Thérapies digitales en santé mentale : quel rôle pour les infirmiers ?

Soigner les troubles de l'âme à l'aide d’outils numériques. L’idée peut paraître paradoxale pourtant elle a tout son sens à l’heure où les besoins en santé mentale explosent et que l’offre de soins n’augmente pas. Encore rare dans les parcours de soins, la Mental Tech pourrait fournir des outils complémentaires, avec des infirmiers en premier plan.

Thérapies digitales en santé mentale : quel rôle pour les infirmiers ?

© Elle Aon / ShutterStock

Application mobile de méditation pleine conscience ou de suivi de l’arrêt du tabac, logiciel d’exposition à sa phobie, escape game de prévention en santé mentale…

Depuis quelques années, le numérique s’attaque à la santé mentale. Il existe toutes sortes d’outils : du plus simple -  comme les applications utilisées par les personnes elles-mêmes pour améliorer leur bien-être - aux plus sophistiqués, sous forme de thérapies digitales.

Ces dernières sont des dispositifs médicaux complets, dont l’efficacité a été prouvée scientifiquement et qui sont délivrées aux patients avec une prescription médicale pour une durée déterminée dans le cas de pathologie précise. « On voit arriver ces outils numériques de Mental Tech depuis plusieurs années avec les applications de bien-être, pour améliorer son sommeil ou son alimentation notamment. Les patients nous en parlent. Il en existe toute une panoplie. Les TDx (thérapies digitales) c’est autre chose, c’est une technologie bien distincte. Plus récente aussi. Ce sont des dispositifs médicaux avec marquage CE validées par des études scientifiques, reconnus par l’evidence-based medicine », résume le Dr Odile Amiot, psychiatre et responsable du centre médico-psychologique de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine).

Bien sûr, il existe des thérapies digitales dans tous les domaines de la santé. Mais pour Karine Soulat, consultante indépendante en santé digitale, « c’est en santé mentale que les Tdx ont le plus d’avenir. Depuis 20 ans, il ne s’est pas passé grand-chose en termes d’innovation. Les traitements comme les antipsychotiques et les antidépresseurs sont souvent lourds et éradiquent toute émotion chez les patients un peu comme un désherbant, déroule-t-elle. Les Tdx sont un espoir pour les patients. C’est aussi la possibilité d’un changement d’image de la psychiatrie ou de sa démocratisation, comme il s’est passé avec les applis de rencontre dans le domaine des rencontres sexuelles et amoureuses ».

Coaching et data

Aujourd’hui, tous ces outils sont encore peu prescrits par les personnels soignants. « En prévention, ce sont les patients qui s’en emparent. Les médecins sont encore peu prescripteurs de ces solutions, tout comme celles pour faire du sport. Culturellement, le médecin prescrit un médicament. Mais ça va venir, ça bouge et c’est un des principaux objectifs de notre association », commente David Labrosse, docteur en santé publique, cofondateur et président du collectif MentalTech, qui réunit des startups qui développent des outils en santé mentale. Par ailleurs, toutes les solutions n’ont pas fait la preuve scientifique de leur efficacité, quand les thérapies digitales ne sont pas forcément connues des prescripteurs.

Quoi qu’il en soit, les défenseurs de ces outils estiment qu’ils peuvent être utiles, chacun à leur degré, dans un contexte où les besoins en santé mentale augmentent et où l’offre de soins se raréfie. « L'opportunité du numérique en santé est de pouvoir faciliter la prise en charge d’une population qui ne fait que croître pour pouvoir réduire soit l’apparition des pathologies soit la prise en charge des pathologies, souligne David Labrosse. L’idée est que cette Mental Tech fournisse des outils supplémentaires dans la palette des soignants.

En effet, ils présentent de nombreux avantages. D’après les observations, les patients y adhèrent bien, la mise en place rapide et facile, et ils sont disponibles partout et tout le temps. « Ils permettent d’être aux côtés du patient toute la journée. Contrairement au psychologue, qui est vu quelques fois par an, souligne Karine Soulat, consultante en nouvelles technologies digitales de la Santé. Pour les addictions, ce soutien est important. Par exemple, pour une personne qui a l’habitude de boire à 20h, avoir l’appli peut être une aide. Comme un coach virtuel ». Mais Odile Amiot prévient : « Même les thérapies digitales ne remplacent pas un traitement mais viennent en complément ». 

Surtout, ces outils permettent la collecte et l’analyse des fameuses datas. En l’occurrence ils suivent les biomarqueurs, comme l’humeur, le sommeil ou l’appétit, du patient, préalablement définis. Quand le patient voit son médecin, il peut soumettre toutes ces données, ce qui permet « d’objectiver la pathologie et les symptômes, souligne Karine Soulat. Généralement, quand un patient voit son médecin, il exprime son sentiment des dernières 24 heures, pas tout ce qu’il a ressenti durant les deux derniers mois ». Ce qui nourrit le dialogue entre le patient et le soignant et donc renforce l’alliance thérapeutique.

Travail entre les rendez-vous

Depuis mai 2022, Dr Odile Amiot utilise au CMP de Boulogne-Billancourt la TDx Deprexis, en traitement de la dépression.

Il s’agit d’un parcours numérique personnalisé et « intégratif » c’est-à-dire qui intègre plusieurs thérapies reconnues comme la thérapie comportementale et cognitive (TCC), la thérapie interpersonnelle, la psychoéducation etc. L’outil est reconnu dispositif médical et une demande de remboursement est en cours. « Je me suis posée la question d’intégrer cette TDx dans la prise en charge des patients, pour permettre aux patients de « se mettre au travail » entre les rendez-vous médicaux, sachant que ceux-ci s’espacent dans un contexte de difficultés d’accès aux soins », explique-t-elle.

Les résultats observés sont positifs. « Quand je les revois, ils ont progressé. Ils adorent parler des exercices qu’ils ont faits. Ils débriefent des exercices qu’ils ont bien ou moins bien aimés. Cela enrichit nos entretiens en éléments cliniques et permet de mieux visualiser l’évolution des patients ».

Un rôle à venir pour les infirmiers

Si les infirmiers ont participé à l’étude d'acceptabilité de cet outil numérique, ils ne suivent pas encore les patients qui ont accepté d’acheter le programme. « Cela me semblait important de maîtriser l’outil avant de confier ces patients à d'autres soignants », précise le docteur Amiot. Mais ça viendra dans un second temps, estime-t-elle.

Pour Karine Soulat, leur rôle dans ces outils de MentalTech sera même central. « Souvent le personnel soignant est dans l’écoute, la personnalisation et la continuité des soins. Pour moi, les infirmiers doivent être les maîtres des solutions numériques : c’est eux qui doivent les mettre en place, les paramétrer, suivre les données et rédiger des notes au médecin avant la consultation. Ils sont les garants de l’humain derrière ces outils ».

Pour David Labrosse, ces outils pourraient même aider à une meilleure coordination des soins entre médecins et personnels paramédicaux, grâce au partage des données collectées par ces applis et une prise en charge collective des patients. Bref, nous sommes « au début d’une nouvelle ère », confirme le Dr Odile Amiot. « Il ne faut pas diaboliser le numérique en craignant que les robots remplacent l’humain. En psychiatrie, on est dans l’humain. On ne sera jamais remplacé par des robots ou de l’IA. Mais la demande en soins est énorme et urgente. On ne peut pas se passer des innovations ».  

Alexandra Luthereau

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