Consultation en santé sexuelle : les infirmières tourangelles en première ligne

Le Centre gratuit d'information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) du Centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Tours déploie le protocole de coopération en santé sexuelle permettant une montée en compétences des infirmières.

actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article a été publié dans n°46 d'ActuSoins Magazine (septembre-octobre-novembre 2022).

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Aurélie Mottré, infirmière, en consultation

Aurélie Mottré, IDE, en consultation. © DR

En Centre-Val de Loire, le CeGIDD du CHRU de Tours est le premier à mettre en œuvre un protocole de coopération national qui permet aux infirmières des CeGIDD, préalablement formées, d’intervenir en lieu et place d’un médecin délégant, dans le cadre de consultations infirmières en santé sexuelle.

Déployé dans le cadre de l'article 66 de la loi relative à l'organisation et à la de 2019, ce protocole est autorisé par arrêté depuis octobre 2021.

« Au sein de notre structure, les premières délégations de compétences ont été mises en œuvre lorsque le CHU a repris, il y a cinq ans, le centre de vaccination et de dépistage, jusqu’alors géré par le Conseil départemental, explique Aurélie Mottré, infirmière au CeGIDD. Nous avons alors instauré une première délégation avec la vaccination, puis un protocole sur le dépistage des infections sexuellement transmissibles (IST). Aujourd’hui, nos compétences dans le cadre de consultations en santé sexuelle continuent d’évoluer, en lien avec la volonté à la fois des infirmières et des médecins. »

Une formation au protocole de coopération

Les quatre infirmières du CeGIDD suivent toutes une formation au protocole de coopération. Elle repose sur une formation théorique de 60 heures, organisée par le Comité de coordination de la lutte contre les infections sexuellement transmissibles et le virus de l’immunodéficience humaine (COREVIH) de la région, accessible aux IDE ayant une expérience de trois ans dont une année dans un CeGIDD, un centre de santé sexuelle ou un Centre de planification ou d’éducation familiale (CPEF).

Cette formation inclut différents modules nécessaires à la pratique : vaccination et maladies sexuellement transmissibles ; accident d’exposition virale et conduite à tenir ; contraception d’urgence ; renouvellement de la prophylaxie pré-exposition (PREP) et protocole sur les dépistages et les infections sexuellement transmissibles (IST). « Nous avons toutes suivies cette formation entre décembre 2021 et mai 2022, rapporte Sarah Dubreuil, IDE au CeGIDD. Elle nous a été dispensée par des professionnels médicaux du CHU, de manière formelle, dans le cadre de la formation continue. »

Les IDE poursuivent ensuite avec une formation pratique, en binôme avec un médecin du CeGIDD. La formation pratique, de 38 heures, se déroule sous la forme du compagnonnage : assister à 50 consultations en binôme avec le médecin sur l’entretien, la prescription, l’interprétation et la remise des résultats sur les différents types de situations (prescription des tests de dépistage et examens biologiques, interprétation et remise de résultats, prescription de vaccins et de contraceptifs, suivi de PrEP…).

Puis, elles effectuent 25 consultations sous la supervision du médecin délégant. Il appartient ensuite au médecin formateur d’évaluer l’acquisition des compétences nécessaires à la mise en œuvre du protocole, donc la possibilité pour l’IDE de mener des consultations en autonomie. Néanmoins, pour que les consultations puissent avoir lieu, le médecin déléguant doit être joignable à tout moment par les IDE.

« Sur un certain nombre d’actes dérogatoires, par exemple le renouvellement des traitements, le temps de compagnonnage va être relativement court, estime le Dr Guillaume Gras, infectiologue au CHRU de Tours et médecin délégant dans le cadre du protocole de coopération. En revanche, d’autres actes, comme la prise en charge des accidents d’exposition sexuelle ou encore le kit de traitement post-exposition, vont nécessiter un plus long temps d’accompagnement. »

Une montée en compétences encadrée

Ce protocole se met en place dans un climat de confiance entre les IDE et les médecins, le binôme étant déjà aguerri en raison des autres protocoles déployés sur leur terrain d’exercice.

« Nous savons que les médecins sont à la fois disponibles si nous avons besoin d’eux et qu’ils nous font confiance », indique Sarah Dubreuil. Et de reconnaître : « Dans un premier temps, je pense que lors de certaines consultations, je serais peut-être hésitante et je ferais sûrement appel au médecin notamment pour l’évaluation d’une exposition virale, afin de savoir s’il faut ou non prescrire un traitement d’urgence. Idem pour la délivrance d’une contraception d’urgence. »

L’équipe organise également des staffs deux fois par mois pour effectuer une analyse de pratique. « Cette réunion nous permet de présenter des prises en charge pour lesquelles nous avons pu rencontrer des difficultés et ainsi d’en discuter, ajoute-t-elle. Nous sommes rarement seules dans les murs du CeGIDD et nous pouvons régulièrement nous appuyer sur d’autres professionnels de santé si besoin. »

L’organisation du CeGIDD

La mise en place de ces consultations infirmières a pour finalité d’élargir l’offre de soins proposée aux patients et d’essayer de diminuer les délais d’attente pour une consultation. « Initialement, notre moteur pour la mise en place de protocoles de coopération, c’est l’usager, souligne le Dr Gras. Nous répondons difficilement à la demande, à la fois pour des questions de temps et de ressources humaines. »

Pour bénéficier d’une prise en charge au CeGIDD, les patients prennent rendez-vous, en sachant qu’ils peuvent aussi avoir accès à des créneaux d’urgence quotidiens. Généralement, un suivi se met en place car les patients peuvent être amenés à revenir plusieurs fois en consultation.

« Le besoin est réel au niveau de la file active, indique Aurélie Mottré. Nous avons des délais de prise en charge assez long. » A titre d’exemple, pour un dépistage simple, les rendez-vous sont fixés avec un délai d’environ un mois et demi. « Avec ces nouveaux protocoles, nous espérons pouvoir réorganiser notre fonctionnement », prévoit-elle.

Pour les dépistages, les patients ont certes d’autres options que le CeGIDD. Ils peuvent se tourner, sans ordonnance, vers des laboratoires de biologie médicale - mais uniquement pour le VIH et non pour toutes les IST -, vers les urgences ou encore SOS médecins lorsque les signes cliniques sont importants. De même que les étudiants peuvent consulter au sein du service de santé universitaire. Le médecin traitant peut également prescrire un dépistage, mais « ce n’est pas toujours évident pour le patient car encore faut-il qu’il ait envie de lui parler de sa vie sexuelle, pointe du doigt Aurélie Mottré. Sans oublier que certains médecins ne sont pas toujours à l’aise avec ce type de prise en charge ».

L’avantage du CeGIDD est d’offrir un lieu dédié à la santé sexuelle. « L’usager peut venir en consultation en sachant qu’il peut parler librement de sa vie et de sa santé sexuelles », rappelle Sarah Dubreuil. Les consultations sont gratuites et le dépistage peut être anonyme, sur demande.

Avec le protocole de coopération, les IDE peuvent désormais endosser plusieurs casquettes, proposer plusieurs soins dans le cadre de leur consultation et échanger de manière plus globale avec le patient. « En fonction de nos sensibilités, nous pouvons proposer au patient différents terrains de prise en charge, complète Sarah Dubreuil. C’est valorisant et enrichissant. »

Les IDE peuvent ainsi réorienter le patient si besoin, au sein du CeGIDD, vers des assistantes sociales, des psychologues, des sexologues ou des conseillères familiales et conjugales. Ou encore vers des structures extérieures : Centre de planification familiale, urgences en cas d’agressions sexuelles nécessitant des prélèvements ciblés, Centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa)...

Des compétences qui questionnent

« Je suis tout de même un peu contrariée à l’idée de monter en compétences sans qu’il n’y ait de réévaluation réelle de mon salaire », reconnaît Anne Cheriaux, IDE. Pour mener à bien cette consultation infirmière et tous les autres protocoles de coopération, les infirmières perçoivent une prime mensuelle totale de 100 euros brut.

Par ailleurs, « les protocoles permettent de régler certains problèmes, mais ils peuvent aussi soulever d’autres questions », indique le Dr Gras.

A titre d’exemple, si les infirmières et les usagers en sont plutôt satisfaits, certains médecins rencontrent des difficultés à s’inscrire dans la démarche. « A titre professionnel, je trouve que cette montée en compétences des infirmières est vraiment très intéressante, conclut le médecin. Mais il est vrai que cela questionne sur les sphères d’intervention des uns et des autres. »

Laure Martin

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L’info en plus

Descriptif du protocole de coopération.

 

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