Professionnels de santé et réseaux sociaux : contours d’une déontologie

Les professionnels de santé créateurs de contenus sur les réseaux sociaux mettent en jeu leur image personnelle, professionnelle et même celle de leur profession. Après la vague de fake-news sur le Covid, deux infirmiers et une étudiant en médecine tracent les limites qu'ils posent à leur activité. Les prémisses d'une déontologie spécifique ?

Photo d'illustration © Miljan Zivkovic / ShutterStock

Certains professionnels de santé, rarement infirmiers, souvent médecins, quelquefois aussi kinés ou pharmaciens, jouissent d'une belle popularité en publiant des vidéos de vulgarisation en santé sur Youtube, Instagram ou TikTok.

Les fans se comptent en dizaines de milliers, pour les comptes d’infirmiers comme « L'homme en blanc », « Les minutes de Jérémy », voire en centaines de milliers pour celui de l'étudiant en médecine « Fruitrurgie ».

Leurs instigateurs se considèrent plus comme des producteurs de contenu que comme des influenceurs : eux n'ont rien à vendre, de mode à lancer, d'opinion à défendre ou de pratique à soutenir. Dans des vidéos sur la « complexité de la santé », « les seules idées que je veux faire passer, souligne Louis Piprot, l'infirmier derrière le compte de l'Homme en blanc, ce sont les recommandations des sociétés savantes, les bonnes pratiques, les réalités du terrain » à destination essentiellement des étudiants en soins infirmiers mais pas seulement. Et le haut niveau de compétences des IDE.

Dans ses « minutes » vidéo Jérémy Guy, Iade, propose à ses followers de les aider à « tout comprendre sur le corps humain », la santé et les soins. Quant à Robin Goncet, interne en sixième année de médecine, il explique des interventions chirurgicales sur des fruits. Rien à vendre ou à promouvoir dans leurs vidéos, donc, à part une idée bien claire de leur responsabilité en tant que professionnels de santé diplômés ou en devenir.

Rien à vendre

Ils veulent se distinguer  par leur sérieux et leur professionnalisme des « coachs santé » aux connaissances fragiles et aux conseils hasardeux.

Jérémy Guy, dont la chaîne s'est développée en plein Covid, a voulu prendre le contre-pied des fake news qui ont explosé à ce moment-là. « Depuis que j'ai commencé, j'ai absolument vérifié tout le contenu, raconte-t-il. Au début, j'ai même mis en place un groupe de relecture avec des médecins et des infirmiers qui relisaient mes vidéos et me faisaient corriger certaines choses. »

Ses études d'IADE, menées en même temps, l'ont initié à la lecture critique d'articles, qu'il a mise en pratique aussi dans ses vidéos. « Mon éthique, résume-t-il, c'est de toujours sourcer ce que je dis. »

Idem pour « l'homme en blanc », qui garde en tête le code de déontologie des IDE, et pour Robin Goncet. Leurs vidéos sont souvent accompagnées d'une bibliographie. « Dès le début, j'ai voulu être le plus honnête possible scientifiquement, souligne-t-il. Bien que je sois encore étudiant, j'ai une image de professionnel de santé et ce que les gens vont écouter dans mes vidéos, il faut que ce soit exact. Je ne peux pas me permettre de dire n'importe quoi. » Il n'hésite pas non plus à demander la validation de ses pairs.

Comme le rappelle Jérémy Guy, « les professionnels de santé bénéficient d'un biais de confiance. Comme on a un diplôme, ce qu'on dit est forcément vrai. »

Leur audience sur les réseaux sociaux et donc leur « influence » potentielle conduit donc des marques et organisations à leur proposer des partenariats. Ces opérations font partie intégrante du modèle économique de certains influenceurs et posent question à ces professionnels de santé créateurs de contenus.

Louis Piprot accepte d'en faire « mais avec des conditions très précises, explique-t-il. Le partenaire est affiché et il doit ne rien avoir à vendre. » Pas question pour lui, donc, de vanter les mérites de gadgets qu'il juge inutiles ou de formations « pas sérieuses ».

Sa boussole en la matière : « le bon sens et une haute estime de la profession ». Il refuse ainsi régulièrement des propositions, tout comme Jérémy Guy. « C'est tentant de dire oui, observe l'Iade. Certains laboratoires arrivent avec des sommes énormes. Mais pour moi peu importe. Si cela ne respecte pas ma déontologie ou promeut des choses que je n'approuve pas, je dirai non. J'ai fourni beaucoup d'efforts depuis quatre ans sur ma chaîne YouTube et je pourrais me griller en une minute en acceptant un mauvais partenariat. »

Il a accepté d'en faire sur le don de moelle osseuse avec l'Agence de biomédecine, sur la qualité de vie au travail avec une mutuelle ou avec des organismes de formation qu'il estime sérieux.

Régulation implicite

Garry Laudren, Iade et ingénieur pédagogique, a consacré son mémoire de DU de cyberpsychologie aux (peu nombreux) IDE créateurs et créatrices de contenus pédagogiques sur les réseaux sociaux et notamment Instagram. Il a observé chez eux « une sorte de régulation implicite » selon des règles communes à la plupart d'entre eux, ainsi que « la même manière de produire du contenu, avec un sourçage profond des informations et une qualité de contenu très élevée ».

Des réseaux sociaux comme YouTube commencent à se pencher davantage sur la validité des informations délivrées afin de lutter contre les fake news mais des influenceurs à forte audience plus ou moins qualifiés en santé (plutôt moins que plus)  continuent de diffuser des informations erronées ou des conseils motivés par des intérêts financiers.

Si les activités sur les réseaux sociaux peuvent générer des revenus, l'étudiant en médecine interviewé n'est pas prêt à tout. « Je prends le statut qui va avec, reconnaît Robin Goncet, mais ce n'est pas mon objectif premier. » Ce printemps, YouTube a organisé à Paris une grande conférence pour les créateurs de contenu, « très intéressante » selon Jérémy Guy.

Il en a retenu notamment le conseil d'un médecin américain ayant plus de 10 millions d'abonnés aux professionnels de santé présents sur les réseaux : conserver son activité professionnelle première, au moins en partie, « pour préserver sa crédibilité ». C'est le choix de ceux-là, à 100%.

Géraldine Langlois

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