’aide-soignant, « mais là aussi il n’y a aucun cadrage dans le temps », ajoute-t-elle.
« Le ministère ainsi que les Agences régionales de santé (ARS) voient 96 000 ESI mobilisables, répartis sur l’ensemble du territoire, poursuit-elle. Finalement, nous ne sommes ″que″ des ESI et nous n’avons pas notre mot à dire. C’est facile de nous faire croire que c’est de la réquisition. Si c’était vraiment le cas, nous aurions été payés pour faire le travail qu’on nous a demandé. »
Bleuenn Laot regrette également que les tutelles ne soient que dans l’action et la réaction, sans aucune prévision sur le long terme. « Comment allons-nous faire en juillet avec des promotions qui n’auront accompli que des actes d’aide-soignant au lieu d’avoir bénéficié d’une formation en soins infirmiers, se demande-t-elle. Cela va mettre les patients en danger. »
La difficulté des cours en distanciel
D’autant plus, qu’à cette problématique de stage s’ajoute une modification du déroulement de la formation théorique – comme pour tous les autres étudiants – avec la mise en place de cours en distanciel. « La mise en œuvre a été compliquée car nos formateurs ne sont pas tous formés au distanciel, indique Bleuenn Laot. Dans certains Ifsi, l’accès aux espaces numériques des universités n’est pas opérationnel. »
« Nos formateurs ont la volonté de bien nous former, reconnaît Maxime, ESI à Strasbourg. Mais certains font face à de vraies difficultés dans la gestion des outils numériques. » Et c’est sans parler des ESI qui n’ont pas d’accès à Internet… Ils sont aujourd’hui nombreux à ressentir une certaine lassitude et la baisse de motivation est réelle. « C’est compliqué de se lever tous les matins en sachant qu’on va être en visioconférence toute la journée, avec l’impossibilité parfois de mettre la caméra car cela va faire bugger la connexion, donne en exemple la présidente de la Fnesi. Cela pèse sur le moral. »
Léa, ESI à l’Ifsi d’Evreux, serait prête à redoubler pour refaire une troisième année en présentiel. « Certains ESI vivent très bien le distanciel, mais moi j’ai besoin de parler, d’échanger, d’aller prendre des idées à droite et à gauche, et cela me manque », admet-elle. Idem pour Lola, ESI à l’Ifsi d’Amiens : « Tous nos cours sont préenregistrés. On ne peut donc pas poser de questions en direct et les interactions sociales nous manquent car seuls quelques TD sont maintenus. »
Dans l’Ifsi de Pauline, tous les ESI sont en distanciel, ce qui est « générateur d’isolement social, de détresse psychologique et parfois d’échec scolaire puisque certains ont des difficultés à travailler tout seul », indique-t-elle. L’intimité relationnelle et tous les échanges informels qui participent à la construction de la profession n’existent plus.
« Les ESI reconnaissent que nous faisons tout notre possible, souligne Florence Girard, présidente de l’Andep. Mais ce qui leur manque, c’est cette dynamique. » « Les formateurs se sont vraiment mobilisés pour éviter le décrochage des étudiants, ajoute Michèle Appelshaeuser, présidente du Cefiec. Ils se sont auto-formés, ils sont très créatifs. Nous avons effectué des refontes concernant les enseignements, les moyens pédagogiques et les méthodes pour réussir à captiver les ESI. »
Une inquiétude sur la valeur du diplôme
L’impact de la crise sur leur formation inquiète aussi les ESI qui craignent une baisse de la valeur de leur diplôme et d’être étiquetés « promotion covid ». « J’ai été diplômée en juillet 2020 et j’ai déjà eu des petits pics à ce sujet, reconnaît Bleuenn Laot. Donc pour ceux qui vont être diplômés en 2021, c’est une crainte encore plus forte car il y a toute une partie de la formation dont ils n’auront pas bénéficié. Je pense qu’on va rester toute notre vie de soignant, la ″promotion-covid″. »
« Certains ESI essayent d’ailleurs de s’en protéger, poursuit-elle. Nous constatons une recrudescence des arrêts dans la formation pour reprendre plus tard. » Si c’est dans les trois ans, ils peuvent garder leurs notes, mais entre trois à cinq ans d’arrêt, ils reprennent en première année.
De son côté, Pauline s’inquiète pour tous les cours qu’elle n’a pas eus : « Les formateurs tentent de nous rassurer en nous disant qu’on ne sera pas interrogés sur ces sujets lors des partiels, mais ce n’est pas ce qui nous inquiète ! Nous sommes préoccupés par l’absence de formation sur des pathologies que nous allons devoir prendre en charge dans l’exercice de notre métier. »
De même, Léa s’interroge sur l’acquisition de compétences. « Mes cours, je les apprends, mais comme nous faisons peu de présentiel, comment puis-je savoir si je les ai compris ? J’ai peur de ne pas savoir faire le lien entre le virtuel et le réel. » Ce n’est pas le cas de Lola qui considère être bien entourée et bien formée : « Mon Ifsi nous a également proposés d’être diplômés en décembre au lieu de juin, pour bénéficier d’un stage supplémentaire si on le souhaite »,précise-t-elle.
Florence Girard reste optimiste et espère que la valeur du diplôme ne pâtira pas de la situation car « les ESI n’en sont pas responsables et les équipes pédagogiques ont tout mis en œuvre pour dispenser la formation. En outre, les stages existent toujours. Malgré tout, c’est un apprentissage. » D’ailleurs, assez paradoxalement, « nous n’avons jamais eu autant de reconnaissance de la part des soignants, rapporte Lola. Ils nous disent qu’on a beaucoup de courage. Les équipes sont assez compréhensives. »
La gestion du stress post-crise
Les ESI auraient également souhaité un plan de soutien psychologique. « A l’Ifsi, nous avons eu un cours avec une psychologue qui nous a fait faire un quizz, témoigne Léa. A partir d’un certain pourcentage, nous étions encouragés à consulter un psychologue. J’ai eu un résultat de 84 % pour le stress post traumatique et 70 % pour le burn out. Ces résultats sont liés au stage, à l’ambiance générale, au manque de sommeil. On se sent impuissant. »
Le soir, en rentrant chez elle, Léa s’est longtemps remémorée ses journées passées dans les services pendant la crise et sa prise en soins. « Une patiente a été hospitalisée pour une broutille, mais elle a fait un AVC pendant son hospitalisation. Son état s’est dégradé et elle est décédée, toute seule, en raison de la Covid. Elle me disait que je lui faisais penser à sa petite fille. Je lui ai beaucoup parlé et j’ai été très affectée par le fait que les patients décèdent tous seuls… C’est difficile de couper entre le personnel et le professionnel. La patiente est décédée en mai et j’y pense encore. Je me demande si j’ai été assez présente pour elle. »
« Pendant la crise sanitaire, je suis intervenue en renfort à l’hôpital, témoigne Lisa, ESI en troisième année à Amiens. En trois semaines, j’ai eu dix-huit décès et j’ai fait des mises en bière dans les chambres. Je n’étais pas prête. Pendant mes temps de trajet pour aller au stage, je pleurais toutes mes larmes. »
Pour répondre à la détresse psychique des étudiants affectés par les difficultés liées à la crise sanitaire, le président de la République a annoncé le 21 janvier la mise en place d’un « chèque psy », à savoir un accès à un soutien psychologique ou psychiatrique soumis à prescription via un parcours gratuit sans limite du nombre de consultations.
Laure Martin
Cet article a été publié dans le n°40 d’ActuSoins Magazine (mars – avril – mai 2021)
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