Affaire Benyettou, des questions (et quelques réponses) sur la profession d’infirmier.

Affaire Benyettou, des questions (et quelques réponses) sur la profession d’infirmier.

La formation en soins infirmiers, dans un IFSI de l’AP/HP, de Farid Benyettou, ancien mentor des frères Kouachi, condamné en 2008 à six ans de prison pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, émeut la profession et pose de nombreuses questions. 

Affaire Benyettou, des questions (et quelques réponses) sur la profession d'infirmierPeut on être entrer en Ifsi avec un casier judiciaire?

Nous avons contacté deux directrices d’IFSI (institut de formation en Soins Infirmier) dans le sud ouest. Leur réponse est très nette : non le casier ne fait pas partie du “référentiel de formation” à fournir lors de l’entrée d’un étudiant infirmier. Du moment qu’il a son concours, personne ne peut donc s’opposer à l’entrée d’un élève en IFSI.

Cependant une des deux directrices continue à le demander “par habitude et puis parce que certains lieux de stage comme les hôpitaux militaires ou certaines entreprises (ndlr la Société Nationale des Poudre et Explosif par exemple) le demande pour accueillir des étudiants en stage, donc nous le demandons à tout le monde en début de scolarité“. La seconde, n’ayant pas de lieu de stage qui l’exigent, ne le demande pas “nous ne sommes pas force de police, ce n’est pas à nous de décider qui peut ou non entrer à l’école sinon on pourrait nous accuser d’appliquer des lois à géométrie variable!“. Cependant elles reconnaissent aujourd’hui toutes les deux “qu’il y a une faille dans le système” et que certaines questions sont à se poser.

Peut-on travailler comme infirmier avec un casier judiciaire ?

Plusieurs articles du code de procédure pénale (776) et du code de la santé publique ( L 792) stipulent que l’établissement publics et les ordres professionnels peuvent demander l’accès au bulletin n°2 du casier judiciaire d’une personne.

Cependant, un employeur privé ne peut pas exiger le casier judiciaire d’un candidat, même si de certains établissements privés et les sociétés d’intérim paramédical demandent le bulletin n°3. Le seul référentiel pour un employeur privé quant à la “moralité” de son futur employé infirmier est donc son inscription à l’ordre. Contactés par nos soins, deux représentants régionaux de l’ordre mentionnent que “c’est l’occasion de rappeler que l’inscription à l’ordre est obligatoire, notamment pour régler ce genre de questions. Sans inscription à l’ordre l’employeur n’a aucune garantie sur le passé et sur la moralité de l’infirmier qu’il vient d’embaucher“. Ils précisent aussi que “nous vérifions vraiment les casiers et certains infirmiers on déjà été entendus suite à des condamnations pour délit routier plus ou moins grave ».

La profession infirmière est elle un métier comme un autre?

Martin Hirsch, président de l’AP/HP (Assistance Publique/ Hôpitaux de Paris) et Véronique Marin la Meslée, directrice de l’Institut de formation en soins infirmiers qui forme Farid Benyettou, dans l’interview qu’ils ont accordé à ActuSoins, assument pleinement leur choix de former quelqu’un condamné par le passé: ” les lois de la République prévoient que des personnes qui ont été jugées, ont effectué leurs peines, puissent se réinsérer, se réhabiliter“.

Cependant ils s’empressent de préciser aussi qu’ils distinguent “les modalités d’entrée en IFSI et celles nécessaires pour être recruté dans la fonction publique hospitalière. Il savait très certainement en entrant qu’il ne pourrait ensuite prétendre à travailler dans un hôpital“.

La direction de l’AP HP précise enfin qu’”une condamnation portée sur le casier judiciaire interdit d’être recruté sur un emploi public, mais sans interdire de passer le diplôme, qui peut être valorisé dans d’autres lieux d’exercice que les établissements publics“. Martin Hirsch enfin élargi le débat “Doit-on interdire l’entrée en IFSI dès lors qu’un casier judiciaire n’est pas vierge, même s’il s’agit de faits passés et qui peuvent être mineurs ?“.

C’est ce positionnement qui étonne la profession toute entière : comment prôner l’intégration des personnes avec un casier, tout en refusant ensuite de lui proposer un poste dans son propre établissement. La réinsertion serait donc la tâche des entreprises privées ?

Et les autres lieux d’exercice vers lesquels M. Hirsch renvoie donc les infirmiers avec casier sont nombreux : cliniques Ehpad… Les infirmiers scolaires sont dans les écoles ou dans les centres de loisirs, les infirmiers de santé au travail sont dans toutes les entreprises y compris dans les aéroports, dans les banques, dans les centre commerciaux etc… Et les infirmiers libéraux sont seuls, quotidiennement au chevet de patients fragiles. Par définition un infirmier est au contact de personnes affaiblies et il sait manipuler des produits plus ou moins dangereux. Quelqu’un condamné par le passé pour des faits graves a-t-il alors tout à fait sa place dans cette profession?

Au delà de ce cas particulier, ce sont donc plusieurs questions qui se posent : même si la directrice n’avait pas de raison officielle pour refuser cet élève, pourquoi former quelqu’un quand on sait qu’il ne pourra probablement pas exercer son métier en France ? Le droit à la réinsertion doit-il donner l’accès à tous les métiers quels qu’ils soient ? Enfin, plus précisément, infirmier est-il tout à fait un métier comme un autre, propre à accueillir quelqu’un quel que soit son passé ?

Olivier Blanchard

Le casier judiciaire est un relevé des condamnations pénales regroupées au Casier judiciaire national du ministère de la Justice à Nantes. Ces informations sont communiquées, sur demande, sous forme d’extraits appelés bulletins :

– le bulletin 1 contient l’ensemble des condamnations (remis seulement à l’autorité judiciaire)

– le bulletin 2, la plupart des condamnations (remis à certaines autorités administratives dont la fonction publique hospitalière

– le bulletin 3, les condamnations pour crimes et délits, remis à l’intéressé lui-même

 

L’ordre infirmier réagit.

Deux communiqués viennent de nous parvenir. Un de l’Ordre national qui estime que la profession infirmière « n’est pas un métier comme un autre » et un autre de l’Ordre de Paris qui explique qu’il n’était pas informé de la formation de cet élève.

Il se dit “choqué par la légèreté et l’irresponsabilité de ceux qui ont fermé les yeux depuis 2012, laissant cet étudiant effectuer ses stages dans les établissements hospitaliers, en mettant ainsi un ancien prédicateur djihadiste en contact avec des personnes en état de faiblesse physique et morale” et ” scandalisé des propos de l’AP-HP qui précise qu’une fois diplômé, il n’aurait pas été embauché dans le public, mais qu’il pouvait aller dans le privé. Le patient doit rester au cœur de nos préoccupations, qu’il soit soigné dans le public, le privé ou le libéral“.

Le CDOI parisien « demande que l’on rétablisse la demande de casier judiciaire pour l’admission au concours d’entrée en Ifsi. Cette simplification administrative est une bombe à retardement et permettrait à ces étudiants de ne pas être confrontés à des difficultés de recrutement une fois diplômés.”